Der neue Gesandte der Schweiz wird von Präsident Peron empfangen. Überblick über die Beziehungen zwischen den beiden Staaten und die internationale Situation.
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 18, doc. 69
volume linkZürich/Locarno/Genève 2001
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#196* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 99 | |
Dossier title | Buenos Aires, Politische Berichte und Briefe, Band 10 (1944–1952) |
dodis.ch/8546 Le Ministre de Suisse à Buenos Aires, M. Fumasoli, au Chef du Département politique, M. Petitpierre1
J’ai l’honneur de vous confirmer le télégramme d’aujourd’hui2, par lequel je vous ai communiqué que j’ai remis ce matin mes lettres de créance au président Peron. J’ai déjà eu l’occasion de vous exposer les circonstances auxquelles doit être attribué le retard avec lequel l’audience présidentielle a été fixée, en relevant qu’il ne saurait être mis en rapport avec un désir quelconque des autorités argentines de marquer vis-à-vis de nous de la mauvaise humeur ou de la mauvaise volonté.
Pour ma part je n’ai nullement fait preuve d’impatience, je n’ai pas pressé le Ministère des Affaires étrangères et j’ai attendu tranquillement. Je suis en effet persuadé que ce n’est qu’avec de la patience, de la bonne humeur et une cordialité qu’aucun mouvement d’impatience ne doit troubler, que l’on peut venir à bout du manque de manières qui caractérise l’administration nouvelle dans ce pays. Ici, encore plus qu’en Espagne, ce n’est que par les relations personnelles que l’on peut arriver à quelque chose et on ne peut pas se faire ces relations si on est exigeant en matières de formes: il faut donner sans exiger. Le chef du protocole de l’Etat (le protocole ne dépend plus du Ministère des Affaires étrangères et son chef est un ami personnel du président) s’est d’ailleurs excusé ce matin, du retard apporté à la cérémonie de présentation des lettres, en me disant que le président l’avait chargé à plusieurs reprises de l’excuser auprès de moi. Ce n’est probablement pas exact, mais ça n’a aucune importance.
Le côté extérieur et brillant que le Gouvernement argentin continue de donner à la première visite des chefs des missions diplomatiques au président de la nation (voitures à cheval qui parcourent les principales avenues de la ville avec interruption du trafic intense; escorte de détachements de grenadiers dans des uniformes rutilants; accès aux salons de la présidence en passant sous les épées croisées des officiers de la garde, etc.) a été décrit sans doute à plusieurs reprises par mes prédécesseurs et je me dispense d’y revenir ici.
Le général Peron m’a reçu avec une cordialité extrême. Chacun s’accorde d’ailleurs pour dire qu’il est et qu’il veut être très aimable et qu’il aime à surprendre ses visiteurs par ce courant de sympathie qui se dégage – il le sait fort bien – de ses manières très simples et très cordiales. Comme mes collègues, j’ai trouvé moi aussi que M. Peron est extraordinairement simple et aimable et je ne peux qu’apprécier l’honneur qu’il m’a fait en me retenant auprès de lui pour trois quarts d’heure, alors que les visites de présentation des lettres de créance, n’ont jamais duré plus de 15 à 25 minutes. La durée de mon entretien a surpris tout le monde et moi aussi, qui ai pourtant cru opportun de faire, à trois reprises, le geste de m’en aller. Je n’attribue certes pas une grande importance à l’excessive amabilité du président, mais j’ai été très satisfait de le trouver dans d’aussi bonnes dispositions à mon égard, d’autant plus qu’il en a fait état, je dirais, publiquement.
Au cours de cette conversation sur la politique générale de l’Argentine, sur l’avenir de l’Europe, etc., il a été naturellement question aussi de quelquesuns de nos problèmes. Comme il n’est pas d’usage que ces audiences solennelles soient utilisées pour aborder en détail des points techniques, je n’ai pas pu souligner vis-à-vis de M. Peron tous les côtés des questions qui nous tiennent à cœur. C’eût été du reste inutile, car le président n’est certes pas au courant des détails, il aurait oublié mes observations dès mon départ pour ne se souvenir que de mon indiscrétion! Avant de faire quelques allusions aux thèmes généraux touchés par le président, je voudrais me permettre de vous faire rapport en quelques mots, sur les points qui nous intéressent de plus près.
