Classement thématique série 1848–1945:
I. RELATIONS BILATÉRALES
I.5. Confédération germanique
I.5.3. Réfugiés
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 1, doc. 28
volume linkBern 1990
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
Cote d'archives | CH-BAR#E21#1000/131#78* | |
Titre du dossier | Untersuchung gegen die deutschen Flüchtlinge Becker, Lommel, Hattemer, Heinzen und andere (1848–1849) | |
Référence archives | 11.2.1.1.4.1.01 |
dodis.ch/41027 Le Conseil fédéral au Conseil d’Etat de Genève1
Vous avez très bien compris les intentions confédérales de nos lettres au sujet de Heinzen2, et vous pouvez être persuadés que nous n’avons jamais supposé un instant que votre refus3 d’obtempérer à nos invitations fût dicté par le dessein d’apporter une opposition systématique à nos décisions. Nous n’en regrettons pas moins la divergence entre votre manière de voir et la nôtre au sujet d’un point aussi capital que l’application de l’article 57 de la Constitution fédérale.4
Puisque Heinzen a quitté Genève, nous n’avons aucun motif de donner une suite ultérieure aux invitations renfermées dans notre circulaire du 28 mars et dans nos lettres du même jour et du 18 avril, le but que nous devions nous proposer étant atteint par le fait même de l’éloignement de Heinzen.
Aussi ne nous arrêterons-nous pas davantage aux faits qui ont motivé notre décision. Nous devons seulement vous faire observer que le passage de notre lettre du 18 de ce mois, portant que nous possédons des documents signés par Becker, en qualité de président de la Société Hilf Dir et avoués par lui, avait essentiellement pour but de répondre au commencement de votre lettre du 3 avril où vous dites: «Un Monsieur J. Ph. Becker que vous qualifiez du titrede président d’une société que vous désignez sous le nom de Hilf Dir (Aide toi)», ces quelques lignes où vous paraissiez mettre en doute la réalité du fait avancé par nous.
Et puisque le langage tenu par Heinzen dans sa lettre publiée sous date du 2 avril5 vous paraît un motif suffisant d’expulsion, il nous semble que votre refus d’exécuter notre arrêté, parce que les autres motifs ne vous paraissaient pas suffisants, tombe devant cette circonstance bien qu’elle soit postérieure à notre arrêté. Nous l’avions d’ailleurs mentionnée dans notre seconde invitation sous date du 18 avril.
Mais, comme nous l’avons déjà dit dans notre précédent office, le point capital, c’est la question de compétence. Nous ne pouvons admettre avec vous, que le Conseil fédéral ne sera investi de l’autorité d’expulser de la Suisse des étrangers dangereux que lorsque une loi fédérale sur la police des étrangers aura précisé dans quelles limites et dans quels cas. S’il en était ainsi, le gouvernement fédéral serait impossible aussi longtemps que les lois pour la mise en vigueur de la Constitution fédérale ne seraient pas rendues. Ainsi l’article 74, no 1, veut qu’il y ait des lois sur Vorganisation et le mode de procéder des autorités fédérales.6 Or le Conseil fédéral n’est organisé par aucune loi, et cependant il est en pleine activité depuis le 21 novembre 1848. Les dispositions statuées par la Diète le 14 septembre 1848 touchant le Conseil national et le Conseil des Etats7 sont loin de satisfaire aux prescriptions de la Constitution fédérale, et cependant les deux Conseils sont réunis et délibèrent. Où en serait-on si les articles de la Constitution fédérale qui ne réservent pas expressément ou nécessairement des lois pour leur mise à exécution (par exemple les articles touchant l’administration de la justice fédérale) devaient attendre pour prendre vie que des lois aient statué sur leur application? Le Conseil fédéral en l’absence de ces lois, ne pourrait pas veiller à l’observation de la Constitution fédérale, notamment des garanties inscrites aux articles 41 et suivants8
. Pour obvier à cet inconvénient il faudrait élaborer avec précipitation une foule de lois et fatiguer l’Assemblée fédérale par des sessions d’une longueur qui nuirait aux délibérations. Non, en attendant ces lois, les autorités politiques, législatives et administratives appliquent les articles de la Constitution fédérale, chacune dans les limites qui ressortent du rapprochement des articles 749 et 9010
de la Constitution, c’est-à-dire que les mesures générales appartiennent, sauf les matières où la Constitution statue une exception, à l’Assemblée fédérale, et les applications des articles de la Constitution à des cas particuliers de la compétence du Conseil fédéral. Le décrêt de l’Assemblée fédérale du 27 novembre 184811
touchant les réfugiés italiens au Tessin, a déjà donné ce sens à l’article 57.
