Classement thématique série 1848–1945:
V. ÉMIGRATION
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 1, doc. 25
volume linkBern 1990
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2#1000/44#2061* | |
Old classification | CH-BAR E 2(-)1000/44 379 | |
Dossier title | Verschiedenes (1848–1862) | |
File reference archive | D.411 |
dodis.ch/41024 Pétition des instigateurs d’une Société nationale d’émigration aux députés de l’Assemblée fédérale1
La question de rémigration suisse nous paraissant être en ce moment une de celles qui méritent au plus haut degré de fixer votre attention, nous, soussignés, prenons la liberté de soumettre à votre examen quelques considérations sur ce sujet, dans l’espoir que vous voudrez bien vous en préoccuper sans trop de délais.
Dans notre pays, comme chez nos voisins, Immigration est un fait existant, fatalement et providentiellement nécessaire. Le nombre des Suisses desireux d’émigrer, loin de diminuer, va s’augmentant chaque année.
La Suisse, démocratiquement régie, peut-elle empêcher ses habitants d’émigrer? Non. Pour les retenir, elle n’aurait qu’un moyen rationnel. Ce serait de leur offrir, sur le sol de la mère patrie, propriété territoriale suffisante; indépendance et liberté individuelle; libre développement des facultés dans l’ordre et la paix.
A supposer qu’on mette en culture les terres encore incultes qui existent dans quelques localités de la Suisse; à supposer qu’on les abandonne en toute propriété (ce qui n’est guère possible), aux prolétaires qui les auraient défrichées, on ne pourra procurer ainsi l’indépendance individuelle qu’à deux ou trois mille personnes au plus. – Or, à cette heure, il y a en Suisse trente mille prolétaires au moins qui sont mécontents de leur position; qui aspirent à se créer par le travail une vie indépendante et libre sur le sol américain, et qui, tous, voudront réaliser tôt ou tard leurs projets d’émigration quoi que on dise et quoi que on fasse.
Dieu seul sait quand, par de sages réformes en tous genres, on pourra parvenir à satisfaire aux besoins et aux désirs légitimes de tous les prolétaires suisses, au point que plus aucun ne songe à émigrer.
Nous le répétons: L’émigration est et sera encore, pour un temps indéterminé, un fait existant, fatalement et providentiellement nécessaire.
Doit-on exciter à l’émigration? Non.
Mais si la Suisse ne peut et ne doit ni empêcher ni encourager l’émigration de ses habitants, il est de son devoir, de son honneur, de son intérêt de faire en sorte que cette émigration tourne du moins au plus grand avantage, soit des émigrants, soit de la mère patrie.
Le gouvernement suisse doit suivre du regard avec sollicitude des citoyens suisses que des circonstances impérieuses forcent à s’exiler dans des contrées lointaines. Il faut, pour l’honneur et dans l’intérêt de la Suisse que ces citoyens soient dirigés et protégés. Il faut que la réussite de leurs projets soit facilitée par tous les moyens possibles.
Personne n’ignore que, dans les ports de mer de l’Europe Occidentale et de l’Amérique; dans l’intérieur même du Continent Américain, les émigrants sont exposés à se voir indignement spoliés et trompés par des spéculateurs en tous genres. Il leur arrive souvent aussi d’errer longtemps avant de trouver, comme artisans, du travail dans les grandes villes du littoral. Les ouvriers américains y sont associés entre eux. Ils ne veulent pas voir baisser le prix de la main d’œuvre par le fait de la concurrence. Ils admettent difficilement dans les ateliers les émigrants qui ne leur sont pas spécialement recommandés. C’est seulement dans les nouvelles villes de l’Ouest, assez éloignées des ports, que les émigrants trouvent aisément de l’ouvrage bien rétribué. Comme agriculteurs, les émigrants mal renseignés n’ont pas moins de peine à se fixer. Ils ont bientôt dépensé en recherches inutiles, en voyages et en essais infructueux leurs dernières ressources. Il résulte de là que bon nombre d’entre eux sont de prime abord déçus dans leurs espérances et ne parviennent à les réaliser qu’après quelques années de pauvreté et de rude travail. Plusieurs même, perdant tout courage, toute énergie, se voient forcés de revenir en Suisse dépouillés de tout et de quitter, désillusionnés, une riche et fertile contrée où ils eussent probablement réussi s’il eussent été éclairés, protégés et sagement dirigés.
