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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 396
volume linkBern 1992
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2800#1967/61#179* | |
Old classification | CH-BAR E 2800(-)1967/61 93 | |
Dossier title | Division des Intérêts étrangers. Notes (1944–1948) | |
File reference archive | 33 |
dodis.ch/48000Aide-Mémoire du Département politique sur la situation des prisonniers de guerre détenus en Allemagne12
MÉMORANDUMEN RÉPONSE AU MÉMORANDUM REMIS LE 21 FÉVRIER 1945 À M. LE CONSEILLER FÉDÉRAL PETITPIERRE, CHEF DU DÉPARTERMENT POLITIQUE FÉDÉRAL, PAR M. LAUGHLIN CURRIE
Le Département Politique fédéral a examiné avec soin les points soulevés au sujet de la situation des prisonniers de guerre détenus en Allemagne. Bien que toutes les mesures en leur pouvoir aient déjà été prises par les Autorités suisses en vue d’assurer une protection aussi efficace que possible des prisonniers de guerre américains, la Division des Intérêts étrangers ne manquera pas de faire part aux représentants suisses des observations du Ministère de la Guerre des Etats-Unis et de leur recommander de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour apporter un allégement à la situation actuelle. Le Département Politique est dès maintenant en mesure de répondre comme suit à chacun des points soulevés dans le mémorandum du 21 février. Pour ce qui est des points 8 et 9, il y a lieu de relever qu’il s’agit de domaines relevant du Comité International de la Croix-Rouge. S’inspirant de considérations d’ordre pratique, le Département en a communiqué la teneur au Comité qui s’est déclaré d’accord pour les mêmes raisons, que ses remarques soient incorporées dans le présent mémorandum. Les points 8 et 9 ci-dessous sont donc empruntés à la documentation fournie par le Comité international.
1 ° La question de l’augmentation du nombre des inspecteurs suisses chargés de visiter les camps de prisonniers en Allemagne est subordonnée à la permission des Autorités allemandes de faire des visites beaucoup plus fréquemment. Plusieurs démarches ont déjà été faites en Allemagne à la requête soit des Autorités américaines, soit des Autorités britanniques, mais les Autorités allemandes compétentes se sont toujours opposées à des visites plus rapprochées. Toutefois, à la suite d’une nouvelle démarche faite par la Division spéciale de la Légation de Suisse à Berlin au mois de février dernier, un représentant de l’Office allemand des Affaires étrangères avait déclaré oralement que les Autorités allemandes admettraient des visites à intervalles plus courts. Si, en se basant sur cette décision, les représentants suisses pouvaient obtenir l’autorisation d’effectuer chaque mois une inspection des camps les plus importants, la Suisse prendrait sans retard les dispositions utiles pour l’envoi de nouveaux inspecteurs de camps.
A ce propos, le Département Politique tient à attirer l’attention des Autorités américaines sur le fait que si le nombre des voyages d’inspection pouvait être augmenté, il en résulterait un besoin plus grand, pour les représentants suisses, d’automobiles et de carburant. Il conviendrait donc de mettre à la disposition de la Division spéciale de la Légation de Suisse en Allemagne de nouvelles voitures et de plus fortes quantités d’essence, ce que la Suisse ne serait pas en mesure de faire dans les circonstances actuelles. Dans ces conditions, la Division saurait gré aux Autorités américaines de bien vouloir dès maintenant vouer leur attention à cette question.
2° Pour chaque cas de militaires américains tués qui est parvenu à leur connaissance, les représentants suisses ont toujours cherché à obtenir aussitôt que possible des renseignements complets. Leur tâche n’est pourtant pas aisée, car les Autorités allemandes n’admettent pas que les représentants suisses fassent eux-mêmes des enquêtes, en sorte que des détails ne peuvent être obtenus que des hommes de confiance des camps qui ne sont pas toujours bien informés.
Dans ces conditions, la Division spéciale de la Légation de Suisse à Berlin ne peut préparer un rapport qu’en s’adressant aux Autorités allemandes, mais ce moyen présente l’inconvénient de retarder considérablement l’envoi du rapport, car il est rarement possible aux Autorités compétentes en Allemagne de fournir rapidement les détails nécessaires.