Cet article serait une lettre morte si le Conseil fédéral ne pouvait pas l’appliquer comme il est dit, en attendant la promulgation de lois fédérales sur la police des étrangers. Réunir l’Assemblée fédérale à l’extraordinaire en temps opportun n’est pas toujours possible. Convient-il d’ailleurs de lui soumettre la décision de cas particuliers, d’affaires de police plus ou moins personnelles? Cela ne nous paraît guère compatible avec le caractère d’une assemblée représentative.
Cette manière de voir est encore fortifiée si, comme nous vous l’avons déjà dit le 18 avril, on rapproche l’article 57 des numéros 8, 9,10 et surtout 11 de l’article 90 (et non pas 74) de la Constitution fédérale. Certes les attributions que ces paragraphes de l’article 90 confèrent au Conseil fédéral vont bien au-delà du pouvoir d’ordonner le renvoi de quelques étrangers qui compromettent la sûreté de la Suisse. Dans le cas qui nous occupe, celui de Heinzen, il s’agit de veiller à la sûreté extérieure de la Suisse et au maintien de sa neutralité, attributions que l’article 90, No 9, donne au Conseil fédéral.
Il n’en est pas des affaires de l’administration et de la police comme de celles de la justice, qui ne peut déployer son activité qu’en vertu de lois sur son organisation et la procédure.
La garantie contre les abus gît dans le contrôle de l’opinion publique et de l’Assemblée fédérale, à laquelle le Conseil fédéral doit rendre compte de sa gestion.
Au reste, nous ne saurions trop insister là-dessus, l’article 74, No 15, de la Constitution fédérale donne aux cantons le droit de réclamer auprès de l’Assemblée fédérale contre les mesures prises par le Conseil fédéral pour faire observer la Constitution fédérale, en vertu de l’art. 90, No 2.
Ce recours ne suspend point l’exécution de la décision; il n’y aurait lieu à suspendre que lorsque le Conseil fédéral l’autoriserait, ou que l’Assemblée fédérale, intervenant dans l’affaire, l’ordonnerait expressément.
Ce n’est point au Conseil fédéral à porter l’affaire à l’Assemblée fédérale puisqu’il est compétent et qu’il croit avoir bien décidé; c’est au canton qui croit que nous avons outrepassé nos attributions ou que nous avons mal décidé que le recours à l’Assemblée fédérale incombe.
A vrai dire, ce recours nous paraît maintenant sans objet puisque l’ordre de renvoyer Heinzen a sorti son effet; mais comme on a publié dans les journaux que le Conseil fédéral faisait tous ses efforts auprès de vous pour que l’affaire Heinzen ne fût pas portée à l’Assemblée fédérale, nous ne pouvons de moins que de vous déclarer que bien loin de redouter ce recours nous verrions avec beaucoup de plaisir que le Conseil national et le Conseil des Etats fussent dans le cas de se prononcer. Mais vous comprendrez que ce n’est pas à nous à appeler de notre décision auprès d’eux. Rien n’empêche que l’Assemblée ne soit nantie par d’autres, ou qu’elle ne se nantisse elle-même.
Si nous sommes revenus sur cette affaire, fidèles et chers Confédérés, c’est d’un côté pour vous donner une nouvelle preuve de nos intentions toutes de bonne harmonie confédérale, de l’autre pour que notre silence ne vous induisît pas en erreur en vous laissant croire que nous acceptons le sens donné par vous à l’art. 57 de la Constitution fédérale. Il importe que vous sachiez à quoi vous en tenir si pareil cas venait à se présenter de nouveau.
- 1
- Lettre: E 21/78.↩
- 2
- Circulaire aux cantons du 28 mars 1849 et lettre au Conseil d’Etat de Genève du 18 a vril 1849 (non reproduites), ordonnant l’expulsion de K. Heinzen du territoire suisse.↩
- 4
- La Confédération a le droit de renvoyer de son territoire les étrangers qui compromettent la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (RO I, p. 19).↩
- 5
- Dans la Berner Zeitung, No 96, du 6 avril 1849.↩
- 6
- RO I, p. 22.↩
- 7
- Arrêté concernant la mise en vigueur de la nouvelle Constitution fédérale (Recès de la Diète fédérale de 1848, t. II, p. 207-211).↩
- 8
- Garanties du libre établissement, du libre exercice du culte, delà liberté de la presse, etc. (RO I, p. 16-18).↩
- 9
- Compétences des Conseils législatifs (RO I, p. 22–24).↩
- 10
- Compétences du Conseil fédéral (RO I, p. 27–29).↩
- 11
- Cf. No 1, annexe.↩
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