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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 20, doc. 120
volume linkZürich/Locarno/Genève 2004
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001E#1972/33#2176* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(E)1972/33 53 | |
Dossier title | Sozialversicherungsfragen für Grenzgänger. (Statut der Grenzgänger, Familienzulagen, Arbeitslosenversicherung) (1954–1959) | |
File reference archive | B.11.21.1.(1) • Additional component: Frankreich |
dodis.ch/11473
Les négociations ouvertes le 28 mai relatives au régime des travailleurs frontaliers, à l’assurance-chômage et au placement, ainsi qu’au Fonds national français de solidarité ont pris fin le 31 mai. Je ne suis cependant pas encore à même de vous présenter un rapport définitif, car le procès-verbal2 doit être mis au point d’entente avec le chef de la Délégation française, M. le Ministre Monod, qui a dû s’absenter, et surtout j’attends encore de lui une réponse sur l’attitude que prendront nos partenaires pour le proche avenir. Je voudrais cependant, sans plus tarder, en me bornant à l’essentiel vous informer de la situation telle qu’elle se présente au lendemain de ces travaux.
D’emblée, je dois marquer la vive déception que M. Saxer, moi-même et tous les membres des deux délégations suisses ont éprouvée en constatant que le Chef de la Délégation française avait pour mission de lier les questions à l’ordre du jour des deux négociations, et qu’en outre, il n’avait pas les pouvoirs nécessaires pour engager son Gouvernement. Avant d’entrer en matière il précisait en effet que les discussions ne pouvaient s’engager que sur le plan technique; il souhaitait vivement qu’elles aboutissent à des projets de conventions, mais la décision véritable ne serait prise qu’ultérieurement, les prérogatives gouvernementales étant entièrement réservées. En clair, cela revenait à dire que la Convention relative au Fonds national de solidarité ne saurait être conclue avant que les revendications françaises concernant le statut des frontaliers, le régime des allocations familiales, l’assurance-chômage et le placement aient été satisfaites.
Cette position n’était pas conforme à ce qui avait été convenu d’un commun accord. Il avait été bien précisé préalablement que les deux négociations portaient sur des objets distincts et resteraient bien séparées. En cédant à la requête de notre partenaire qui les voulait simultanées, nous tenions compte simplement du motif qu’elle invoquait soit que, du côté français, les mêmes administrations et les mêmes délégués étaient compétents pour traiter les deux problèmes.
Je n’irai pas jusqu’à dire que le risque de voir lier toutes ces questions nous ait échappé et n’ait pas été envisagé au cours des travaux préparatoires à Berne, ni qu’aucune allusion n’y ait été faite officieusement par M. Monod ou d’autres fonctionnaires. Mais c’est précisément parce que cette crainte existait que la position suisse avait été annoncée sans ambiguïté.
En présence d’entrée de cause, d’une telle situation on pouvait hésiter à engager les pourparlers. Je dois dire que l’attitude prise par la France a été présentée avec courtoisie par M. Monod; que ses propos ne paraissaient pas exclure la signature très rapide, voire au terme des pourparlers, d’engagements définitifs si les délibérations conduisaient à des résultats jugés satisfaisants dans leur ensemble; comme il ignorait encore les réponses très favorables que nous apportions à plusieurs revendications françaises relatives aux frontaliers, de même que les arguments positifs qu M. Saxer entendait développer en matière de sécurité sociale, j’ai pas cru devoir m’opposer à ce que la délégation que je présidais entrât en matière et M. Saxer fit de même l’après-midi. Il va sans dire cependant qu’avant d’accepter que les travaux se poursuivent je marquai bien que notre pays était l’objet d’un traitement discriminatoire puisque la France avait déjà accordé à l’Italie, à la Belgique et au Luxembourg les avantages du Fonds national de solidarité au terme de négociations apparemment indépendantes de tous autres sujets; qu’au surplus la réciprocité exigée dans ce domaine était déjà acquise depuis longtemps en faveur des Français établis en Suisse, et que nous devions maintenir qu’il n’existait pas de rapport entre les questions frontalières et le Fonds national de solidarité.
