Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
II.22. SUÈDE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 300
volume linkBern 1992
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#1023* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 444 | |
Dossier title | Stockholm, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 14 (1944–1944) |
dodis.ch/47904
Le ministre de Suède à Moscou, en bref séjour à Stockholm et sachant qu’il me serait agréable de le voir, est venu me rendre visite aujourd’hui. Le connaissant beaucoup, puisqu’il a été jusqu’au printemps dernier directeur des affaires politiques au ministère, nous avons pu causer tout à fait librement.
Je lui ai posé deux questions: d’abord, si l’incident russo-suisse2 avait fait grand bruit à Moscou, ensuite, s’il se rendait compte des véritables motifs de la manière d’agir russe.
Il m’a été répondu que les Russes n’avaient pas parlé de l’affaire aux représentants étrangers, mais que ceux-ci s’en étaient beaucoup entretenus entre eux parce que, tout en regrettant l’échec de la tentative, ils ne pouvaient douter que les dirigeants de la politique étrangère soviétique poursuivaient, par leur attitude à l’égard de la Suisse, des fins plus étendues.
A l’avis de M. Söderblom, les hommes de Moscou avaient conçu un réel ressentiment de la persistante froideur de la Suisse, feignant de les ignorer ou de les traiter en quantité négligeable, précisément parce qu’eux-mêmes sont conscients de la position que notre pays occupe dans l’ordre international. Il vient s’y ajouter maintenant la compréhensible prétention russe de voir reconnaître, plus spécialement par les petits pays européens, les fabuleux sacrifices en sang et valeurs matérielles imposées à la Russie pour leur libération de l’emprise hégémonique de l’Allemagne.
Les Russes ont donc profité, à la manière surprenante et parfois déconcertante qui leur est propre, de l’occasion que la Suisse leur offrait si largement de manifester leur irritation fortement ressentie, quoique cachée jusqu’ici. Mon interlocuteur a insisté sur la réalité de ce sentiment et mis en garde contre l’idée qu’il ne s’agissait que d’un mouvement d’humeur tout fortuit. Lui, qui connaît assez bien les Russes par un long précédent séjour dans leur capitale, m’a déclaré qu’ils ne se laissaient jamais entraîner par des accès de colère passagère, mais prenaient toujours le temps de la réflexion. L’allusion dans la note suisse aux traditions démocratiques du pays aurait, d’autre part, incité les politiciens du Kremlin à entrer en matière sur le sujet. Car, en véritables réalistes, ils se méfieraient de tout ce qui ne leur paraît pas en relation directe avec la matière en discussion et passeraient à la riposte, ne serait-ce que par précaution.
L’avertissement retentissant donné à la Suisse que le facteur russe ne saurait dorénavant plus être ignoré devait, cela est clair, être entendu par nombre d’autres, notamment par les Etats qui se trouvent encore, comme elle, en état de rupture de relations avec la Russie bolchéviste.
Ce qui est plus réconfortant, dans la pensée très franchement exprimée par M. Söderblom, c’est qu’il se dit convaincu qu’au fond, les gouvernants russes seraient fort désireux de normaliser les rapports avec la Suisse et qu’ils s’y prêteront le moment venu. Soucieux de leur opinion publique, ils chercheront toutefois, au préalable, de lui représenter ce qui se passe et se passera en Suisse à leur manière, c’est-à-dire comme un succès remporté par leur diplomatie. Il ne faudrait pas trop se préoccuper de cette tendance, que les uns après les autres apprennent à connaître, sans s’en laisser impressionner outre mesure.
A ce propos, le ministre a constaté que, depuis l’invasion et l’étonnante campagne de France, l’appréciation russe du concours anglo-américain avait complètement changé et s’exprimait sans réticence. Par contre, les Soviétiques ne voulaient rien de l’entremise, ni de Londres, ni de Washington, pour arranger leurs affaires avec des tiers, opinion dont je vous ai déjà fait part comme m’ayant été exprimée au ministère. De là, il n’y avait naturellement pas loin pour le Suédois de représenter l’atmosphère de Stockholm comme plus favorable, d’autant plus qu’il s’y trouvait un représentant russe féminin3, personnellement intéressée à réussir dans ses entreprises et ayant fait ses preuves, grâce aussi à certaine influence qu’elle exercerait sur le milieu moscovite.