Gespräch mit Präsident Perón. Dieser ist der Ansicht, dass die USA die UdSSR angreifen werden und erklärt, dass sich sein Land darauf vorbereitet. Perón wünscht, die Wirtschaftsbeziehungen mit der Schweiz auszubauen. Der argentinische Aussenminister vertraut dem Schweizer Repräsentanten an, dass die Absicht besteht, seinen Bruder an die Spitze der Gesandtschaft Argentiniens in Bern zu berufen.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 19, doc. 6
volume linkZürich/Locarno/Genève 2003
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
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Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 99 | |
Dossier title | Buenos Aires, Politische Berichte und Briefe, Band 10 (1944–1952) |
dodis.ch/9019
Le Ministre de Suisse à Buenos Aires, M. Fumasoli, au Chef du Département politique, M. Petitpierre1
J’ai l’honneur de vous faire savoir que j’ai eu hier un entretien avec le président Perón et une entrevue avec M. Remorino, ministre des Affaires étrangères, dont les termes me paraissent présenter quelqu’intérêt pour vous.
Je n’avais aucune raison spéciale de voir le président de la République, mais le chef du Protocole de l’Etat2 auquel j’ai annoncé mon départ pour la Suisse dans quelques jours et qui est un ami personnel à moi, me suggéra de demander une audience auprès du général, en ajoutant qu’il savait que celuici me verrait avec plaisir. J’observai que je n’avais aucune question importante à soumettre au président, mais que je serais évidemment heureux de le saluer avant mon départ, d’autant plus qu’il m’avait constamment donné des signes de bienveillance. Deux jours après, on me fit savoir que M. Perón me recevrait hier matin. Il m’accueillit avec la plus grande amabilité et il me retint pendant une heure. Je ne reproduirai pas ici – sachant combien votre temps est précieux – tous les termes de la conversation; je me bornerai à résumer les déclarations les plus intéressantes de M. Perón.
Je sais par les quelques collègues qui voient le président à cause de leurs problèmes (surtout les ambassadeurs d’Italie3 et du Chili4) que M. Perón ne laisse guère beaucoup parler ses interlocuteurs et qu’il aime les longs monologues sur ses propres réalisations gouvernementales. J’ai cependant pu l’amener à s’exprimer, d’une façon générale, aussi sur nos relations avec l’Argentine. Tout d’abord, il me dit combien il admirait la Suisse, sa politique sociale, sa sagesse, sa discipline, sa réussite. Il croit que notre pays a atteint un aussi haut niveau général à cause du souci des Autorités suisses de donner à tous les citoyens le bien-être matériel, l’instruction et une conscience civique, en développant le sens de l’égalité bien comprise, c’est-à-dire avec les droits et les devoirs qu’elle comporte. Il désire suivre la même voie en ce qui concerne l’Argentine. C’est ce que le général Franco, en Espagne, n’a pas compris, dit M. Perón, car il avait la possibilité de réformer son pays socialement très arriéré et il ne l’a pas fait, en laissant subsister une séparation de classes qui est trop en opposition avec la direction que prend partout la politique sociale. De nombreux pays ne se rendent pas encore compte de cette tendance générale et que plus rien n’arrête. La Suisse a évidemment eu la chance de «gagner» deux guerres: elle l’a mérité parce qu’elle a fait les sacrifices qu’il fallait dans ce but. Elle n’a que quatre millions d’habitants, mais leurs qualités les font valoir pour huit. Il ne croit pas que la guerre soit proche et si elle se produit, il se pourrait que l’Europe occidentale en échappe, car il n’est pas dit que la Russie fasse la faute de porter la guerre au dehors de ses frontières. L’histoire démontre qu’elle aurait tort de le faire. Ici, M. Perón a fait un long exposé sur toutes les guerres faites par la Russie depuis deux siècles, en citant les dates de chaque bataille, les lieux, les forces en présence, les routes suivies, les fautes commises, avec un luxe de détails par rapport à l’histoire de la stratégie, ahurissant. Evidemment je n’ai pas pu contrôler l’exactitude de ses affirmations, ni ai-je compris certains détails de stratégie qu’il m’expliqua, mais je ne serais pas sincère si je soutenais qu’il ne m’en a pas imposé car, enfin, il s’agit d’un homme aux prises, depuis six ans, avec une situation politique et économique peu propice aux méditations historiques. Il arrive donc à la conclusion que la Russie n’attaquera pas, mais que les Etats-Unis devront un jour attaquer puisqu’une politique d’armement et d’aide financière à l’Europe en vue de la défense, comme celle qu’ils pratiquent, doit forcément les amener à l’épuisement et à la ruine. En revanche une guerre, bien qu’infiniment coûteuse, tend à des objectifs précis, positifs et très importants et elle peut donc être une solution meilleure. Mais quel sera l’aboutissement d’une telle guerre? Où attaqueront les Américains? Sur