Dans leur second stade, les pourparlers, malgré le malaise qui a pesé sur la Délégation suisse, ont donné des résultats positifs sauf en ce qui concerne le régime des allocations familiales. Je reviendrai dans mon prochain rapport en détail sur les divers points de l’ordre du jour et les textes élaborés y seront annexés.
1. Fonds national de solidarité3
En résumé, le projet de convention relatif au Fonds national de solidarité, préparé il y a plusieurs mois par l’Ambassade et le Ministère des Affaires sociales a été mis au point. Il sera repris comme proposition suisse, mais au point de vue technique nous savons qu’il ne soulève pas d’objection. Comme sa signature et sa mise en vigueur doivent être différées, l’effet rétroactif qu’il sera susceptible de déployer n’a pu être fixé. A l’occasion de ces pourparlers a été mis au point et signé un protocole annexe4 à la Convention du 9 juillet 1949 relative à l’assurance-vieillesse et survivants5. Ce texte ne fait en réalité que régulariser une situation acquise concernant les rentes de vieillesse accordées aux non salariés. Il n’ouvre donc pas de droits nouveaux à nos compatriotes.
2. Assurance-chômage et service public de placement
La Délégation suisse a déclaré que les autorités fédérales étaient disposées à autoriser les travailleurs français sous permis de séjour à s’assurer contre le chômage et à les faire bénéficier du service public de placement dans les mêmes conditions que les nationaux. Bien que cet engagement résulte d’obligations contractées depuis fort longtemps, il n’en représente pas moins un avantage car la réciprocité de droit en cette matière favorise plutôt les Français en Suisse que les Suisses en France.
3. Garanties de stabilité données aux travailleurs frontaliers
et autorisation de changer d’emploi, mais non de profession
durant la validité de la carte de travail
Le projet d’accord présenté par la Délégation suisse a été jugé satisfaisant dans son ensemble. Il faut souligner que s’il prévoit des droits réciproques, il constitue en fait une concession unilatérale car on ne compte que 200 frontaliers suisses environ allant travailler en France alors que plusieurs milliers de Français travaillent en Suisse. La Délégation française fait encore quelques réserves sur ce texte, notamment en ce qui concerne les frontaliers exerçant une activité saisonnière, et voudrait que le chômage involontaire et de courte durée soit assimilé à une période de travail. A défaut d’une modification de l’accord élaboré et qui lui donne satisfaction dans l’ensemble, des apaisements et des précisions pourraient lui être offerts par une note interprétative.
4. Régime des allocations familiales
Le seul point sur lequel l’entente paraît très malaisée a trait au régime des allocations familiales. Il faut tout de suite marquer que des solutions positives ne paraissent pas exclues dans le secteur agricole, où les institutions suisses et françaises conduisent à une double affiliation des agriculteurs possédant ou exploitant des terres de part et d’autre de la frontière. Cette double affiliation est vivement critiquée, surtout par les amodiataires vaudois, car les caisses françaises ne versent pas de prestations aux pacagers et bergers suisses dont la famille continue à résider en Suisse. Ce problème n’est pas résolu, mais une sous-commission qui n’a pas tout à fait terminé ses travaux suggérera sous peu des principes, voire des textes, susceptibles de satisfaire les revendications vaudoises et françaises et auxquels d’autres cantons se rallieraient peut-être.
Cette parenthèse faite à propos du secteur agricole, la Délégation suisse devait exprimer le vœu que soient rétablies, au profit des frontaliers venant de France, les allocations familiales françaises, supprimées par un décret-loi de mai 1955. La Délégation française a repris la thèse présentée en octobre dernier6: ce rétablissement est impossible car les caisses françaises n’encaissent aucune cotisation pour ces travailleurs de la part des employeurs, qui se trouvent en Suisse. Ceux-ci cotisent en revanche auprès des caisses familiales suisses qui, elles, ne sont pas tenues d’assurer en contrepartie des prestations en faveur des enfants domiciliés en zone frontalière française. Le système français, dit-elle, comme le système suisse, est fondé sur la territorialité des prestations; cependant la France déroge par convention au principe territorial en faveur des frontaliers domiciliés à l’étranger mais travaillant en France. A la demande suisse, qui est en réalité une revendication de Genève où travaillent 1700 frontaliers français, la Délégation française oppose une contre-revendication. Elle entend que les prestations familiales suisses, avant tout genevoises, soient accordées aux travailleurs frontaliers du Pays de Gex et de Haute-Savoie et n’omet pas de souligner que les caisses professionnelles ou cantonales reçoivent déjà depuis plusieurs années les cotisations patronales.