Dans le cas particulier du soldat John L. Rossi, signalé dans le mémorandum du 21 février, la Division spéciale de la Légation de Suisse à Berlin a été chargée à plusieurs reprises déjà d’intervenir auprès des Autorités allemandes. L’absence d’une réponse fait supposer que les Autorités allemandes compétentes n’ont pas encore pu fournir toutes les précisions demandées. La Division des Intérêts étrangers chargera derechef son représentant à Berlin d’insister auprès de l’Office allemand des Affaires étrangères pour qu’un rapport soit remis dans le plus bref délai possible.
3° Une étude approfondie de la Convention de Genève du 27 juillet 1929 relative au traitement des prisonniers de guerre fait partie de la formation imposée aux inspecteurs suisses. Les Autorités américaines peuvent du reste se rendre compte de la connaissance qu’ont les inspecteurs suisses des dispositions de la Convention en examinant les rapports rédigés sur leurs visites des camps, ces rapports étant préparés sur la base de la Convention en faisant fréquemment allusion à l’un ou l’autre des articles. Pour les réclamations présentées aux Autorités allemandes à la suite de visites de camps, les représentants suisses invoquent constamment les dispositions de la Convention de Genève.
4° Un examen des rapports rédigés par les inspecteurs de camps sera suffisant pour permettre aux Autorités américaines de se convaincre de tout l’intérêt que la Suisse, en sa qualité de Puissance protectrice, ainsi que les inspecteurs suisses eux-mêmes, portent au confort et au bien-être des prisonniers de guerre. Chaque fois qu’une question est soulevée au cours d’une visite dans un camp, les inspecteurs suisses l’examinent avec attention et bienveillance et s’efforcent d’y donner une suite favorable en la signalant soit aux Autorités allemandes, soit aux Autorités américaines.
5° Il est exact que les Autorités allemandes ne concèdent pas trop librement aux prisonniers de guerre le droit ou la possibilité de se présenter aux examens des Commissions médicales mixtes, conformément à l’article 70 de la Convention de Genève. A cet égard, il convient cependant de tenir compte du fait que les prisonniers de guerre détenus par les Autorités allemandes sont en nombre si élevé qu’une visite générale serait pratiquement impossible. Les prisonniers savent qu’ils peuvent toujours s’adresser aux hommes de confiance des camps pour se renseigner sur les dates des visites des Commissions médicales mixtes et pour demander à être admis à se présenter à un examen. Les inspecteurs suisses sont bien en mesure de contrôler les cas signalés soit par les Autorités américaines, soit par les hommes de confiance, soit encore par les médecins américains et anglais dans les camps, et des instructions à cet effet ont été données aux représentants suisses en Allemagne. Mais, pour la raison exposée ci-dessus, il serait matériellement impossible aux représentants suisses de s’occuper à ce point de vue de tous les prisonniers de guerre.
En ce qui concerne l’augmentation du nombre de visites des Commissions médicales mixtes, des démarches ont déjà été entreprises auprès des Autorités allemandes en vue d’obtenir que quatre visites par an puissent être faites. Cependant, on estime qu’il ne serait pas opportun d’entamer une nouvelle discussion à ce sujet avant de connaître le résultat de l’activité de la Commission médicale mixte dont la visite dans les camps en Allemagne a été prévue à partir du 16 avril 1945. Le Département Politique se réserve donc de revenir sur cette question plus tard.
6° Sous cette rubrique, le mémorandum du 21 février relève que si, lors du récent rapatriement de prisonniers de guerre malades et blessés, approximativement 36% des rapatriés américains (177 sur un total de 497) ont été vraisemblablement examinés uniquement par des médecins de camps allemands, semblable proportion n’avait pas été atteinte précédemment. A ce propos, le Département Politique tient à attirer l’attention des Autorités américaines sur le fait que l’accord conclu entre les Etats-Unis et l’Allemagne est intervenu peu de temps avant l’exécution du dernier rapatriement et que, par conséquent, il n’avait pas pu être appliqué aux rapatriements antérieurs. Le Département Politique chargera les représentants suisses en Allemagne d’insister auprès des Autorités allemandes pour qu’à l’avenir le règlement des cas se prêtant sans autre au rapatriement ne soit pas retardé par l’absence d’un examen d’une Commission médicale mixte.
