Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 337
volume linkBern 1990
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#406* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 66 | |
Dossier title | Sardisch-Französischer Krieg gegen Österreich, 1859 (1859–1859) | |
File reference archive | B.262 |
dodis.ch/41336
Ainsi qu’on a pu le voir par des feuilles publiques il y a quelques jours que sept soldats du corps Garibaldi ont passé sur territoire suisse, et jeudi 9 courant, la garnison de Laveno, forte de 650 hommes, embarqués sur les trois bateaux à vapeur autrichiens Radetzky, Benedeket Ticino, a abordé à Mogadino où cette troupe a été reçue en la manière usitée par le commandant des troupes fédérales. Les soldats de Garibaldi ont été dirigés sur Lucerne, le corps autrichien sur Coire, et l’ordre est donné de nourrir militairement et comme les milices fédérales ces troupes ainsi que celles d’autres corps qui seraient repoussées du théâtre de la guerre. Il a été en outre recommandé de traiter avec égard et ménagement les militaires qui passeraient ainsi sur territoire suisse, tout en leur faisant donner leur parole d’honneur qu’ils ne s’éloigneront pas des quartiers qui sont chaque fois assignés, sans en avoir obtenu la permission de l’autorité.
La question se présentera maintenant de savoir ce que l’on doit faire des hommes qui se sont réfugiés sur territoire suisse, si la Suisse doit les garder, jusqu’à quand et si, sans compromettre notre position neutre, elle peut les renvoyer chez eux, et dans ce cas à quelles conditions.
On ne saurait admettre que dans les cas donnés, la Suisse doive en quelque sorte exercer le droit de captivité de guerre en lieu et place des puissances belligérantes et l’on ne saurait faire découler pour elle une obligation semblable des principes consacrés par le droit des gens européen. Si la Suisse, ainsi que cela a maintenant eu lieu, accueille chez elle des détachements égarés, poursuivis ou coupés du corps principal et leur accorde un asile momentané, elle ne fait que remplir par là un acte d’humanité, mais nullement une obligation qui puisse lui être imposée par le droit des gens. La Suisse aurait bien plutôt le droit de repousser de telles troupes et de les abandonner aux chances de la guerre, si elle était indifférente au reproche de méconnaître les exigences de l’humanité et de se mettre au-dessus des préceptes d’une morale plus élevée.
Mais si la Suisse ne permet pas que les corps de troupes en déroute continuent à être poursuivis par le vainqueur, cela tient à sa position en qualité de puissance neutre dont chaque Etat étranger doit respecter la neutralité, sans parler de la circonstance que les considérations d’humanité ne sont pour rien à l’égard de ceux qui sont à la poursuite des vaincus.
La Suisse n’a, on peut l’affirmer sans crainte d’être contredit, que le devoir de pourvoir à ce que son territoire ne soit pas systématiquement utilisé comme lieu de refuge et en particulier à ce que les déserteurs n’abusent pas de l’asile généreusement accordé pour retourner par le même chemin, une fois le danger écarté, et prendre l’offensive au moment opportun après avoir quitté l’asile.
Si la Suisse observe absolument de la même manière envers les puissances belligérantes, avec loyauté et impartialité, les principes qui viennent d’être exposés, elle accomplit tout ce qu’on peut raisonnablement exiger d’un Etat neutre, puisqu’il n’existe pas de dispositions formelles relativement au cas dont il s’agit ici, non plus que des traités qui stipuleraient d’autres obligations, de telle sorte qu’il n’y a plus à consulter ici, que la voie de la raison, de l’équité et de l’impartialité.
La Suisse n’hésite d’ailleurs nullement à offrir des garanties positives que son territoire ne servira pas de réceptacle à des éléments qui pussent inquiéter les parties belligérantes et exposer au danger que leur action pût être contrecarrée et neutralisée depuis ce territoire.
La première garantie s’en trouve dans le fait qu’immédiatement après avoir franchi la frontière suisse, les troupes sont complètement désarmées, ainsi que le demande sans cela la propre dignité du pays qui accorde l’asile. Une autre garantie offrant toute sûreté consiste dans la disposition en vertu de laquelle les déserteurs sont éloignés du voisinage du théâtre de la guerre et transportés par delà les Alpes dans l’intérieur de la Suisse, mesure par laquelle les individus qu’elle concerne sont pour un certain temps tenus à distance du théâtre de la guerre et mis dans l’impossibilité de reprendre part à la lutte. Ce dernier but sera aussi atteint en ce que la réintégration des gens qui seront retenus en Suisse devra être précédée d’un arrangement avec leur pays d’origine ce qui ne laissera pas de prendre aussi un certain temps.
