Classement thématique série 1848–1945:
III. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
III.5. TRANSIT
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 15, doc. 138
volume linkBern 1992
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| Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001D#1000/1553#6783* | |
| Ancienne cote | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 347 | |
| Titre du dossier | Neutralitätswidrige Aus- u. Durchfuhr von Waren (1943–1945) | |
| Référence archives | B.51.14.20 |
dodis.ch/47742 Exposé sur la question du transit1
A) Démarche anglo-saxonne
En juin 19432, les Gouvernements britannique et américain ont, par une démarche parallèle auprès de nos Légations à Londres et Washington, cherché à obtenir l’assurance qu’une intervention éventuelle de l’Allemagne tendant au transport par la Suisse de troupes et de matériel de guerre serait repoussée en tout état de cause et que des huiles minérales n’étaient, ni ne seraient, acceptées dans le trafic de transit.
Dans sa réponse, le Conseil fédéral s’est référé à sa déclaration de neutralité du 31 août 19393. Il relevait qu’il s’y était constamment tenu et déclarait qu’il se considérait comme lié par elle. Quant aux huiles minérales, il devait constater que, du point de vue international, elles ne sont pas comme telles, en droit et dans la pratique, assimilées à du matériel de guerre et qu’en fait, d’ailleurs, elles transitent en Suisse en quantités trop faibles pour jouer un rôle dans les événements actuels.
Un avis de droit sur la question du transit de marchandises par un pays neutre a été demandé au professeur Schindler, de l’Université de Zurich. Dans son étude, datée du 10 juillet 19434, M. Schindler arrive à la conclusion - qui correspond d’une manière générale à notre conception - que ne peuvent être admises à transiter en territoire neutre
1) les marchandises servant directement à des fins militaires,
2) les marchandises acquises par la force des armes (durch kriegerische Gewalt),
3) les marchandises dont le transit est en rapport direct avec les opérations de guerre.B) Situation juridique
Par la convention dite du Gothard avec l’Allemagne et l’Italie, du 13 octobre 1909, la Suisse s’est engagée à exploiter de façon ininterrompue la ligne du Gothard, force majeure réservée. Mais elle a le droit de prendre «les mesures nécessaires pour le maintien de la neutralité et pour la défense du pays» (art. 3).
Or, la question du transit de marchandises en pays neutre est réglée par la convention de La Haye concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre, du 18 octobre 1907:
«Il est interdit aux belligérants de faire passer à travers le territoire d’une puissance neutre des troupes ou des convois, soit de munitions, soit d’approvisionnements» (art. 2) - «Une puissance neutre ne doit tolérer sur son territoire aucun des actes visés par les articles 2 à 4..» (art. 5).
«Une puissance neutre n’est pas tenue d’empêcher l’exportation ou le transit, pour le compte de l’un ou de l’autre des belligérants, d’armes, de munitions et, en général, de tout ce qui peut être utile à une armée ou à une flotte» (art. 7).
Quant à l’article 7, la doctrine considère qu’il s’applique à des transports dont l’expéditeur au moins est un particulier, alors que ceux dont il est question à l’article 2 se font d’autorité à autorité. Etant donné qu’en Allemagne et en Italie, surtout depuis la guerre, l’économie est étatisée dans une large mesure, nous estimons que ce sont avant tout les articles 2 et 5 qui entrent pratiquement en ligne de compte pour la Suisse.
Mais l’article 2 prête à discussion. Pris à la lettre, il n’interdirait, indépendamment des passages de troupes, que les «convois» des belligérants, ce qui strictement parlant concerne les transports sous la protection militaire de ces derniers. Vu, cependant, que de tels transports seraient contraires à l’essence même de la neutralité, on doit se demander s’il ne s’agit pas d’autre chose et de davantage. Si l’on serre de plus près l’article 2, on constate qu’au sens de cette disposition «convois» s’entend d’une façon générale des «transports» en transit, «soit de munitions, soit d’approvisionnements». Or, les approvisionnements, ce sont, pour reprendre une terminologie consacrée par l’usage à la fois les «provisions de guerre» et les «provisions de bouche». D’après cette dernière définition, l’article 2 vise le transit de «tout ce qui peut être utile à une armée», comme l’article 7.