combien de dizaines de milliers de kilomètres de front en Orient et en Occident? Comment atteindront-ils les centres névralgiques russes dispersés sur un territoire immense et inconnu des Américains? Comment défendront-ils, les Américains, une industrie de guerre concentrée dans des lieux connus en détail par la cinquième colonne communiste? La guerre pourra durer quinze ans et anéantir les belligérants, car les Américains n’ont pas compris qu’on ne peut pas chasser deux lièvres à la fois: préparer la guerre et organiser la domination économique du monde. En faisant cela, ils préparent probablement pour eux-mêmes un échec sans égal dans l’histoire, sans vouloir prétendre que les Russes gagneront la guerre. Que doit donc faire un pays comme l’Argentine? Evidemment se préparer à se suffire à elle-même, tant bien que mal – pendant une longue et tragique période. D’où la politique du général: s’indépendiser [sic] économiquement pendant les premières six années de gouvernement (1946/52) en rachetant les services publics exploités par les Anglais pendant cent ans, créer une flotte marchande, organiser une industrie, etc. Malheureusement, deux années de sécheresse ont infiniment entravé ses efforts, dit le général. «Je savais que cette année serait très difficile», ajoute-t-il, «que je resterais sans devises, que je ne pourrais rien importer de non strictement nécessaire. N’avez-vous pas remarqué qu’aucun de mes plans économiques ne parle de l’année 1952? C’est l’année des sacrifices pour le peuple argentin. Mais j’espère que la récolte me donnera ce qu’elle promet. Alors nous aurons des céréales. Comme j’ai mécanisé l’agriculture et favorisé seulement l’ensemencement des terres hautement productives, j’aurai une production bon marché et je pourrai vendre bon marché. Maintenant commence le plan concernant la production des matières premières et même d’une modeste sidérurgie. Je sais ce que cela comporte comme effort, mais l’Argentine doit y arriver, car la guerre peut nous surprendre et il ne faut pas qu’elle nous trouve dépourvus de toute préparation comme en 1939. Je sais que vous, les Suisses, vous vous préparez également pour cette éventualité et vous êtes sages.»
J’interromps M. Perón pour lui dire qu’en Suisse on ne croit pas à la guerre, mais que nous ne voulons pas non plus nous bander les yeux et nier tout danger et que je me demandais si, en cas de guerre, nous ne pourrions pas transférer certains de nos intérêts industriels, peut-être le siège de quelques entreprises, en Argentine. (Votre Département m’a posé la question à titre confidentiel5, et j’ai donc fait comme si le problème m’était venu à l’esprit au hasard de la conversation.) M. Perón me répondit qu’il avait une grande sympathie pour la Suisse et que nous aurions immédiatement, en Argentine, toutes les facilités et les garanties; qu’il serait heureux de nous ouvrir les portes et qu’en dehors de toute situation spéciale et en pleine normalité, comme maintenant, il donnerait aux entreprises suisses qui voudraient s’établir ici, toutes les facilités, sur la base de contrats précis et légaux. «Cette année», dit-il, «les circonstances anormales m’ont obligé de suspendre les services financiers6, mais j’en reconnais l’importance et la justice et je désire les reprendre. Et il y a un autre fait: je ne désire pas que l’Amérique du Nord installe ici des entreprises, car partout où les Américains placent de l’argent ils amènent en même temps un cuirassé et leurs méthodes impérialistes. En suspendant les services financiers, je les décourage. Mais vis-à-vis de la Suisse je suis disposé à donner toutes les garanties.» Je vous répète ces phrases, mais il ne faudrait pas les prendre trop à la lettre. Si le diable n’est jamais aussi laid qu’on le peint, je ne crois pas non plus que les anges donnent tout ce qui pourrait se cacher dans la grande ombre bleue de leurs ailes puissantes. Mais il n’en reste pas moins que les déclarations de M. Perón ont été des plus amicales. Làdessus, je lui déclarai que malheureusement son administration n’avait pas cru pouvoir négocier, au printemps7, un accord avec nous, ce qui nous avait déçus, mais que j’espérais que vers la fin de l’année, les conditions de l’économie argentine se présentant probablement sous un jour plus favorable, il serait possible de reprendre des échanges normaux et conformes à nos traditions et qu’alors je me permettrais de rappeler ses déclarations à lui, aux négociateurs argentins. M. Perón me répéta qu’en effet cette année était vide et difficile pour son pays, mais qu’il était certain qu’à la fin de l’année les choses iraient mieux et alors je n’avais qu’à aller le voir lui-même pour arriver rapidement à une entente qu’il souhaitait. Ici aussi, je prends les déclarations de M. Perón pour ce qu’elles valent, en sachant fort bien que le désir d’être aimable, propre aux Latins, les amène facilement à promettre plus qu’ils ne peuvent tenir.
