Classement thématique série 1848–1945:
I. RELATIONS BILATÉRALES
I.11. Italie
I.11.3. Menées annexionnistes
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 1, doc. 463
volume linkBern 1990
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2#1000/44#1883* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2(-)1000/44 362 | |
Titre du dossier | Aeusserungen Cavours [1860], des Generals Bixi und des Aussenministers Durando in der italienischen Kammer [1862 und 1863] über die Annexion des Kantons Tessin durch Italien (1860–1866) | |
Référence archives | B.132.3 |
dodis.ch/41462 Le Chargé d’affaires de Suisse à Turin, A. Tourte, au Ministre des Affaires étrangères d’Italie, G. Durando1
Vous savez quelle fâcheuse impression a produite en Suisse l’une des phrases de Votre réponse aux interpellations proposées, le 20 juillet dernier, par M. le député Petrucelli délia Gattina.2 La phrase dont il s’agit traitait de l’annexion éventuelle à l’Italie d’une partie du territoire helvétique, et admettait la possibilité d’une manifestation des citoyens suisses en faveur de cette annexion, dénonciation de ces hypothèses était, je me plais à le reconnaître, précédée et suivie des protestations d’un vif intérêt pour la Confédération. Je crois fermement que Vos collègues et Vous-même, Excellence, êtes animés de sentiments d’amitié et de justice pour mon pays; Vous n’avez formé, j’en suis sûr, aucun projet qui menace son indépendance; et les intentions qui Vous inspiraient au moment où Vous prononciez, comme en passant et à voix si basse que je ne pus les entendre, ces paroles destinées à avoir tant de retentissement, ont été, je n’en doute pas, mal interprétées; je n’en veux pour preuve, je le répète, que le ton si bienveillant pour la Confédération du reste de Votre discours.
Malheureusement, lorsqu’à distance, le geste, les inflexions de la voix, qui seuls pouvaient lui donner sa véritable valeur, manquèrent à cette phrase improvisée, on crut y lire l’aveu de l’éventualité possible, prochaine même, d’une annexion du Tessin à l’Italie; les paroles officielles d’un ministre semblaient ainsi donner raison aux aspirations ouvertement annexionnistes d’une partie de la presse italienne hostile à la Suisse. Aussi, produisirent-elles dans tout le pays une vive émotion, qui se traduisit à l’Assemblée fédérale par des interpellations3 et par un vote unanime de confiance dans la sollicitude du Conseil fédéral à prévenir toute immixtion dans nos affaires.4
Mon Gouvernement, sans vouloir faire de cet incident le sujet d’aucune réclamation diplomatique, me charge de Vous communiquer le texte des interpellations qui lui ont été adressées, celui de la réponse qu’il a faite à ces interpellations et celui de la décision votée à l’unanimité par le Conseil national et le Conseil des Etats.5 Il Vous fait cette communication pour que Vous puissiez juger en toute connaissance de cause de l’effet produit par Vos paroles; et, suivant les propres expressions du Conseil fédéral, afin que les relations amicales et pleines de confiance qui existent entre les deux pays ne soient plus affaiblies par le retour de semblables malentendus.
J’espère que cet incident, regrettable sous certains rapports, aura cependant un résultat favorable pour l’avenir. L’enthousiasme avec lequel les populations du Canton du Tessin, réveillées par cette fausse alerte, signent une adresse de dévouement à la Suisse et protestent contre toute idée de séparation de la mère patrie6 doit avoir ouvert les yeux aux hommes qui auraient pu croire de bonne foi répondre aux aspirations d’un nombreux parti et faire le bonheur de ces populations en les réunissant au reste de la péninsule.
La discussion qui a eu lieu dans le sein de l’Assemblée, les déclarations du Conseil fédéral auront établi d’une manière péremptoire la vanité de toute spéculation ayant pour but de distraire une partie quelconque du territoire suisse. Le vote de confiance émis par les deux Conseils aura constaté leur ferme résolution de tenir l’engagement contenu dans l’article 5 de la Constitution fédérale commençant par ces mots: La Confédération garantit aux Cantons leur territoire,7 etc. Cette attitude si ferme aura fait comprendre à toute l’Europe, que le respect professé en Suisse pour l’indépendance et pour la dignité du moindre des citoyens ne permettra jamais à la Confédération d’entrer en matière au sujet de la cession à l’étranger de la plus pauvre de nos communautés, fût-ce même en échange d’une riche province. Enfin l’accord parfait de la presse locale à ce sujet, la protestation si spontanée, si énergique des citoyens tessinois, l’unanimité des Confédérés à prendre parti pour leurs frères de langue italienne, auront fait comprendre à tous que le jour où une puissance, quelle qu’elle fût, prétendrait lui imposer par la force un échange de territoire, le peuple suisse courrait aux armes et ne reculerait devant aucun sacrifice pour sauvegarder son honneur, son indépendance et sa liberté.
Cette susceptibilité nationale, cette identité de sentiments, cette solidarité inébranlable des confédérés allemands, français et italiens échappent trop facilement aux observateurs superficiels qui n’admettent point qu’une forte nationalité puisse exister sans communauté de langue, d’origine, de race, de législation, de croyances religieuses ou sans unité administrative. Les peuplades helvétiques, elles, rivées les unes aux autres par une solidarité d’intérêts qui a traversé cinq cents ans d’orages, sans prétendre critiquer les institutions de leurs voisins, mettent l’unité nationale dans l’identité de leurs principes de liberté et de leurs conviction républicaines; dans une glorieuse communauté de périls victorieusement repoussés, de sacrifices héroïquement accomplis et dans l’unanimité des citoyens à répéter, s’il le fallait, les mêmes sacrifices; enfin, je le dis avec orgueil, dans le partage d’une prospérité et d’un contentement aujourd’hui uniques au monde.
Souhaitant à tous cette liberté, ce bonheur dont elles jouissent elles-mêmes depuis si longtemps, elles ont vu dans l’Italie affranchie un champion de plus acquis à la cause de l’indépendance des peuples et, partant, à l’inviolabilité des antiques libertés suisses.
Malgré l’émotion causée par un malentendu passager, cet espoir ne sera pas déçu; les sentiments généreux que Vous, Monsieur le Ministre, et Son Excellence le Président du Conseil, avez manifestés publiquement, m’en sont un sûr garant.