Classement thématique série 1848–1945:
I. LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES ET LA VIE DES ÉTATS
I.12 FRANCE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 2, doc. 235
volume linkBern 1985
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E53#1000/893#9* | |
Old classification | CH-BAR E 53(-)1000/893 2 | |
Dossier title | Verlängerung der Baufrist für die Strecke Jougne-Eclépens (1867–1871) |
dodis.ch/41768
La question de la ligne de Jougne a fait dans les derniers jours l’objet de nombreuses démarches, et je m’empresse de Vous rendre compte de l’état actuel de cette affaire importante.
Vous avez vu par ma lettre du 20 Mai2, no 650, que M. Plichon, Ministre des Travaux Publics, avait accordé à la Compagnie Paris–Lyon un délai d’un mois pour présenter un projet comparatif de tracé entre le Col de Touillon et la frontière, avec ou sans rebroussement. En cas de tracé direct, le Ministre autorisait la Compagnie à prendre pour base de son projet des pentes de 25 %o à ciel ouvert.
Il était urgent de répondre d’une manière énergique à cette communication. J’ai donc cru devoir transmettre au Conseil d’Etat du Canton de Vaud copie de la dépêche de M. Plichon. J’exprimais aussi, dans une lettre adressée le même jour3 à M. le Président du Conseil d’Etat du Canton de Vaud, l’opinion qu’il devait être tenté un dernier effort pour écarter les pentes de 25 %o et obtenir le tracé direct.
Cette manière de voir était aussi celle du Gouvernement Vaudois. Il m’annonça en outre son intention d’envoyer à Paris des délégués, afin de montrer au Ministre des Travaux Publics l’importance qu’il attache à la question.
D’après des renseignements qui m’étaient parvenus d’une manière indirecte, et dont le Gouvernement Vaudois avait aussi eu connaissance, on pouvait craindre que la Compagnie Paris–Lyon, profitant du changement de Ministère, n’essayât d’obtenir par surprise la ratification du projet de tracé, auquel la Suisse n’a cessé de s’opposer. Certains indices m’avaient en particulier donné lieu de croire que la Compagnie déposerait ses plans comparatifs avant le délai d’un mois fixé par le Ministre des Travaux Publics.
Je me rendis immédiatement chez M. Plichon, pour lui demander formellement de ne prendre aucune décision avant d’avoir entendu les délégués du Conseil d’Etat du Canton de Vaud. M. Plichon fit droit à ce désir sans difficulté, et m’annonça qu’il recevrait ces Messieurs le dimanche suivant.
En sortant de cette audience chez le Ministre des Travaux Publics, j’ai cru devoir aussi me rendre chez le Prince Napoléon, que son séjour dans le Canton de Vaud a mis à même de connaître de la question et d’y porter un intérêt personnel. Le Prince a vivement désapprouvé la manière d’agir de la Compagnie et m’a promis d’en parler à M. Plichon. J’ai pu me convaincre, par M. Plichon lui-même, que le Prince Napoléon l’avait entretenu de la question de la ligne de Jougne, et lui avait recommandé la prise en considération des demandes de la Suisse.
Le Conseil d’Etat du Canton de Vaud avait, pendant ce temps, rédigé un exposé historique4 de toute l’affaire, et signalé en particulier les retards et les difficultés suscités par le mauvais vouloir du chemin de fer Paris–Lyon. J’ai l’honneur de Vous en transmettre sous ce pli un exemplaire. De plus, MM. Delarageaz, Président du Conseil d’Etat et Chef du Département des Travaux Publics, et Ruchonnet, Conseiller d’Etat, furent délégués par leur Gouvernement pour représenter les intérêts du Canton de Vaud auprès du Ministre des Travaux Publics.
Le lendemain de l’arrivée de ces Messieurs, le dimanche 29 Mai, nous nous sommes rendus ensemble chez M. Plichon. Le Ministre s’est exprimé d’une manière assez favorable à nos vues sur la question du rebroussement; il a dit qu’il attendait encore les projets comparatifs que la Compagnie devait présenter, qu’il ne pouvait se prononcer encore d’une manière définitive, mais qu’il avait lieu de croire fondées les réclamations de la Suisse en faveur du tracé direct. Sur la question des pentes par contre, M. Plichon a fait remarquer que la question n’était plus intacte, puisque son prédécesseur, M. de Talhouet, avait autorisé la Compagnie à présenter un plan basé sur des pentes de 25 %o à ciel ouvert.
Le Mémoire du Conseil d’Etat du Canton de Vaud a été aussi remis à Plichon par MM. Delarageaz et Ruchonnet, et appuyé par moi.
La puissance de la Compagnie Paris–Lyon est si considérable, et les moyens d’influence dont elle dispose si exorbitants, que j’ai cru de mon devoir de recourir de mon côté aux mesures les plus énergiques pour combattre le rebroussement. Si les projets de la Compagnie étaient adoptés, il en résulterait une augmentation de trois kilomètres, sur dix-huit que compte la partie française de la ligne de Jougne, et les pentes de 25 %o nécessiteraient pour l’exploitation, l’emploi de deux locomotives ou tout au moins l’emploi de machines exceptionnellement fortes.
J’ai donc cherché à profiter d’un dîner auquel je devais assister aux Tuileries le soir même (29 Mai), pour entretenir l’Empereur de la question. J’ai eu avec lui un entretien particulier de plus d’une demi-heure, dans lequel je n’ai pas hésité à lui exposer avec la plus grande franchise toutes les manœuvres entreprises par la Compagnie dans un intérêt fiscal, et en contradiction avec les vœux et les intérêts des populations des deux pays. Afin de lui confirmer mes assertions par la production des correspondances échangées entre les deux Gouvernements, je lui ai demandé une audience qu’il a fixée immédiatement au mardi suivant (31 Mai), à 9 heures du matin. J’ai eu de nouveau avec l’Empereur un entretien d’une demiheure, dans lequel je lui ai reproduit, pièces en mains, toutes les péripéties traversées par la question de la ligne de Jougne; je lui ai remis copie des principaux documents, ainsi qu’un plan du tracé.
Je l’ai trouvé très bien disposé, tant dans la première que dans la seconde entrevue. Il m’a même dit qu’il avait, à la suite de notre premier entretien, parlé de la question, le lundi, en Conseil des Ministres. Tous auraient été d’avis que ces retards étaient très regrettables, et il a ajouté en terminant: «Vous pouvez regarder le rebroussement comme écarté. Quant à la pente, je pense que nous maintiendrons un maximum de 20 %o, ou tout au plus de 23 %o, concession faite par les délégués Vaudois à la conférence de Lausanne. Cette pente est encore possible sans exiger double traction.»
MM. Delarageaz et Ruchonnet, qui sont encore à Paris en ce moment, m’ont vivement remercié de ces démarches.
J’attends, dans la première partie de ce mois, une décision officielle et définitive, et j’aurai soin de Vous en faire part immédiatement.
Les faits que je viens d’avoir l’honneur de Vous exposer m’ont paru présenter un caractère d’urgence tel, qu’il m’a paru indispensable de me mettre en rapport direct avec le Conseil d’Etat du Canton de Vaud, afin de pouvoir intervenir en temps utile. Il m’a paru que, de cette manière, j’agissais dans le sens de Vos instructions et pour le mieux des intérêts qui m’étaient confiés.
Veuillez transmettre confidentiellement copie de ce rapport au Conseil d’Etat du Canton de Vaud, auquel ses délégués rendront, du reste, compte de leur mission d’une manière détaillée.
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