Peut-être les Autorités américaines pourraient-elles de leur côté envisager de faire au Gouvernement allemand une proposition concrète pour le rapatriement en bloc de certaines catégories de malades, par exemple tous les militaires atteints de tuberculose, ou tous les amputés, ou tous les aveugles, ou encore d’autres catégories. Si une telle proposition était acceptée, l’activité des Commissions médicales mixtes ne serait plus qu’une tâche complémentaire de beaucoup simplifiée.
7° Les médecins de l’Armée suisse choisis pour la composition des Commissions médicales mixtes envoyées en Allemagne s’en tiennent strictement aux dispositions de la Convention de Genève, mais pratiquement il ne leur est pas possible, vu le nombre très élevé des prisonniers détenus en Allemagne, de s’assurer qu’ils ont vu chaque prisonnier ayant exprimé le désir d’être examiné. Des instructions ont été données par la Division des Intérêts étrangers aux représentants suisses en Allemagne afin qu’un contrôle soit fait pour tous les cas signalés soit par les Autorités américaines, soit par les médecins militaires américains ou britanniques et allemands dans les camps. Enfin, le Gouvernement allemand a lui-même proposé récemment de préparer, à condition de réciprocité, des listes des prisonniers dont l’examen par une Commission médicale mixte est désirable.
8° A la suite des démarches qu’il avait entreprises auprès des Autorités allemandes, notamment en décembre dernier à Berlin, en vue de faire rapporter les mesures qui avaient été prises concernant l’interdiction de stocks dans les camps, le Comité International de la Croix-Rouge avait été informé que des réserves pour un mois avaient à nouveau été autorisées, à titre provisoire, étant entendu que les Autorités allemandes examineraient la possibilité de les porter ultérieurement à deux mois.
Le Comité International de la Croix-Rouge vient d’être avisé officiellement que des réserves pour deux mois sont dès maintenant autorisées. Malheureusement, dans la situation actuelle, le C.I.C.R. ne peut pas tirer parti de cette autorisation tardive puisque, en raison des difficultés de transport, il lui est impossible de reconstituer des réserves dans les camps. Il va de soi que le C.I.C.R. ne manquera pas d’examiner l’aspect pratique de ce problème au cas où une réorganisation suffisante des transports le lui permettrait.
Les renseignements ci-dessus ont été communiqués à la Délégation du C.I.C.R. à Washington le 28 février à l’intention des Autorités et de la Croix-Rouge américaines.
9° En janvier 1945, le C.I.C.R. a été placé devant le fait d’une détérioration rapide et presque totale des transports en Allemagne; jusqu’alors, ses envois s’effectuaient presque exclusivement avec les wagons allemands. En conséquence, il entreprit immédiatement des démarches auprès des Autorités compétentes des deux parties adverses, de façon à pouvoir à nouveau assurer le ravitaillement des victimes de la guerre par un moyen quelconque.
Grâce à la compréhension des Autorités suisses, un premier train bloc composé de cinquante wagons suisses a pu partir le 3 mars 1945 pour le Stalag VII A où sont réunis un grand nombre de prisonniers de guerre de toutes nationalités et où une partie des prisonniers de guerre transférés des camps de l’Est s’arrêteront également. Ce train, chargé de cinq cents tonnes de vivres et de médicaments, était convoyé par un délégué du C.I.C.R. Le C.I.C.R. vient d’apprendre qu’il est arrivé à destination. Ce premier résultat acquis, le C.I.C.R. pourra très prochainement expédier un second train bloc et, ultérieurement, amplifier encore ses actions de secours dans la mesure du possible.