En résumé, sans donner une importance excessive à l’accueil chaleureux du président, j’en tire les conséquences suivantes: M. Perón a une grande considération et de la sympathie pour la Suisse. Ni l’affaire des tomates8, ni les écarts de notre Presse9 ne semblent lui inspirer un ressentiment inquiétant pour nous. Il voudrait sincèrement, je crois, que nos relations commerciales réciproques fussent normales, surtout parce qu’il doit penser que la technique et le capital suisses pourraient beaucoup aider l’Argentine, mais peut-être aussi parce que son orientation très nette vers l’Europe (qui est du reste dans la tradition de l’Argentine) l’amène à estimer une collaboration avec des pays sérieux comme la Suisse. Enfin, le fait de m’avoir reçu immédiatement, bien que je l’eusse déjà vu le cinq juin10 et de m’avoir invité à aller le voir lorsque je le désire, constitue peut-être une preuve de la sincérité du président en ce qui concerne ses déclarations de sympathie vis-à-vis de la Suisse.
Ma visite à M. Remorino, ministre des Affaires étrangères, a été également positive! M. Remorino est un homme sérieux et moins exubérant que M. Perón. Ses affirmations de sympathie pour la Suisse sont sans doute sincères. Lorsqu’il me dit qu’il tient absolument à ce qu’un accord convenable soit mis sur pied avec la Suisse, il est certainement aussi sincère, de même que lorsqu’il me déclare qu’il est décidé à s’employer dans ce but. Il m’a dit que la réponse que M. Juncosa Séré apportait à Berne, lui paraissait hâtive et qu’il regrettait de ne pas en avoir été informé avant. J’observai que je devais admettre que le directeur général des affaires économiques (aujourd’hui ministre du Commerce Extérieur) de son ministère, était au courant de la question. M. Remorino me dit que les choses étaient changées depuis la constitution du nouveau Cabinet (je vous en ai parlé dans mon dernier rapport politique11) et que son ancien collaborateur M. Caffiero, devenu ministre du Commerce Extérieur, avait, en matière de relations commerciales avec l’étranger, des idées très différentes de celles qui avaient eu cours jusqu’ici, de sorte qu’il est certain que nos futures négociations seront beaucoup plus heureuses. M. Remorino pense cependant aussi que cela dépendra en premier lieu de ce que sera la prochaine récolte argentine. Il ne cache nullement que la situation économique actuelle du pays est grave, mais il est persuadé que ça ira mieux vers la fin de l’année. Je voudrais en être aussi sûr que lui! Il est frappant de constater avec quelle tranquille assurance le président et son ministre des Affaires étrangères (qui est sérieux) envisagent l’avenir économique du pays, alors que l’opinion publique fait preuve, à l’unanimité, d’une si grande préoccupation et même, dans certains cas, de tant de désespoir. M. Remorino a relevé que les étrangers qui regardent avec tant d’espoir vers le Brésil ont bien tort; que le Brésil a également eu ses crises et qu’il en aura encore bientôt; qu’il s’agit d’un pays à monoculture et que lorsque la production ou la vente du café va mal, tout s’effondre; que l’Argentine a une économie bien plus stable, à cause de la race des habitants, de la diversité de la production, etc. Bref, je n’allongerai pas davantage ce rapport par les détails d’une conversation forcément étendue à plusieurs sujets. Je désire seulement souligner ici les excellentes dispositions du ministre des Affaires étrangères, au moins en théorie. J’aurai l’occasion de constater plus tard ce qu’elles valent dans la réalité.
