dodis.ch/39 Le Chef du DPF, le Conseiller fédéral Petitpierre, au Président de l’Assemblée générale de l’ONU Spaak1
[Non-adhésion aux Nations Unies et statut de neutralité perpétuelle]
La plupart des États restés neutres pendant la dernière guerre ont demandé récemment leur admission dans les Nations Unies.2 Il me paraît opportun de vous faire connaître brièvement les raisons pour lesquelles la Suisse n’est pas en mesure de vous adresser actuellement une telle demande et de vous donner quelques précisions sur sa position à l’égard des Nations Unies.
Le gouvernement et le peuple suisses ont toujours été et sont encore aujourd’hui prêts à s’associer activement à tous les efforts qui s’accomplissent en vue de créer et de maintenir dans le monde un régime de paix et de sécurité fondé sur le droit. Ils ont salué avec joie les buts proclamés par les Nations Unies dans la Charte de San Francisco et conformes à ceux constamment poursuivis par la Confédération. Ils partagent sans réserve les espoirs qu’a fait naître cet acte de sagesse, qui doit permettre un jour à tous les peuples réconciliés d’assurer en commun le développement harmonieux de la vie internationale.
Rien n’empêcherait donc en principe la Confédération d’adhérer aux Nations Unies, si le maintien de son statut international lui était assuré au sein de la nouvelle Organisation. Ce statut international est celui de la neutralité perpétuelle.3
La question de l’adhésion de la Suisse aux Nations Unies ne peut être tranchée ni par le Conseil fédéral ni par les Chambres fédérales. La décision appartient au peuple et aux cantons et ne peut être prise qu’à la double majorité du peuple et des cantons. Il n’y a guère de doute que, si aujourd’hui ou demain, le peuple et les cantons étaient appelés à choisir entre une adhésion inconditionnelle aux Nations Unies et la neutralité, ils se prononceraient pour le maintien du régime actuel, non par hostilité ou indifférence à l’égard des Nations Unies, mais par attachement à un statut consacré par la Constitution, que le peuple suisse s’est librement donnée, reconnu à plusieurs reprises comme un principe du droit des gens par les Puissances européennes, et auquel la Suisse doit son indépendance et sa paix intérieure. Le peuple suisse est en outre convaincu, en se fondant sur l’expérience, que son statut de neutralité dans les périodes de guerre, grâce aux actions qu’il rend possibles, lui permet de manifester d’une façon plus efficace sa solidarité avec les autres peuples et de rendre plus de services à la cause de l’humanité que s’il abandonnait ce statut pour s’associer lui-même à un groupe de belligérants.
Le Conseil fédéral pense donc qu’il faut éviter que la question d’une adhésion éventuelle aux Nations Unies ne soit posée sous la forme d’une alternative et juge qu’il serait inopportun de procéder aujourd’hui à une consultation populaire.
La position actuelle de la Confédération à l’égard des Nations Unies se présente ainsi:
Si l’on admet qu’il y a une incompatibilité absolue entre le statut international de la Suisse, auquel celle-ci entend demeurer fidèle, et la qualité de membre des Nations Unies, la Suisse ne peut pas adhérer à celles-ci, mais elle est prête à participer à toutes les activités internationales qui pourraient s’exercer, en dehors du plan strictement politique et militaire, sous l’égide des Nations Unies. Bien plus, vous savez que la Suisse est prête à faciliter l’activité des Nations Unies sur son territoire, dans la mesure où elles jugeront opportun d’utiliser pour y tenir des réunions et pour y installer des services, les bâtiments qu’elles ont repris à Genève de la Société des Nations.4
Si, malgré les dispositions de la Charte, les Nations Unies envisagent que le statut international exceptionnel de la Suisse peut être reconnu en cas d’admission de celle-ci comme membre des Nations Unies, le Conseil fédéral est prêt à examiner si d’autres obligations pourraient être assumées par la Confédération au sein de la nouvelle Organisation en lieu et place de celles dont elle serait dispensée.
En exprimant l’espoir que les Nations Unies comprendront les raisons profondes pour lesquelles la Suisse ne peut solliciter son admission inconditionnelle dans les Nations Unies, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.