Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 302
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1551#4214* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1551 143 | |
Dossier title | Asylrecht spanischer Staatsangehöriger bei ausländischen Gesandtschaften in Madrid, Allgemeines, Austausch von Asylierten (1936–1941) | |
File reference archive | B.73.E.7 |
dodis.ch/46223 Le Chargé d’affaires a. i. de Suisse à Madrid, E. Fontanel, au Chef du Département politique, G. Motta1
J’ai l’honneur de vous remettre, sous ce pli, en copie deux documents diplomatiques de la plus grande importance2. Il s’agit en premier lieu de la communication du Ministre de l’Intérieur3, transmise par le Ministère d’Etat, concernant les réclamations des Missions diplomatiques. Dans ma lettre du 7 octobre4, j’ai eu l’occasion de vous en faire une brève relation. En second lieu, il s’agit d’une note adressée au doyen intérimaire du Corps diplomatique par le Ministère d’Etat en date du 13 octobre au sujet du droit d’asile accordé par les Missions aux Espagnols.
En ce qui concerne la communication du Ministre de l’Intérieur, vous constaterez qu’elle est rédigée sur un ton qui n’est guère acceptable et que les diplomates d’ici considèrent comme arrogant. Cette note qui, paraît-il, a été très adoucie par le Ministère d’Etat conteste, comme je l’ai déjà référé, le droit aux Missions de s’occuper de questions touchant aux ressortissants espagnols. Elle implique donc déjà en soi la non-reconnaissance de la protection accordée aux personnes menacées non étrangères. La seconde communication, soit la note du Ministre d’Etat, M. Alvarez del Vayo, est beaucoup plus grave en ce sens qu’elle indique l’intention manifeste du Gouvernement de ne plus tolérer l’asile accordé par presque toutes les Missions étrangères aux Espagnols menacés. Dans une séance fort longue de ce matin, sous la présidence comme toujours de l’Ambassadeur du Chili, il fut décidé après un long échange de vues qui révéla l’accord unanime des Chefs de missions, de ne pas accepter cette note considérée comme insultante et contraire à tous les principes du droit des gens et en outre du droit d’asile reconnu depuis des siècles par les Etats civilisés. Que cette note ait jeté la consternation et l’indignation ne vous surprendra guère. Le Ministère d’Etat, poussé sans doute par le Ministre de l’Intérieur et tous les comités anarchistes qui depuis des semaines montent toujours plus en puissance, ne peut sans doute plus résister et fait siennes des théories qui sont véritablement inadmissibles, car vouloir atteindre le Corps diplomatique dans un de ses essentiels devoirs est à l’heure actuelle une imprudence très grave, vu que la présence en Espagne et à Madrid d’un Corps diplomatique empêche peut-être ce pays de tomber dans la barbarie la plus complète et de se priver de ce qui lui reste encore de civilisation. Dans cette note, vous constaterez que le Ministère d’Etat entend ne plus «tolérer» l’asile offert par des diplomates à des personnes «délinquantes». Il envisage des mesures pour mettre fin à cet état de choses. Or, il est de fait qu’aucune des personnes recueillies n’est délinquante en aucune manière. Il s’agit seulement de réfugiés appartenant à des milieux non de gauche et très souvent même indifférents en politique. Le Ministère a-t-il voulu excuser d’avance les infractions ou violations futures des édifices diplomatiques? On pourrait presque le croire à la lecture de ce document. Naturellement, la conversation a révélé une série de faits et d’exemples contraires à la thèse opportuniste du Gouvernement. Plusieurs Ministres espagnols, dont quelques-uns sont encore en charge, que je ne veux pas nommer ici, ont fait appel aux Ambassadeurs pour recueillir chez eux des membres de leur famille ou des amis qu’ils considèrent comme menacés et le Président5 lui-même, M. Azana, n’a pas craint de solliciter l’asile pour les siens, ce qui a été démenti par les journaux, mais n’en est pas moins vrai. On assiste donc de ce fait à une contradiction notoire, en constatant que d’une part les milieux gouvernementaux cherchent à faire protéger leurs amis par les Missions diplomatiques, en refusant à celles-ci le critère d’admettre qui bon leur semble chez elles. Là apparaît bien l’intolérance et le parti pris politique de ce peuple. Les exemples sont abondants dans lesquels l’Espagne ellemême a fait usage du droit d’asile, notamment au cours des révolutions dans les Républiques sud-américaines.
En présence de cet état de choses menaçant, il a été décidé d’un commun accord que les trois Ambassadeurs actuellement présents à Madrid, ceux du Chili, du Mexique et du Brésil, solliciteraient une audience du Président de la République dans laquelle ils déclareront refuser cette communication inadmissible pour tous. En l’absence d’un Chef de mission – Ministre d’Europe, cette action sera faite par ces hauts représentants de l’Amériquedu Sud qui ont été chargés d’exprimer formellement le même avis de la part des Etats européens représentés actuellement dans la capitale. Bien qu’il ait été décidé de ne faire rapport à son gouvernement respectif qu’une fois la ligne de conduite définitivement établie, je crois devoir vous informer de cette affaire dès maintenant, d’autant plus qu’un courrier par avion partira demain matin pour Paris. Vous savez que j’ai dès le début observé la plus grande prudence quant aux «asilés», prévoyant bien qu’un jour ou l’autre les chefs de Missions deviendraient les prisonniers de leurs protégés (visitantes obligados comme les appelle l’Ambassadeur du Chili) comme actuellement les dirigeants le sont des comités tout-puissants de la C.N.T. et F.A.I6. Les diplomates considèrent toutefois comme un devoir sacré de défendre jusqu’au bout ceux qu’ils ont accueillis. Sachant que vous avez toujours jusqu’à présent appuyé ma ligne de conduite, je me joindrai naturellement à la démarche commune en mettant toute l’énergie voulue à la défense des droits et privilèges diplomatiques fortement menacés7. Il serait à souhaiter vivement que cette situation pénible pour tout le monde ne se prolongeât pas, car elle entraîne des conséquences toujours plus dures. Depuis la publication de la nouvelle ordonnance interdisant la circulation entre 11 [heures du soir] et 6 h du matin, les exécutions redoublent et le soussigné n’a pu dormir la nuit dernière de 3–6 h à cause des coups de feu qu’il entendait dans un terrain vague situé à environ 500 m de la Légation et où furent perpétrées ces exécutions nocturnes. Si par l’effet de cette ordonnance les yeux ne doivent assister à de tels crimes, les oreilles les perçoivent malgré tout. Je ne cite ce qui précède qu’à titre d’illustration de faits qui se répètent par centaines, Madrid voulant annihiler ce que le général Mola8 aurait désigné, peut-être un peu imprudemment, la cinquième colonne de défense, les autres venant de l’extérieur. L’organisation de défense, dite de «Reaguardia» publie ordonnance sur ordonnance et soumet la population madrilène à un véritable régime de terreur. Nous entrons probablement dans une phase très critique où les refuges vont trouver leur emploi.
- 1
- Lettre: E 2001 (D) 1/143. Remarque marginale de Motta: Je suis d’accord avec l’attitude prise par M. Fontanel. 21.X.36.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- A. Galarza Gago.↩
- 4
- Non reproduit.↩
- 5
- De la République.↩
- 6
- Confédération nationale du travail et Fédération anarchiste ibérique.↩
- 7
- Le Département politique approuve l’attitude prise par son chargé d’affaires (lettre de P. Bonna à E. Fontanel du 24 octobre, E 2001 (D) 1/143).↩
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