Classement thématique série 1848–1945:
I. RELATIONS BILATÉRALES
I.11. Italie
I.11.3. Menées annexionnistes
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 1, doc. 416
volume linkBern 1990
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2#1000/44#1883* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2(-)1000/44 362 | |
Titre du dossier | Aeusserungen Cavours [1860], des Generals Bixi und des Aussenministers Durando in der italienischen Kammer [1862 und 1863] über die Annexion des Kantons Tessin durch Italien (1860–1866) | |
Référence archives | B.132.3 |
dodis.ch/41415
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Cette conversation nous a tout naturellement amenés aux articles assez vifs dans lesquels certains journaux lombards laissent percer l’espoir d’une annexion du Tessin.
Voici ce que le Ministre m’a dit: «Ayant eu les oreilles rebattues à ce sujet par quelques échauffés qui tiennent leurs désirs pour des certitudes, j’ai consulté quelques Tessinois établis à Turin depuis de longues années, et la plupart, devenus piémontais de cœur. Tous m’ont répété que, dans le Tessin, il y avait de grandes sympathies pour la cause italienne, qu’on y recruterait, si on le voulait, des volontaires en grand nombre; mais que personne ne désirait changer de nationalité. Qu’on y était foncièrement républicain, et partant suisse, et qu’une annexion ne pourrait se faire que par la force.
«Je n’en avais jamais douté, ajouta le Ministre; et je le trouve naturel. Mais j’étais bien aise d’avoir cet avis venant d’hommes placés pour savoir la vérité, afin de clore la bouche à des patriotes trop zélés.
«Enfin, les Tessinois font une contrebande d’enragés sur notre frontière, » ajouta- t-il en se frottant les mains; «ils en retirent de gros bénéfices, et ils savent bien qu’une fois Italiens cela finirait sur le champ.»
Je dois dire ici que cette contrebande est un sujet d’irritation continuelle contre nous. Le Ministre des Finances, bien disposé du reste pour la Suisse, m’en parle sans cesse, et chaque fois avec des crispations nerveuses. Les rapports qu’on lui fait exagèrent sans doute le mal.
M. de Cavour m’assura de nouveau que nous n’avions absolument rien à craindre de son côté.
Enfin, nous vînmes à causer des préparatifs militaires que fait la Suisse et des craintes que lui inspire la France. Le projet de fortifier Genève lui sembla très grave. «Pourquoi craignez-vous donc?» me demanda-t-il. – «Parce qu’outre les procédés peu amicaux du Gouvernement français, nous nous rappelons qu’on vous a pris la Savoie et qu’on s’est campé sur le Mont-Cenis, presqu’en vue de Turin, non pas parce que les Savoyards parlaient français ou demandaient l’annexion. C’est à peine si ces motifs-là ont été mis en avant. Tandis qu’on a officiellement déclaré que l’accroissement démesuré du Piémont rendait des garanties contre lui nécessaires à la France. Ce prétexte assez étrange, presque ridicule, n’a pas été inventé pour rien. Nous craignons qu’il n’ait été invoqué comme pour prendre date; et que, l’annexion de Naples et de la Vénétie une fois accomplie, on ne vienne dire: Vous êtes maintenant une grande puissance; bientôt presque notre égale en population. La France a besoin de prendre des garanties contre vous, et de s’assurer du passage du Simplon en occupant Genève et le Valais!»
Le Ministre écouta très attentivement mon raisonnement et il parut soucieux.
«Je ne puis, dit-il, croire à des projets qui soulèveraient toute l’Europe contre la France. Vous n’avez pas assez de confiance dans l’Empereur.» – «Et vous, avezvous donc une foi bien illimitée en lui, lorsque sa flotte reste devant Gaëte, et ses troupes à Rome, lorsque bien plus sûrement que l’Autriche, il vous empêche de faire l’Italie.»
Il ne répondit rien d’abord, puis il ajouta: «Il veut un jour se retirer, et l’autre, sous le coup d’influences qui nous sont hostiles, il ajourne cette mesure. Je crois pourtant qu’il nous est favorable; et il ne peut pas sérieusement ne pas aimer la Suisse.» – «Je ne doute pas, ajoutai-je, des sympathies personnelles de l’Empereur Napoléon, qui a trop d’expérience et d’esprit pour ne pas admirer les résultats d’une liberté bien ordonnée, comme celle dont nous jouissons en Suisse, comme celle dont jouit le Piémont. Mais je crois aussi qu’il ne mêle pas les sentiments à la politique, et que l’intérêt véritable ou supposé de la toute puissance française est son seul guide.»
«L’Angleterre ne permettra jamais qu’on démembre la Suisse», dit en terminant le Ministre, «et quant à nous votre indépendance est la nôtre.»
J’ai dû vous répéter tout au long cette conversation, quoiqu’elle ne contienne aucune révélation bien saillante, parce qu’elle résume l’opinion ostensible actuelle de l’homme d’Etat le mieux renseigné après l’Empereur des Français.
Enfin je dois dire que notre conversation s’étant reportée à l’hiver dernier et aux conseils que Lord Russel doit avoir donnés à la Suisse, M. de Cavour ajouta en riant: «Nous autres diplomates on ne devrait jamais nous croire, et faire régulièrement le contraire de ce que nous conseillons.» Cette parole dite dans l’intimité partait du cœur, et montre le peu de fond qu’on peut faire sur les plus belles protestations de la plupart des hommes d’Etat de l’Europe. Voilà aussi pourquoi, malgré toutes les assurances possibles, je crois qu’il faut avoir les yeux toujours ouverts du côté du Tessin. Que sans rien sacrifier de sa dignité, ce canton évite soigneusement ces petits démêlés, ces griefs de frontière qui, à un jour donné, pourraient être exploités contre nous, et figurer dans un réquisitoire destiné à refroidir l’Europe à notre égard en nous représentant comme des voisins impossibles. J’en dis autant pour Genève.
Du reste, notre attitude de peuple prêt à tout sacrifier pour se défendre fait ici le meilleur effet.
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