Pour leur part, les Autorités fédérales considèrent que l’article 2 a pour but d’interdire le transit du matériel de guerre lato sensu, en d’autres termes ce qui sert de façon évidente aux forces belligérantes. L’ordonnance sur le maintien de la neutralité, du 14 avril 19395, dispose, en effet, que devront être empêchés «les transports de matériel de guerre de toute nature, notamment d’armes, de munitions et de vivres destinés à une armée combattante» (art. 4). En ce qui concerne le matériel de guerre proprement dit, nous nous fondons, d’une manière générale, sur la nomenclature de l’arrêté du Conseil fédéral du 3 novembre 19396 - encore que ce texte vise l’importation et l’exportation de matériel de guerre, mais non le transit. Quant aux autres marchandises, en particulier les «vivres», les développements qui suivent leur sont applicables, en tant du moins qu’elles ne sont pas manifestement à l’usage des forces belligérantes elles-mêmes.C) Transit de marchandises1. Quant à la destination
Durant la guerre de 1914 à 1918, les Pays-Bas ont estimé qu’il leur appartenait de déterminer dans chaque cas à quoi étaient destinées les marchandises ne constituant pas comme telles du matériel de guerre qui franchissaient en transit leur territoire. Ils sont partis du point de vue que la question de savoir si une marchandise donnée rentrait ou ne rentrait pas dans la catégorie des convois d’approvisionnements envisagés à l’article 2 dépendait uniquement de l’emploi qui en serait fait. C’est ainsi qu’ils en sont venus à faire refouler des sables et graviers provenant d’Allemagne qu’ils savaient devoir être utilisés par les troupes d’occupation en Belgique. Leur opinion à cet égard était fondée sur les déclarations du pays belligérant, mais aussi sur les enquêtes auxquelles des commissions néerlandaises ont procédé sur les lieux vers lesquels avaient été dirigés les matériaux.
Une semblable pratique serait actuellement bien difficile à appliquer, d’une part en raison de son caractère inquisitorial, d’autre part à cause de l’appareil que nécessiteraient des investigations systématiques dans un trafic de l’importance du transit actuel par la Suisse. Nous ne sommes pas en mesure de distinguer suivant leur emploi futur des marchandises dirigées sur un pays belligérant ou en provenant, à moins que les papiers d’accompagnement permettent d’établir avec certitude qu’un envoi déterminé est destiné à une armée combattante (auquel cas il est refoulé en raison de sa nature, au même titre que du matériel de guerre caractérisé) ou qu’il y a présomption de réquisition (et il sera refusé à cause de son origine).
L’ordonnance sur le maintien de la neutralité (art. 4) tend, nous l’avons vu, à empêcher le transit de matériel de guerre de toute nature - «notamment de munitions, d’armes et de vivres destinés à une armée combattante». Or, les transports de «vivres», ce sont les « Verpflegusgstransporte» dans le texte allemand, apparemment emprunté au terme de «Verpflegungskolonnen» qui traduit «convois d’approvisionnements» de la convention de La Haye (art. 2). Il y a donc lieu de penser que l’ordonnance a en vue, non seulement les vivres au sens étroit (c’est sans doute avec intention que l’on n’a pas parlé de «Lebensmittel»), mais de façon générale les «approvisionnements» servant directement à une armée combattante. Dans le trafic de transit à travers notre pays, il est difficile de distinguer les envois utilisés pour le ravitaillement des forces belligérantes elles-mêmes. Il est notoire, cependant, que certaines marchandises sont très spécialement utiles à l’armée et l’on doit admettre que, dans les circonstances actuelles, les surplus transportés ne laissent souvent pas de profiter à la conduite des opérations de guerre. On pourra donc être amené, dans l’esprit de la convention de La Haye, à bloquer le transit de certaines marchandises, en tant qu’il est en augmentation ou parce qu’il s’est avéré qu’il sert directement et essentiellement à l’armée (ainsi la benzine).2. Quant à la provenance
L’occupation allemande en Italie du nord, consécutive aux événements de l’été 1943, a posé d’une manière aiguë la question de l’accroissement du transit par un pays neutre. En effet, c’est en quantités inusitées que des marchandises particulièrement utiles à la guerre affluaient dans nos gares frontières pour être dirigées sur l’Allemagne. On nous affirmait bien que ces marchandises avaient été acquises dans le commerce libre. D’après ce que nous savions, toutefois, les achats en Italie du nord étaient centralisés par l’autorité militaire. Aussi étaiton fondé à avoir des doutes sur le caractère de ces transactions, et l’on pouvait présumer à bon droit qu’il y avait réquisition dans la généralité des cas. Or, l’ordonnance sur le maintien de la neutralité ne mentionne pas explicitement les réquisitions, ce qui s’explique par le fait que l’on n’avait jamais jusqu’ici cherché à acheminer des marchandises réquisitionnées par notre territoire.