J’ai demandé à M. Remorino s’il avait déjà choisi le Ministre qui irait à Berne. Il me répondit, sous le sceau du secret, qu’il pensait vous envoyer son frère. Il semble s’agir d’un homme sérieux, très adonné aux études, à l’art et très aimant de la vie tranquille. D’après le ministre des Affaires étrangères, M. Perón aurait déjà offert à Remorino-frère l’Ambassade de Londres, mais celui ci l’aurait refusée lui paraissant représenter pour lui un trop lourd poids. Le ministre a donc pensé lui offrir, me déclara-t-il, «la plus importante des légations argentines, celle de Berne». M. Perón a donné son assentiment et il n’attend plus que la réponse du candidat. Le ministre espère vivement que son frère acceptera, bien qu’il ait quelques craintes à cause de sa nombreuse famille. D’après les renseignements que j’ai pu recueillir jusqu’ici (notre Légation les complétera plus tard le cas échéant), M. Remorino ne serait pas homme à nous créer des difficultés en Suisse, comme Ministre d’Argentine. Il ne serait probablement pas non plus un diplomate actif, prenant très à cœur le développement des relations économiques entre les deux pays. Au fond, pourquoi veut-on envoyer en Suisse comme Ministre, le propre frère du ministre des Affaires étrangères? Est-ce lui qui désire voyager en profitant en même temps du splendide traitement que l’Argentine octroie à ses chefs de mission, ou bien l’a-t-on choisi dans un but plus précis? Quoi qu’il en soit, j’admets que ce choix peut être considéré comme une marque de considération vis-à-vis de nous et c’est en tout cas comme cela qu’il faudra le prendre, s’il devient définitif, même si à la base de ce choix il n’y a aucun désir de nous flatter, mais uniquement des intérêts personnels. Je vais m’entourer de plus amples renseignements et je reviendrai sur la question au cas où on solliciterait réellement de vous l’agrément pour le personnage en question12.
P. S. Selon d’autres renseignements que je reçois en cet instant, M. Remorino est le cadet d’une famille de trois garçons. Son père est d’origine italienne et de condition modeste. Il a réussi à gagner quelque argent, ce qui lui a permis de faire faire de bonnes études à ses enfants, dont l’un est un médecin très connu et le second l’actuel ministre des Affaires étrangères. M. Remorino a environ quarante ans; il est marié avec une anglo-argentine et père de cinq enfants. Depuis environ une année, il est établi à Buenos Aires. On ne lui connaît pas d’activité spéciale. Il n’en avait pas non plus à Cordoba, mais il faisait des affaires d’occasion. A Cordoba il avait acheté des antiquités qu’il est venu vendre à Buenos Aires. M. Remorino n’a pas terminé ses études et n’a au fond jamais travaillé sérieusement. C’est la raison pour laquelle il est très peu connu. On dit pourtant qu’il s’agit d’une personne plutôt bien et en tout cas infiniment mieux que M. Llambi. – Politiquement, il est également inconnu: son frère, le médecin, serait antipéroniste. Deux des ses enfants sont asthmatiques. Ce serait peut-être une des raisons pour laquelle M. Remorino voudrait quitter Buenos Aires, à part l’attrait du gros traitement.
- 1
- Lettre: E 2300(-)-/9001/99.↩
- 3
- G. Arpesani.↩
- 5
- Sur cette question, cf. E 2010(A)1996/397/219.↩
- 6
- Sur la suspension des transferts financiers, cf. PVCF No 1263 du 15 juillet 1952, E 1004.1 (-)-/1/543 (dodis.ch/9005).↩
- 7
- Sur les négociations économiques argentino-suisses du printemps 1952, cf. E 7110 (-) 1967/32/670.↩
- 8
- Lors de la visite à Berne d’Eva Perón en août 1947, certains manifestants ont lancé des tomates contre le cortège officiel. Cf. DDS, vol. 17, doc. 17, dodis.ch/296, surtout note 14.↩
- 10
- Cf. la lettre de M. Fumasoli à M. Petitpierre du 6 juin 1952, non reproduite.↩
- 11
- Cf. le rapport politique No 10 de M. Fumasoli à M. Petitpierre du 6 juin 1952, non reproduit.↩
- 12
- La demande d’agrément intervient le 3 août 1953 par l’intermédiaire de la Légation d’Argentine à Berne. Cf. la lettre de A. P. Lacu au Département politique du 3 août 1953, E 2001(E)1970/217/88.M. Remorino entre officiellement en fonction le 4 février 1954. Cf. la lettre de A. Bollini au Département politique du 4 février 1954, ibid.↩
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