A un moment donné je dis au Général que le Président de la Confédération m’avait chargé de ses meilleurs messages pour lui et de ses respectueux hommages pour Madame Peron. Le général se tourna alors vers le Ministre des Affaires étrangères, M. Paz qui observa un silence presqu’absolu pendant toute la conversation (et je me réfère à son sujet à ma lettre du 17 de ce mois)3 et dit en souriant: «M. Petitpierre se rappelle toujours très aimablement de ma femme. Il a été très gentil pour elle lorsqu’elle était en Suisse et il était même avec elle au moment où on lui jeta une pierre»4. Je l’interrompis en disant: «cela a été pour nous une bien triste surprise». M. Peron ne me laissa pas continuer et, en riant ouvertement déclara: «cela n’a aucune importance. Il s’agissait d’un communiste et cela constitue un honneur pour nous. Les souvenirs de Suisse sont les meilleurs qui restent à ma femme de son voyage en Europe. Je ne sais seulement pas quand je verrai ma femme pour lui transmettre ces messages, car la chose la plus difficile pour moi ce n’est pas le gouvernement, c’est de rencontrer ma femme: elle s’occupe de tous; elle travaille de 7 heures du matin jusqu’à 3, 4 heures de la nuit, avec un acharnement et une passion qui la tuent». Il m’a été très agréable de constater que M. Peron a bien voulu me déclarer ainsi expressément que les incidents que vous savez sont «classés» pour lui. La version qu’il en donne est amusante et, au fond, habile et je ne vis aucune raison de commenter son opinion à ce sujet. Je considère sa déclaration comme inspirée par la sympathie et je me plais à espérer que la présidente partage l’oubli de son mari au sujet des évènements que je viens de rappeler.
Naturellement, je parlai au Général de l’application de nos récents accords et de nos échanges de marchandises. Il me promit formellement d’intervenir auprès des Autorités compétentes (Ministère des Finances et Banque Centrale) pour qu’elles ne retardent pas davantage la publication des circulaires nécessaires en vue de la délivrance des permis d’importation dans le cadre des accords du 3 août 19505.
En outre, je lui demandai – en soulignant les difficultés auxquelles je me heurtais pour me loger – pleine liberté en ce qui concerne la forme de paiement de la maison que la Confédération envisage d’acheter à Buenos Aires6 (à l’instar dis-je, de ce qu’elle a fait dans les capitales les plus importantes…). Cela m’a paru nécessaire, car si l’achat a lieu et si le paiement devait être réalisé par nous d’une façon pas en harmonie avec la législation en vigueur ici en matière de devises (en ayant recours à la bourse noire, ou par un versement en francs suisses en Suisse, ou par d’autres moyens tout aussi contraires aux lois) je voulais être couvert pour toute éventualité et être en mesure de me référer au Président lui-même, si jamais le Ministre des Finances, ou toute autre autorité, nous demandaient un jour des explications. Le Président me répondit avec empressement: «C’est avec le plus grand plaisir que je vous assure que vous êtes pleinement libre d’agir comme vous le voulez». Il dit cela en regardant le Ministre des Affaires étrangères qui, dans cette circonstance aussi, approuva vivement de la tête. Je n’ai pas voulu expressément entrer dans les détails. Je ne pouvais d’ailleurs pas le faire, la question étant encore à l’étude à Berne. Je voulais une déclaration générale couvrant toutes les possibilités. Je comptais l’obtenir au cours d’une conversation que j’escomptais comme devant être amicale et mon attente n’a guère été déçue. J’en suis satisfait et je crois que cela peut beaucoup faciliter les choses.
Le reste de la longue conversation a porté sur la situation de l’Europe; sur la guerre mondiale, éventuelle; sur les idées du Général quant à la politique intérieure et extérieure que doit suivre l’Argentine. Quant au premier point, M. Peron me fit une synthèse – que je crois assez juste d’ailleurs au moins en partie – des raisons de la faiblesse de l’Europe, raisons qu’il voit surtout dans le manque d’une idéologie, dans le découragement, dans la défaite du socialisme et l’habileté des chefs communistes, dans l’abdication de l’Angleterre. Pour ce qui est du second point, il m’a intéressé d’entendre de la bouche de M. Peron, qu’il croit à une nouvelle guerre mondiale à bref délai. Les motifs qu’il indique à l’appui de sa thèse, sont d’ordre économique et militaire. On m’avait dit, ici, que pendant les premières années de gouvernement (l’époque de Miranda), le Général avait fondé sa politique économique en spéculant sur une guerre imminente, mais que maintenant il avait changé d’idée, ne croyait plus à la guerre et allait modifier sa politique économique. D’après ce qu’il m’a dit, il n’en est rien. Je reviendrai sur ce point en vous écrivant plus tard sur la situation politique et économique en Argentine.
