dodis.ch/41784

Le Ministre de Suisse à Florence, G.B. Pioda, au Conseil fédéral1

J’ai eu hier une conférence avec le Ministre des Affaires Etrangères.

Je lui ai d’abord communiqué la décision du 14 courant du Conseil des Etats en faveur du S. Gothard2.

Ensuite j’ai commenté votre décision3 supprimant le procès contre Nathan et Consorts et frappant d’expulsion tous les impliqués.

Il a paru recevoir ces communications favorablement.

Je lui ai ensuite communiqué votre télégramme du 16 concernant la proclamation de la neutralité suisse et la levée de 5 divisions4.

Ceci nous amena naturellement sur le sujet de l’attitude de l’Italie vis-à-vis des Puissances belligérantes.

Le Ministre m’a dit que les efforts de l’Italie, de l’Angleterre et de l’Autriche n’ayant pu empêcher la guerre, ces mêmes Puissances s’efforcent maintenant de la localiser, c’est-à-dire d’empêcher que d’autres Puissances que la France et la Prusse y prennent part.

Pour ce qui est de l’Italie en particulier, elle se tiendra dans une observation attentive.

Le député La Porta, de la gauche, napolitain, a interrogé aujourd’hui le Ministère qui a répondu par l’organe de M. Visconti-Venosta et de M. Lanza dans le même sens, après quoi la Chambre passa outre sans vote.

Tout le monde a remarqué que M. Visconti-Venosta ne s’est pas servi du mot neutralité.

Le Roi est revenu hier, rappelé par le Ministère, de la chasse dans la vallée d’Aoste. On parlait beaucoup, avant son arrivée, d’un changement de ministère, chaque parti croyant pouvoir arriver, mais le Roi ayant conféré avec Lanza et Visconti et ayant entendu, en dehors du Conseil, quelques autres personnages, entre autres M. Minghetti, il paraît que le Ministère restera, que le programme ne sera pas altéré et que la session continuera.

Cependant la marche régulière est nécessairement plus ou moins troublée; ainsi le comité privé n’a pas eu lieu aujourd’hui. Par conséquent, le traité du 15 Octobre n’a pu y être discuté, ni la commission nommée.

Le programme des économies reste, mais on a appelé sous les armes deux classes, ensemble environ 60.000 hommes. On fait aussi quelques apprêts dans la marine. Cependant ces mesures n’ont pas été mentionnées dans la discussion.

Je vous ai télégraphié hier5 la démonstration de samedi soir; les appréciations varient sur le nombre des participants. Tandis que les journaux officieux parlent d’un millier de personnes, la Riforma, journal de la gauche, parle de 3.000. Ce qui n’est pas douteux, c’est que les sentiments de sympathie exprimés devant l’hôtel de la Légation de Prusse, et d’hostilité devant celui de la Légation de France, sont bien ceux de la masse du peuple. Ceci n’exclut pas la possibilité de combinaisons tout à fait contraires dans les régions gouvernementales, tout comme il est arrivé en 1866 avec l’alliance prussienne, qui alors n’était rien moins que populaire; mais il faudrait que comme alors, l’enjeu en valût la peine.

La tranquillité a été parfaite dans la journée d’hier. La Police avait pris ses mesures pour qu’il en fût ainsi et les principaux meneurs ayant été arrêtés, la population paraissait assez contente qu’on la laissât tranquille.