C’est précisément de cette revendication affirmée formellement pour la première fois mais connue depuis longtemps que la Délégation française fait dépendre le sort de la Convention sur le Fonds national de solidarité. En séance interne ou en privé, plusieurs membres de la Délégation suisse ont fait entendre que la position genevoise ne leur paraissait guère défendable. Les délégués genevois ont de leur côté objecté que les autorités cantonales étaient fermement attachées au principe territorial, qu’une dérogation comportait des risques financiers graves car la brèche ouverte au profit des frontaliers français serait aussitôt élargie au profit de milliers de saisonniers italiens; qu’enfin en conférences intercantonales non seulement d’autres cantons avaient manifesté la même crainte mais que l’administration fédérale elle-même avait engagé les cantons à demeurer négatifs. Pendant la trêve de l’Ascension, l’occasion me fut donnée de m’entretenir avec M. le Conseiller d’Etat Treina de cette question, en présence de M. Saxer et de la Délégation genevoise. Il convînt que l’ensemble des négociations était bloqué du fait de son canton. Il ne pouvait modifier de son chef les instructions données mais s’engagea à saisir le Conseil d’Etat dès le lendemain et à me communiquer le résultat des délibérations. Dans la matinée du 31 mai, j’étais informé en effet que le Gouvernement genevois renonçait à écarter a priori la demande française, et acceptait de la mettre à l’étude sans préjuger toutefois des conclusions auxquelles il parviendrait ni de la décision que prendrait finalement le Grand Conseil si une modification de la loi cantonale lui était proposée.
S’il n’était ainsi possible d’apporter à nos partenaires qu’un engagement conditionnel du Gouvernement genevois, il était cependant permis d’espérer que cette satisfaction, jointe à celles qu’ils avaient déjà reçues, les conduirait à sortir de leur réserve pour entrer dans la voie d’accords définitifs. Dès la reprise des travaux, les deux délégations suisses n’en formant plus qu’une, j’exprimai la déception et le malaise que nous avions ressentis dès l’ouverture des pourparlers du fait de la position prise par la Délégation française et de la pression qu’elle exerçait en associant étroitement des problèmes qui n’avaient rien de commun, comme en suspendant toute décision à une sorte de préalable politique. Puis, je fis le bilan en mettant en évidence la volonté manifeste d’aboutir dont nous avions fourni la preuve par les réponses favorables données en matière d’assurance-chômage, de placement, comme sur le statut des travailleurs frontaliers. Je rappelai encore que les prestations de vieillesse suisses accordées aux Français de Suisse représentaient par avance et très largement la contrepartie des allocations servies en France par le Fonds de solidarité; qu’en matière d’allocations familiales des solutions étaient en vue dans le secteur agricole et qu’enfin, à propos de la dernière des demandes françaises et la seule non résolue, la déclaration de Genève apportait un changement de climat et ouvrait des espoirs.
J’ajoutai alors en substance que si ce bilan, d’autant plus positif qu’il était formé de concessions quasi unilatérales, n’était pas jugé suffisant, si la Délégation française estimait toujours devoir lier le Fonds de solidarité national aux autres questions, toutes les propositions que nous avions faites devaient également être considérées comme un tout qui serait aussi remis en cause. J’avançai que ce ne serait peut-être pas le meilleur moyen de préparer le terrain où le Gouvernement accepte de s’engager que de tout laisser en suspens.
M. Monod qualifia cette déclaration de courtois réquisitoire et affirma à nouveau qu’aux yeux du Gouvernement français des questions certes distinctes par leur objet formaient un tout et qu’un règlement d’ensemble mettrait fin aux difficultés éprouvées dans le domaine de l’établissement, du travail et des relations sociales depuis deux ans et plus. Avec d’autres pays, la négociation sur le Fonds national de solidarité se serait aussi inscrite dans un contexte plus général et la Suisse n’est pas l’objet d’une discrimination. Il confirma également que la Délégation française attache une très grande importance au règlement du problème des allocations familiales des frontaliers. Il n’est pas concevable qu’il reste sans solution sur une seule partie de la frontière et il est normal de la rechercher dans le sens où évolue très nettement le droit international.