Le troisième point (politique interne et étrangère de l’Argentine) exigerait, si je voulais vous répéter toutes les déclarations de M. Peron, des développements qui vous paraîtraient sans doute en disproportion avec l’importance que vous attribuez probablement au personnage. Au point de vue de la politique interne, M. Peron me fit un exposé de sa théorie de la troisième position et du «justicialismo», mot forgé par lui, mais désormais adopté semblet-il, par l’Académie de la langue à Madrid. M. Peron qui se définit un adversaire irréductible du communisme (et il l’est sans doute) veut établir la justice sociale dans son pays, en réprimant les abus du capitalisme (la grande propriété, etc.) et en élevant le standard de vie du peuple. Il ne désire nullement supprimer le capitalisme, mais il veut le canaliser et lutter en même temps contre le communisme par des concessions qu’il estime essentielles en faveur de la masse. Il m’a exposé ces idées en les fondant sur un système économique et philosophique qui constitue précisément le justicialisme. Ce système a le grand mérite, d’après M. Peron, de représenter une véritable idéologie pour laquelle les peuples pourraient s’enthousiasmer au lieu de le faire pour le communisme. Il estime que l’une des principales causes de l’état de faiblesse dans lequel se débat, selon lui, l’Occident, doit justement être recherchée dans le fait que l’Occident n’a plus une idéologie capable de rallier les peuples en leur donnant une raison de vivre et de lutter comme tels. Le justicialisme revendique les droits de l’individu contre les abus du capitalisme. Il me semble superflu d’insister davantage sur ces principes dont Peron se croit l’inventeur (il me l’a dit). Peut-être vaudrait-il la peine que j’approfondisse, un jour, certaines tendances et certains résultats du peronisme, mais je préfère le faire dans un autre rapport, d’autant plus que le général semble se détacher de plus en plus des définitions de principes, en faveur de réalisations pratiques qui n’ont pas souvent pour but le bonheur des peuples.
En matière de politique étrangère, M. Peron a insisté sur son désir de renforcer la latinité, non pas pour en faire un tampon entre les Etats Unis et la Russie, mais pour constituer une force consciente de certaines nuances que d’autres groupes ethniques saisissent moins bien. Cette idée – je le sais – était autre fois un de ses thèmes préférés: il y insiste moins depuis qu’il a été déçu par l’Espagne. Il m’a dit qu’il avait fait approcher M. Bidault, il n’y a pas très longtemps, pour le gagner à la cause de l’union des latins, mais qu’une personnalité française de premier plan, chargée par Bidault d’examiner l’affaire, transmit à Buenos Aires la réponse suivante: «la France a dû apprendre l’anglais après la guerre de 1914, l’allemand pendant celle de 1940 et elle apprend le russe pour la prochaine: il ne lui reste plus de temps pour les langues latines». Cette réponse aussi amusante que décevante et qui déçoit d’ailleurs toujours encore le général Peron, me fait penser qu’elle pourrait avoir été donnée par M. François Poncet qui, en arrivant à Rome en 1939, pour essayer de détacher l’Italie de l’Allemagne, à la veille de la guerre, répondait à quelqu’un qui lui demandait pourquoi il donnait à ses enfants des gouvernantes allemandes: «il faut bien qu’ils apprennent l’allemand puisque l’allemand sera la future langue de l’Europe». Bref, M. Peron semble néanmoins maintenir l’Argentine orientée vers l’Europe plutôt que vers les Etats Unis7. Il le dit et je crois que cela doit en somme plaire à l’Europe.
Je m’en voudrais de m’appesantir davantage sur mon entretien avec le président Peron. Il vous intéressera plutôt d’être informé sur la véritable situation politique et économique du pays, ce que je me propose de faire aussitôt que possible8. Je partirai samedi prochain pour Assomption, pour remettre mes lettres de créance au président Chaves et je pense que je pourrai être de retour ici, vers le 14 décembre9.
- 1
- E 2300 Buenos Aires/10.↩
- 2
- Non retrouvé.↩
- 3
- Cf. E 2300Buenos Aires/10.↩
- 4
- Cf. DDS, vol. 17, doc. 17, dodis.ch/296, surtout note 14.↩
- 5
- Cf. Avenant à l’Accord commercial entre la Confédération suisse et la République argentine (du 20 janvier 1947), conclu le 3 août 1950, RO, 1950, II, pp. 772–780. Sur la négociation de l’accord, cf. E 7110(-)1967/32/668.↩
- 6
- Cf. E 2001(E)1968/83/142.↩
- 8
- Cf. son rapport politique du 22 février 1951, E 2300Buenos Aires/10.↩
- 9
- Cf. son rapport No 5, daté du 11 décembre 1950, ibid.↩
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