dodis.ch/48023 Le Ministre de Suisse à Bucarest, R. de Week, au Chef du Département politique,
M. Petitpierre1
Confidentiel Bucarest, 18 avril 1945
[...]2
La conclusion à tirer de ces divers incidents me paraît être la suivante: Les Soviétiques tolèrent la présence en Roumanie des diplomates neutres qui s’y trouvaient au moment où ils occupèrent le pays, ainsi que celle des missions alliées qui s’y établirent à peu près en même temps qu’eux, mais ils s’opposent à toute arrivée d’éléments nouveaux. Sauf exceptions [...] , ils facilitent et parfois même favorisent, quand ils ne l’exigent pas, le départ de certains diplomates. /..J3
La tendance est donc très nette: d’une part, isoler la Roumanie, réduire au minimum ses rapports avec l’étranger; d’autre part, empêcher les nouvelles de filtrer, faire en sorte que le monde extérieur ignore ce qui se passe ici. Bien entendu, la fermeture n’est pas hermétique. C’est ainsi que de nombreux prisonniers et déportés de divers pays - et, en particulier, des Français - ont été rapatriés après avoir séjourné assez longtemps dans le pays: on ne voit pas comment les Russes pourraient s’y prendre pour fermer la bouche à tous ces témoins quand ils seront rentrés chez eux.
Tout cela changera probablement dès que les Anglo-Américains n’auront plus besoin du concours militaire de l’armée rouge et pourront parler net. Ce moment est peut-être assez proche. En attendant, l’U.R.S.S. fait tout ce qu’elle peut pour créer un état de fait qui lui permette de présenter ses propres revendications comme étant celles du peuple roumain enfin délivré du «fascisme».
Pour nous, la conclusion à tirer de cet état de choses est que, sauf s’il se produit un renversement des rapports de force entre les trois puissances signataires de l’armistice du 12 septembre 1944, le Conseil Fédéral ne pourra pas envoyer à Bucarest un nouveau ministre pour remplacer celui qu’il a autorisé à regagner la Suisse.