De 1914 à 1918, les Pays-Bas se sont trouvés placés géographiquement entre une puissance occupante, l’Allemagne, et un pays occupé, la Belgique, tout comme nous le sommes actuellement entre l’Allemagne et l’Italie. C’est dire que leur situation de naguère présente de grandes analogies avec celle que nous connaissons aujourd’hui. Les Pays-Bas ont eu, en effet, à prendre parti dans la question de l’acheminement par leur territoire de marchandises provenant de pays occupés. Ils ont décidé de ne pas autoriser le passage des marchandises réquisitionnées. Mais l’application de cette règle les a bientôt placés en présence de difficultés pratiquement insolubles. Aussi l’impossibilité de faire des distinctions quant à l’origine des matières premières les a-t-elle finalement amenés à refouler en principe tout transport de métaux, s’il n’était pas constant qu’il s’agissait d’un envoi non réquisitionné.
Si nous avions adopté une attitude semblable à l’égard de l’Allemagne, les courants commerciaux dits normaux, très importants on le sait, du transit sudnord se seraient eux-mêmes trouvés arrêtés. Il est vrai que nous avons finalement fait abstraction du critère des courants normaux, la Division du Commerce ayant fait valoir que celui-ci pourrait se retourner contre un pays comme le nôtre dont les échanges avec tel de ses partenaires (la Suède, la Turquie) ont considérablement augmenté depuis la guerre. Ainsi qu’on l’a vu, la convention de La Haye nous fait, en tant que neutres, le devoir d’empêcher qu’une armée belligérante ne profite de nos transports. Elle ne nous oblige pas, de toute façon, à supprimer tout transit entre territoires belligérants parce que celui-ci comprendrait une certaine proportion de marchandises réquisitionnées. Du moment, cependant, que les neutres ne sont le plus souvent pas à même de déterminer quelles sont les marchandises réquisitionnées, leurs mesures à cet égard ne sauraient échapper à un certain latitudinarisme. C’est ainsi que, par application scrupuleuse de notre politique de neutralité, nous en sommes arrivés à voir une solution dans l’interdiction ou le contingentement du transit de marchandises qui pourraient être directement utiles à la guerre ou dont le volume nettement excessif effacerait le caractère commercial.3. Réglementation du 24 mars 1944
En accord avec la Division du Commerce et ayant renoncé pour les raisons indiquées à nous placer sur le terrain des courants commerciaux normaux, nous avons arrêté, le 24 mars 1944, une réglementation du transit de marchandises à travers la Suisse (annexe l)7 tenant compte des circonstances du moment et de points de vue présentés du côté allemand.
a) Quant au transit en général, cette réglementation rappelle qu’en sont exclus: le matériel de guerre, les combustibles liquides, les marchandises réquisitionnées (les objets usagés, notamment, étant réputés tels);
b) Pour le transit Italie-Allemagne a été établie une liste de marchandises qui sont interdites ou contingentées. En ce qui concerne les quantités ainsi admises pour les chaussures, les tissus de coton, le fer, nous avons tenu compte de courants commerciaux en formation depuis un certain temps et également du transit Allemagne-Italie pour le fer, qui est envoyé en grandes quantités en Italie, où il est partiellement travaillé et réexporté en Allemagne par la Suisse (annexe 2)8. D) Transit de personnes
A partir du printemps 1941, nous avons autorisé le transit d’ouvriers italiens allant travailler en Allemagne. Les participants devaient être en civil et l’on s’assurait qu’ils n’étaient pas armés. Ces transports - qui n’ont pas suscité de réactions du côté anglo-saxon - ont complètement cessé depuis le changement de régime de l’été 1943 en Italie. Il avait été acheminé par le territoire suisse 310000 ouvriers en chiffre rond, dont 180000 se rendant en Allemagne et 130000 en revenant leur engagement terminé ou en congé. En automne 1943, le Gouvernement allemand nous a demandé de pouvoir reprendre les transports; mais nous n’avons pas donné suite à sa requête, la situation créée par l’occupation militaire de l’Italie du nord ayant totalement modifié les données du problème qui s’était posé une première fois en 1941.
- 1
- E 2001 (D) 3/347. Une première version de ce texte a été rédigée en janvier 1944 par J. Merminod, qui le remanie en mai 1944. Après l’avoir soumis à R. Kohli, Chef de la Section du Contentieux et des Intérêts privés à /’Etranger du DPF, J. Merminod adresse cet exposé le 17 mai 1944 au Ministre de Suisse à Vichy, W. Stucki.↩
- 2
- Cf. E 2001 (D) 3/5.↩
- 3
- Cf. DDS, vol. 13, doc. 139, dodis.ch/46896.↩
- 4
- Cf. E 2001 (D) 3/303.↩
- 5
- Cf. DDS, vol. 13, doc. 139, dodis.ch/46896.↩
- 6
- Cf. DDS, vol. 13, doc. 196, dodis.ch/46953.↩
- 7
- Non reproduite. Cf. aussi E 2001 (D) 3/348.↩
- 8
- Non reproduite.↩
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