Classement thématique série 1848–1945:
III. AFFAIRE DE NEUCHÂTEL
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 245
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#443* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 74 | |
Dossier title | Neuenburgerhandel (1856–1856) | |
File reference archive | B.254 |
dodis.ch/41244
Recevez nos sincères remerciements pour vos importantes communications.
Permettez-moi de porter avant tout à votre connaissance ce qui, depuis notre dernier entretien, s’est passé dans le domaine de la diplomatie chez nous. Le plus important est une ouverture du Cabinet anglais qui propose des bases en vue d’un arrangement. Notre réponse est conçue absolument dans le même sens. Je joins ici des copies des deux pièces.2
Nous avons donné au Cabinet français connaissance de cette proposition de médiation de l’Angleterre ainsi que de notre réponse, en exprimant en même temps l’espoir qu’il appuyera un arrangement dans ce sens. Ceci a eu lieu depuis que l’Empereur vous a écrit.
M. Barman nous informe aujourd’hui, par lettre du 30 octobre3, que des instructions ont été envoyées il y a trois jours de Paris à M. Fénelon à Berne, pour qu’il ait à renouveler la demande d’élargissement des prisonniers. Cependant, M. de Fénelon ne nous a pas encore fait aucune ouverture, probablement parce que M. Gordon, Ministre de Grande-Bretagne à Berne, lui a aussi, dans l’intervalle donné connaissance de la proposition de médiation de l’Angleterre, et de la réponse que nous y avons faite, et qu’en conséquence M. de Fénelon n’aura pas demandé de nouvelles instructions.
De Vienne, nous avons des rapports que là personne ne croit à des complications sérieuses au sujet de Neuchâtel. Nous savons aussi d’une manière certaine que plusieurs Etats de la Confédération germanique promettent leur concours et leur adhésion en principe à la Prusse, en réponse à la circulaire prussienne bien connue, mais qu’ils manifestent des scrupules sérieux relativement à des mesures coercitives réelles contre la Suisse.
Selon mon avis, la question neuchâteloise commence à ne constituer qu’un moyen ou pour ainsi dire un avant poste pour d’autres combinaisons et constellations diplomatiques d’une plus haute portée entre les grandes puissances. L’alliance entre l’Angleterre et la France paraît déjà être très relâchée, à en croire tous les avis qui nous parviennent; un rapprochement entre l’Angleterre et l’Autriche se prépare. La France de son côté cherche à se rallier à la Russie et, comme intermédiaire, à la Prusse, et ces deux derniers Etats poursuivent le même but avec un zèle non moins grand. De là ce phénomène que, comme nous le savons positivement, par exemple, le Roi de Prusse, dans la question neuchâteloise fonde toutes ses espérances sur Louis Napoléon, et qu’en outre l’Empereur des Français ne néglige rien pour être agréable au Roi de Prusse, sans pour cela toutefois vouloir mal à la Suisse.
Suivant ma manière de voir il ne s’agit donc que de savoir quelle tournure prendront les affaires relativement aux plus grandes questions qui préoccupent l’Europe. Neuchâtel à lui seul est naturellement de fort peu de poids dans la balance, et à cause de Neuchâtel seul il n’y aura en tout cas pas de guerre. Mais la Suisse ne pourra déterminer ni calculer ces constellations politiques plus élevées et par conséquent elle devra, pour le cas où un arrangement honorable sera en quelque sorte possible, chercher décidément à y arriver.
Mais un arrangement tel que l’Empereur Napoléon le demande ne saurait avoir lieu; une adhésion de la Suisse à sa proposition constituerait pour elle une humiliation telle que d’après l’histoire elle n’a jamais acceptée. Je partage en ceci entièrement les idées que vous avez énoncées dans votre lettre à l’Empereur.4
Je suis d’accord avec vous en ceci que dans la démarche faite par L. Napoléon auprès de vous, l’on doit voir toute la gravité de la question. La Suisse devra se préparer à faire face à toutes les éventualités sérieuses, et ne pas reculer devant les plus grands sacrifices qui pourraient devenir nécessaires. Mais pour que le peuple soit prêt à supporter ces sacrifices et, qu’en cas de besoin, toute la nation se lève comme un seul homme et mette toute sa confiance dans ses autorités et ses chefs, il importe que les autorités puissent déclarer nous avons tout tenté et n’avons rien négligé de ce qui pouvait amener une solution pacifique et honorable du conflit.
Partant de ce point de vue, j’attache tout particulièrement une haute importance à la lettre de l’Empereur Napoléon. Nous ne pouvons l’ignorer sans nous exposer à une grave responsabilité, pour le cas d’un danger futur. Il ne faut pas qu’on puisse nous dire plus tard que, si nous n’avions pas laissé passer cette occasion sans en profiter, le danger ne nous aurait pas atteints.
Ainsi, l’idée m’est venue s’il ne conviendrait pas de vous charger d’une mission confidentielle auprès de l’Empereur Napoléon, mission dont le but principal serait d’éclairer l’Empereur sur la véritable situation pour le détourner d’un côté de son idée tendant à l’élargissement immédiat et sans conditions des prisonniers, idée à laquelle la Suisse ne saurait jamais souscrire, et pour apprendre de l’autre côté en quel sens il serait disposé à amener un arrangement.
Pour connaître votre opinion à ce sujet, une conférence personnelle entre vous et le Conseil serait sans doute opportune. J’en ai délibéré avec mes collègues, qui sont d’accord avec moi sur ce point. Par conséquent je prends la liberté de vous demander, M. le Général, si vous seriez disposé à vous rendre à cet effet à Berne. Vous avez déjà rendu tant de services à la patrie qu’il nous paraît presque indiscret de vous occasionner de nouveaux dérangements, mais nous savons que votre dévouement pour la patrie est au-dessus de tout.
Veuillez nous annoncer par le télégraphe si et quand nous pouvons vous attendre ici.
- 1
- Lettre (Minute): E 2/443.↩
- 2
- Cf. No 244.↩
- 3
- Non reproduite.↩
- 4
- Lettre de Dufour à Napoléon III du 30 octobre (non reproduite), en réponse à la lettre de Napoléon III du 24 octobre, ci-dessus No 243.↩