Enfin les armes enlevées aux déserteurs ne seraient restituées qu’après la guerre terminée.
Selon la manière de voir du Conseil fédéral, les puissances belligérantes ne sauraient attendre davantage de la part de la Suisse, et notamment l’on ne voudra pas exiger d’elle qu’elle héberge peut-être durant une série d’années de grandes masses de gens débandés et qu’en dépit de sa position neutre elle tienne en captivité de guerre des ressortissants d’Etats avec lesquels la Confédération se trouve dans les meilleurs rapports d’amitié. Il ne s’agit il est vrai pour le moment que d’un commencement dans de petites proportions, et il se peut même que le théâtre de la guerre s’éloignant de la Suisse, le territoire de celle-ci ne soit plus de si tôt du moins mis à réquisition dans une mesure notable, toutefois il ne nous en a pas moins paru convenable, indispensable même, de s’entendre dès le début et en toute franchise avec les puissances belligérantes sur les principes à observer dans cette direction, afin de fournir l’occasion de formuler en temps utile les observations qui pourraient être suggérées d’un côté ou de l’autre, disposée que la Confédération est à tenir compte des objections qui seraient présentées, pour autant que cela se puisse faire sans compromettre sa dignité et sa souveraineté.
Le Conseil fédéral fera observer en outre que le mode de procéder envers les déserteurs, tel qu’il a été mentionné, se justifie aussi pleinement par le motif que la Suisse ne possède pas de forteresses où ils pussent être consignés d’une manière sûre et que les casernes qui existent suffisent à peine aux propres besoins du pays, de telle sorte que le logement et la surveillance d’un grand nombre de militaires étrangers ne laisseraient pas d’entraîner des difficultés et des inconvénients très considérables.
Le Conseil fédéral ne passera pas non plus sous silence la circonstance que, à l’instar des bateaux à vapeur sardes, les bateaux autrichiens du lac Majeur se sont placés sous la protection de la neutralité suisse. Les bateaux des deux nations, cinq sardes et trois autrichiens, sont traités absolument sur le même pied. Maintenant que l’armée autrichienne s’est éloignée du lac Majeur, il pourrait être dans l’intérêt général que la navigation marchande fût de nouveau rendue libre, selon l’avis du Conseil fédéral, sous une surveillance et une direction neutre. En conséquence, les bateaux marchands qui doivent faire le service en général hisseraient le pavillon suisse, et le service se ferait sous la surveillance fédérale.
Quant à la contrebande de guerre, elle serait naturellement, là comme sur toute la frontière longeant le théâtre de la guerre, soumise après comme avant à une rigoureuse surveillance.
Si l’on résume les observations plus haut exposées, elles peuvent être ramenées aux points principaux ci-après.
1. Les militaires refoulés sur territoire suisse à la suite des événements de la guerre seront désarmés, internés au-delà des Alpes, et entretenus conformément au règlement fédéral.
2. La réintégration de ces gens fera l’objet d’une entente avec l’Etat auquel ils appartiennent.
3. Les armes qui leur auront été ôtées seront après le départ de la troupe retenues en Suisse jusqu’après la fin de la guerre.
4. Dans l’intérêt de la circulation et du trafic, la navigation marchande sur le lac Majeur est rendue libre, sous surveillance et direction neutre, et moyennant des précautions convenables contre la contrebande de guerre. La Suisse avisera aux dispositions utiles concernant l’emploi des bateaux nécessaires à cet effet.
Le Conseil fédéral prie Monsieur le Ministre résident de Sardaigne de bien vouloir porter à la connaissance de son haut gouvernement les vues ainsi que les propositions énoncées ci-dessus, et il se livre à l’espoir que l’on sera de toute part disposé à voir dans la conduite observée jusqu’à présent par la Suisse, une garantie suffisante de l’application loyale et impartiale des principes développés. Si, contre attente, les puissances n’y donnaient pas leur adhésion, la Suisse devrait se réserver de procéder alors d’après les principes qui résultent des égards dûs à sa souveraineté et à sa position comme Etat neutre.
- 1
- Note (Copie): E 2/406.↩