Si, avant de quitter la Suisse, les émigrants avaient une réelle et entière connaissance de l’Amérique; s’ils se rendaient clairement compte de ce qui les y attend dès leurs débuts; s’ils ne partaient pas avant qu’on leur eût procuré un emploi, un travail quelconque aux Etats-Unis; avant qu’on leur eût désigné un territoire convenable à leur établissement. – Ou bien, ils ne quitteraient pas le sol natal ou bien, ils le quitteraient sans avoir à craindre de déceptions.
Il serait sage, utile, honorable pour la Suisse de constituer aux frais de l’Etat des agents officiels et spéciaux ayant pour mission d’éclairer le public sur la question de Immigration et de diriger les émigrants.
L’un de ces agents résiderait habituellement au cœur des Etats-Unis; par exemple à St. Louis (Missouri). Il aurait pour mission de visiter et d’étudier les terrains les plus convenables à l’établissement des colons suisses au point de vue du sol, du climat, des débouchés commerciaux. Il rechercherait les localités ou les artisans seraient sûrs de trouver un travail lucratif dès leur arrivée. Il placerait les ouvriers et les apprentis et veillerait, si possible, à ce que ceux d’entre eux auxquels l’état ou une société particulière aurait avancé de l’argent, le remboursassent au terme et selon les conditions voulus. Pour peu que cet agent fût un homme actif, éclairé et intelligent, il serait éminemment utile aux émigrants suisses; mais, de plus, il pourrait éclairer le public suisse sur des problèmes d’industrie, de commerce, d’agriculture, d’économie politique et sociale qui demeurent encore obscurs en Europe, mais qui, aux Etats-Unis, se résolvent chaque jour, en toute liberté, d’une manière brillante.
Deux autres agents, l’un à New York, l’autre à la Nouvelle-Orléans, protégeraient et éclaireraient les émigrants au moment de leur débarquement. Ils leurs communiqueraient les renseignements fournis par l’agent de l’intérieur. Ils leurs désigneraient la voie la meilleure et la plus économique pour se rendre à destination.
Un agent résidant au Havre éclairerait et protégerait les émigrants au moment de leur embarquement. Il leur indiquerait les moyens de se procurer à bon compte des places sur le vaisseau, les vivres et autres objets nécessaires pour la traversée. Il transmettrait à un bureau de renseignements fixé à Berne les documents officiels fournis par les agents résidant en Amérique.
Les quatre agents seraient rétribués, proportionnellement chacun, à l’utilité et à la difficulté de ses fonctions. Au total, les frais ne dépasseraient pas chaque année une modique somme.
Quand les émigrants pourront compter sur une direction officielle, offrant des garanties suffisantes, il deviendra possible aux prolétaires d’émigrer pour les Etats-Unis avec une somme beaucoup plus faible et dans tous les cas mieux employée que celle dont ils ont besoin aujourd’hui et ils trouveront plus promptement un emploi avantageux de leur temps.
Une fois les agents directeurs de Immigration officiellement constitués, on pourra former avec fruit une société nationale d’émigration Suisse.
Cette société réunira dans son sein les diverses sociétés cantonales actuellement existantes, sauf adjonctions ultérieures.
La section centrale aura son siège à Berne. Elle transmettra aux sections cantonales les renseignements officiels fournis par l’agent gouvernemental de Immigration résidant au Havre et par le bureau de renseignement fixé à Berne. Chaque section répandra ces renseignements dans son canton respectif.
La société d’émigration éclairera le public sur l’opportunité, au point de vue économique et statistique de laisser partir tel ou tel nombre d’émigrants de telle ou telle localité.
La société fera auprès du public des appels de fonds en faveur des émigrants. Elle recherchera de quelle manière ces fonds pourront être le mieux répartis et employés.
Elle publiera si possible une feuille spéciale sur l’émigration.2