En outre, le C.I.C.R., qui avait prévu la possibilité d’une détérioration des transports par chemin de fer, avait obtenu de la Croix-Rouge américaine un certain nombre de camions. Vingt-cinq de ceux-ci, pouvant contenir 61/2 tonnés de marchandises, plus le carburant, ont pu, après de longues négociations, entrer en Allemagne le 7 mars.
Ces camions ont été peints en blanc et munis de l’insigne Croix-Rouge et de la Croix suisse. Ils sont conduits par des chauffeurs suisses et ont passé la frontière à Constance. Ils ont été divisés en plusieurs colonnes et sont accompagnés, en plus de quelques agents de police allemands, d’un délégué du C.I.C.R., le Dr Rossel. Dix-neuf d’entre eux, chargés de 120 tonnes environ de vivres et de médicaments, doivent se rendre dans un centre de distribution du Sud de l’Allemagne. Ils doivent servir à ravitailler en tout premier lieu, les colonnes de prisonniers de guerre, qui se rendent, à pied, des camps de l’Est de l’Allemagne dans ceux situés plus à l’Ouest. Lorsque les 120 tonnes seront épuisées, le délégué du C.I.C.R. rechargera ces camions au Stalag VII A, au moyen des vivres et des médicaments amenés par le train bloc mentionné plus haut. Les six autres camions, chargés eux d’une quantité très importante de carburant, se rendent via Berlin à Lübeck, pour être affectés aux centres de distribution du Nord de l’Allemagne. Ces centres reçoivent en effet les marchandises amenées par la route Nord à Göteborg.
Il y a lieu de souligner que ces transports par route n’ont pu être réalisés que grâce à la compréhension et à l’aide efficace des Autorités alliées et allemandes, d’une part, et des Autorités suisses, d’autre part.
En ce qui concerne les prévisions pour le ravitaillement futur des prisonniers de guerre et des internés civils alliés en Allemagne, le C.I.C.R. ne peut fournir de précisions à l’heure actuelle. Il est évident que le C.I.C.R. élargira son action le plus possible, en combinant les transports par rail et par route, sous réserve, bien entendu, de l’évolution des événements. Les Croix-Rouges nationales - en l’occurrence la Croix-Rouge américaine - seront tenues régulièrement au courant de la situation des prisonniers de guerre et des internés civils en Allemagne, ainsi que des résultats que pourra obtenir le C.I.C.R. dans son action de secours.
Le C.I.C.R. a déjà donné oralement et de façon détaillée à M. Laughlin Currie, lors de sa visite à Genève le 26 février, ces renseignements sur la situation des ressortissants des nations unies en Allemagne et sur ses projets. [...]
10° Les observations qu’ont pu faire les représentants suisses ont permis de constater que la Direction et le personnel administratif des camps de prisonniers de guerre n’ont pas, jusqu’ici, subi de changements notables. Il y a bien maintenant dans quelques camps des membres des SS et de la Gestapo, mais cette innovation n’a pas entraîné de modifications sensibles dans les conditions de détention des prisonniers de guerre dont le traitement ne donne lieu à aucune plainte spéciale.
Les camps d’internés civils sont toujours sous les ordres de l’Office allemand des Affaires étrangères3.
- 1
- Il s’agit d’un projet de réponse à un document (non reproduit) en tête duquel M. Petitpierre a écrit: Note remise manuellement par M. Currie le samedi 3 III 45. Le texte a été amendé par Ed. de Haller, Délégué du Conseil fédéral aux Oeuvres d’Entraide internationale. A ce sujet, cf. aussi E 2801/1967/77/2.Dès le mois de janvier, des reproches sur l’activité des agents de la Division spéciale de la Légation de Suisse à Berlin avaient été exprimés: par télégramme du 21 janvier 1945, le Ministre de Suisse à Washington avait informé le Département politique de ces critiques auxquelles répond une notice du 24 janvier de la Division des Intérêts étrangers (cf. E 2001 (D) 3/99).↩
- 2
- (Copie): E 2800/1967/61/93.↩
- 3
- Le texte corrigé sera adressé à L. Harrison le 19 mars 1945. Cf. E 2001 (D) 3/474 et E 2001 (D)14/18.↩