dodis.ch/8295 Notice du Chef du Département politique,
M. Petitpierre1 PRISE DE CONTACT ÉVENTUELLE AVEC E[ISENHOWER]AU SUJET DE LIVRAISONS DE MATÉRIEL DE GUERRE PAR LES ETATS-UNIS
Le Département militaire voudrait envoyer un industriel, en même temps officier, en vue de négocier pour commencer au sujet de la livraison de quatre chars blindés. La discussion pourrait ensuite s’élargir afin d’obtenir l’autorisation sans laquelle les autorités américaines ne veulent prendre aucun engagement.
Le simple fait matériel et objectif de l’autorisation accordée me paraît présenter des risques et peut être interprété en ce sens qu’un accord est intervenu entre la Suisse et une alliance militaire étrangère en vue d’une défense commune. Ce risque me semble tel qu’on doit renoncer à entrer dans cette voie. Il est beaucoup plus important pour notre indépendance et notre défense nationale que nous restions au-dessus et en dehors de tout soupçon. Un accord, même sur un plan purement technique et commercial, peut compromettre la confiance que nous devons inspirer et avoir pour conséquence que l’on ne nous distingue plus, d’ailleurs à tort, des pays membres de l’Alliance Atlantique. Nous augmentons ainsi le risque d’être entraînés dans une guerre, ce qui est beaucoup plus grave et important que d’être privés de quelques chars blindés et éventuellement d’autres armes. La valeur de notre réarmement est autant sinon plus morale que matérielle. Les sacrifices que nous faisons manifestent notre volonté de défendre notre indépendance. Si nous sommes entraînés dans un conflit, ce n’est vraisemblablement pas quelques armes de plus ou de moins qui peuvent nous sauver. A cela s’ajoute que, si nous discutons avec E[isenhower], c’est tout autre chose que si nous avons des pourparlers avec un Gouvernement étranger pour la livraison de matériel de guerre. En outre, il n’est pas exclu que l’autorisation ne nous serait accordée que contre des renseignements que nous donnerions sur notre défense nationale. Des démarches, d’ailleurs vaines, ont déjà été faites en vue d’obtenir ces renseignements. Nous ne devons pas nous exposer à des discussions et à des marchandages qui risquent de rendre plus difficiles encore nos relations avec les Etats-Unis.
C’est pourquoi, tout en comprenant le point de vue du Département militaire, je suis d’avis que nous devrions renoncer à toute démarche auprès de E[isenhower], qui ne représente pas seulement son pays, mais une alliance militaire2.