Après avoir simplement relevé que la déclaration de Genève faisait espérer une réponse concrète qui viendrait s’ajouter à celles obtenues, M. Monod conclut en propres termes: «Si nous souhaitons tous qu’un accord intervienne favorablement, je pense que nous pouvons envisager pour bientôt qu’il s’applique à l’ensemble des problèmes.»
Les négociations se sont pratiquement achevées sur cette note. La fin de la séance fut consacrée à l’examen des textes élaborés et des groupes furent constitués pour rédiger le lendemain un procès-verbal.
Comment convient-il d’apprécier actuellement la situation?
M. Monod qui s’est rendu à Genève pour quelques jours n’a pu rendre compte de sa mission et peut-être trouvera-t-il à son retour un nouveau gouvernement. Quoi qu’il en soit, il m’a donné l’assurance qu’il reprendrait contact avec moi sous peu. J’ai peu d’espoir que les réserves finales qu’il était nécessaire de faire sur tous les points où nous pouvions donner satisfaction à notre partenaire modifient sa position et l’amènent à conclure quoi que ce soit de définitif avant que la question des allocations familiales soit sinon complètement résolue du moins en bonne voie de l’être, à Genève pour le moins. Je présume qu’il ne serait cependant pas inutile de faire connaître à M. l’Ambassadeur Dennery que la méthode adoptée à notre égard fait une impression plus que désagréable et que nous continuons à estimer qu’elle n’est guère équitable. Quelle que soit la qualification juridique, plus ou moins subtile, du Fonds de solidarité, il apparaît comme une pièce de la Sécurité sociale, domaine dans lequel la Convention franco-suisse établit nos relations sur le principe de l’assimilation au national. A ce seul titre, et compte tenu de l’équivalence des prestations, la conclusion de l’accord s’imposait. Que la France ait utilisé ce moyen pour obtenir des concessions dans un autre domaine où les cantons sont souverains est critiquable mais défendable à la rigueur. Ce qui ne l’est pas, me semble-t-il, c’est d’exercer cette pression jusqu’à la dernière limite comme on semble vouloir le faire. C’est pourquoi je pense que l’écho à Paris de la conversation que vous pourriez avoir à ce sujet avec M. Dennery aurait quelque effet.
Ceci dit, je ne pense pas qu’il serait opportun de rester retranchés dans la réserve que nous avons adoptée à notre tour. Ce genre d’épreuve de force conduit rarement à d’heureux résultats. Il ne faut pas oublier non plus que ce sont, d’une part les plus déshérités de nos compatriotes et, d’autre part, leurs cantons et communes d’origine, auxquels fait tort l’absence d’une convention sur le Fonds national de solidarité. En dernière analyse, le nœud du problème est à Genève. Il sera tranché par le Gouvernement, qui à ma connaissance est encore divisé sur cette question, puis par le Grand Conseil. Dans la meilleure des hypothèses, la procédure risque d’être fort lente et de retarder longuement la solution d’une question d’intérêt général. J’en viens donc naturellement à me demander si ce n’est pas avec les magistrats genevois qu’un échange de vues direct et prochain devrait avoir lieu. Je prends la liberté de vous en faire la suggestion en demeurant à votre entière disposition pour compléter votre information.
- 1
- Lettre: E 2001(E)1972/33/53.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Sur cette question, cf. le dossier Abkommen mit Frankreich betr. – Fonds de solidarité – Verhandlungen, E 2001(E)1970/217/123.↩
- 4
- Non reproduit.↩
- 5
- Pour la convention du 9 juillet 1949, cf. RO, 1950, pp. 1164–1189, (dodis.ch/2495).↩
- 6
- Sur les négociations d’octobre 1956, cf. PVCF No 2194 du 21 décembre 1956, E 1004.1(-) -/1/596.↩
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