Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 21, Dok. 110
volume linkZürich/Locarno/Genève 2007
Mehr… |▼▶Aufbewahrungsort
Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#7* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 4 | |
Dossiertitel | Akkra, Politische Berichte und Briefe, Band 1 (1960–1962) |
dodis.ch/15586 Remise des lettres de créance au Président Nkrumah
Avec un préavis de 24 heures, j’ai été appelé à présenter mercredi aprèsmidi le 16 novembre mes lettres de créance au Président Kwame Nkrumah.
Le Ministre des Affaires étrangères2 m’attendait dans une antichambre. Au cours d’une conversation à bâtons rompus, j’évoquais le rôle déterminant qu’il avait joué dans l’accession au pouvoir de Nkrumah puisque ce fut lui,
Ako Adjei, qui engagea à la fin de 1947 les dirigeants du parti nationaliste bourgeois «UnitedGold Coast Convention», en quête d’un secrétaire général entreprenant, à faire venir de Londres l’actuel Président. Le Ministre se retrancha derrière la barrière d’humilité que les subalternes élèvent autour du culte de la personnalité.
Or, l’image qu’allait projeter Nkrumah ne répondit en rien à la glorification de sa personne dont l’accusent ses adversaires, intérieurs et étrangers. A l’annonce de mon nom par le Ministre, il se leva de son siège, fit le tour de son bureau, me serra la main, congédia l’introducteur. Je m’assis à ses côtés et lui tendis les lettres de créance, qu’il lut attentivement. Dans cette pose, en tête à tête, j’aurais émis une fausse note en lui détaillant la brève allocution de circonstance que j’avais préparée. Je lui présentai donc le texte dont il prit connaissance avec la même attention. Il parut en approuver les termes et en chaîna avec des paroles cordiales à l’adresse de la Suisse et de ses dirigeants.
Les propos sur le Congo, sur l’idéal panafricain, n’apportèrent pas d’élément nouveau.
Toujours très détendu, en élégant costume européen, le Président me ramena dans l’antichambre, où nous bûmes à la santé de nos pays. De cette entrevue, marquée d’aucune affectation, j’emporte le souvenir d’une personnalité suffisamment forte et originale pour se donner en toute simplicité devant un visiteur occidental. Si les apparences ne trompent pas, le Président Nkrumah apparaît dans les meilleures dispositions à notre égard.
Comment expliquer ce contraste entre l’impression que je ressentis et la vénération quasi mystique dont «Osagyefo», le Sauveur, se fait entourer depuis la proclamation de la République? Mon analyse remonte aux origines même des mouvements nationalistes africains, éclos peu avant la Seconde Guerre mondiale. L’objectif primaire des agitateurs fut de corriger les rapports inégaux du régime colonial. L’autonomie interne, l’indépendance, s’ajoutèrent en surimpression après la guerre, à l’exemple du processus d’émancipation en Asie. Le premier obstacle à surmonter pour un parti nationaliste avait été de prendre appui sur une plate-forme politique. Or, paradoxalement pour les nationalistes, la conception de nations africaines n’existait pas. Façonnées au gré des rivalités coloniales, qui s’étaient fort peu embarrassées de respecter les ethnies africaines, les colonies ne représentèrent jamais une notion abstraite pour leurs habitants. La réalité charnelle de l’appartenance à une communauté ne suivait pas le tracé des frontières du traité de Berlin (1885), mais bien le contour des tribus. Comme ce «patriotisme» tribal ne pouvait pas rivaliser avec les entités politiques que les puissances coloniales marquaient de leur empreinte propre, force fut aux leaders africains de chercher à donner une personnalité nationale à un simple découpage géographique.
Nkrumah, et c’est là que réside son originalité et son rôle de précurseur, fut sans doute le premier à en prendre conscience. Le nom de «Ghana» qu’il donna à la Côte de l’Or appuie cette hypothèse. Au 8 ème siècle, des auteurs arabes signalent l’existence d’un vaste empire, qui tombera en l’espace de
15 ans (1061–1076) sous les coups de Berbères fanatisés par un prédicateur musulman, les Almoravides. L’empire du Mali lui succèdera. Mais ce Ghana plus ou moins mythique s’étendait en pleine savane soudanaise, de la Mauritanie au nord du Nigeria. Jamais, semble-t-il, il n’a franchi la zone de forêt dense tropicale, et à plus forte raison n’atteignit pas la côte. Usurpation de titre, donc, mais supercherie habile puisque Nkrumah dotait ainsi son pays d’une généalogie. Continent sans écriture, à l’exception de la vallée du Nil et de l’Ethiopie, et par conséquent sans histoire écrite, l’Afrique éprouve le besoin de se créer un passé. En réaction contre «le temps des Blancs», elle y cherche les bases d’une conscience historique continue. Certes, l’histoire considérée comme une source de réactions émotives risque d’aboutir à une sélection des événements du passé pour glorifier le jeune Etat. Les outrances prêtent à la raillerie. Des cartes postales illustrant l’histoire du Ghana, en vente publique, dépeignent les Africains enseignant l’alphabet, les mathématiques, la chimie, la médecine, aux Grecs. Esope inculque à ceux-ci la sagesse africaine. Tyron, secrétaire africain de Cicéron, est l’inventeur de la sténographie…
Sur de telles assises, il devenait possible d’édifier une nation. Rien de plus proche de l’âme africaine que l’incarnation de la communauté dans un chef. D’essence divine, intermédiaire entre le passé glorieux des ancêtres et le présent, concentrant en sa personne les forces surnaturelles de la tribu, le chef politique ou religieux est le foyer vers lequel convergent les engagements personnels contractés par serment, hymnes, formules laudatives. N’était-il pas tentant pour Nkrumah auquel douze ans passés dans les universités américaines et anglaises, de 1935 à 1947, avaient révélé les possibilités de l’organisation politique, de mobiliser les émotions innées en vue de tendre les volontés vers l’unité? Qui veut la fin veut les moyens. La fin, c’est d’atteindre en brûlant les étapes cette «efficacité» moderne dont les états totalitaires paraissent posséder la meilleure recette. Les moyens: ériger son propre piédestal, s’y faire jucher puis maintenir par un parti à votre dévotion. Attitude risible aux yeux des leaders africains d’expression française, ouverts aux lumières du cartésianisme, ou des chefs féodaux musulmans, peu enclins à s’en laisser conter. Mais attitude parfaitement naturelle pour l’Africain, demeuré fétichiste même sous un vernis chrétien ou musulman. Nkrumah qui m’a montré sa face européenne est resté africain dans ses fibres profondes. Il peut donc se présenter tout aussi bien sous les traits du chef politique moderne que sous ceux d’un sauveur mystique de l’Afrique.
De cette ambivalence même résulte la difficulté de prédire la direction que prendra le «Nkrumahisme». Il tend à des méthodes totalitaires qui permettent de compenser l’absence d’unité nationale en brisant l’opposition, et de combler le retard attribué au fait colonial. Il concentre le pouvoir entre les mains d’un seul, et le pouvoir absolu risque de corrompre son détenteur. Mais peut-être ne voyons-nous qu’une façade, dont les prétentions, les excès, recouvrent une gestation originale. Si d’une part l’Africain est porté à la mise en commun des ressources et des biens par la tradition tribale, il n’obéit pas d’autre part aux ressorts des formes connues de totalitarisme: opposition de classes sociales, pression démographique, misère physiologique.
- 1
- Rapport politique: E 2300(-)1000/716/4.↩
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