Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 15, doc. 91
volume linkBern 1992
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2809#1000/723#35* | |
Old classification | CH-BAR E 2809(-)1000/723 2 | |
Dossier title | Etats-Unis d'Amérique (I & II) (1941–1944) | |
File reference archive | 3.1 |
dodis.ch/47695 Le Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz, au Ministre des Etats-Unis d’Amérique à Berne, L. Harrison1 Mon cher Ministre,
Par lettre du 2 février2,
vous avez bien voulu m’informer de la décision du Président des Etats-Unis de constituer un conseil interministériel pour les questions de réfugiés. En même temps, vous m’avez fait part des intentions de votre Gouvernement dans ce domaine et vous m’avez demandé dans quelle mesure le Gouvernement suisse serait prêt à collaborer à l’œuvre de secours envisagée par le Gouvernement des Etats-Unis. Enfin, vous sollicitiez la communication des suggestions que nous pourrions vouloir faire.
En ce qui concerne la contribution de la Suisse à la solution de ce problème, vous connaissez, je crois, nos efforts passés et actuels. Nous vous avons régulièrement mis en mesure de vous documenter à ce sujet. Je puis donc être bref sur ce point et cela d’autant plus que, dans sa note verbale du 16 novembre3 de l’année écoulée, le Département politique exposait très exactement, à l’intention de votre Gouvernement, comment se posait pour la Suisse la question des réfugiés et des internés, juifs et non juifs.
Je me borne donc à préciser, au vu des dernières statistiques, que sur les 70 500 réfugiés et internés de toutes catégories qui se trouvaient en Suisse au début de l’année 1944, 53 000 environ, dont 22000 israélites, répondent approximativement à la définition des personnes que vise votre enquête.
Cela dit, je rappelle que, malgré le très grand désir de notre population de voir notre pays se montrer hospitalier et accueillant, nos Autorités ont dû tenir compte du risque qu’aurait fait courir à notre sécurité un afflux massif et incontrôlé d’étrangers au nombre desquels pouvaient se trouver des éléments indésirables et des nécessités de la défense nationale, tout particulièrement dans certaines régions. Or la sécurité de la Suisse est en fin de compte aussi celle de ceux qui y ont trouvé refuge.
Si l’on fait abstraction des personnes rangées, de par leur statut, dans la catégorie des militaires, la Suisse admet actuellement, comme on le sait, sur son territoire, pour autant que les circonstances le lui permettent, plus spécialement: des fugitifs politiques; des malades et des femmes enceintes; des vieillards de plus de 65 ans et leur conjoint; des enfants ou très jeunes gens; des personnes qui ont des proches en Suisse; enfin, les femmes ayant perdu par mariage leur nationalité suisse et, s’il y a lieu, les conjoints de celles-ci.
Après un temps de quarantaine indispensable, les réfugiés sont, en principe, répartis soit dans des camps de travail, soit dans des hôpitaux ou maisons d’accueil pour adultes ou enfants, soit encore chez des particuliers. Les réfugiés sont à la charge des Autorités et des institutions charitables; ils ne peuvent exercer que très exceptionnellement une profession rétribuée à titre privé. Une solde-salaire est, par contre, versée à ceux qui s’acquittent d’un travail régulier dans les établissements où ils sont accueillis. Ceux des réfugiés qui disposent de ressources propres peuvent, dans certaines conditions, vivre à l’hôtel ou en appartement, ou être reçus par des parents ou amis. Les réfugiés conservent naturellement la propriété de leurs biens. Dans leur propre intérêt, les valeurs et l’argent dont ils sont porteurs à leur arrivée sont déposés auprès d’une banque, et les Autorités compétentes règlent les conditions dans lesquelles les intéressés peuvent disposer de ces dépôts.
Une fois surmontés les problèmes ardus d’organisation auxquels elles durent faire face, le principal souci de nos Autorités est présentement d’occuper les réfugiés selon des modalités qui tiennent compte de la situation présente et de l’avenir économique de notre population.
Après avoir ainsi brièvement résumé la situation, il me reste à aborder le dernier paragraphe de votre aide-mémoire. Vous ne serez pas surpris - observant et connaissant notre politique depuis de nombreuses années - et on le comprendra certainement à Washington, que, tout en apportant un concours aussi substantiel que possible dans des cas d’espèce, comme elle l’a constamment fait depuis le début du conflit, la Suisse, en raison même de sa stricte neutralité, ne puisse s’associer formellement à des initiatives de Gouvernements belligérants. Le maintien de cette attitude, loin de gêner son action effective, est au contraire, si ce n’est une condition à proprement parler, du moins de nature à renforcer la position grâce à laquelle il lui est encore possible, au cœur de l’Europe, de poursuivre sa contribution aux réalisations pratiques dans le domaine des secours aux victimes de la guerre.
Nous ne pourrions avoir de meilleur interprète que vous-même auprès du Gouvernement américain pour démontrer que, désireux de persévérer dans la voie que nous nous sommes tracée et de continuer à traduire dans une mesure aussi large que le permettent nos possibilités, limitées, il est vrai, par les circonstances et nos conditions propres, mais avant tout efficace, les sentiments de solidarité humaine qui animent le peuple suisse, nos actions doivent demeurer indépendantes et autonomes. C’est pourquoi nous nous soucions toujours aussi d’éviter que le soulagement que nous apportons ici ou là ne fasse partie des thèmes de la polémique de belligérant à belligérant.
Il est à peine nécessaire de vous assurer qu’à l’avenir comme par le passé, nous resterons prêts à examiner, dans un esprit pénétré à la fois de réalisme pratique et de sympathique sollicitude, les cas d’espèce dans lesquels notre concours pourra être jugé compatible avec les principes rappelés ci-dessus. C’est ainsi, vous le savez, que, sur une demande du Comité intergouvememental de Londres, inspirée par les Gouvernements américain et britannique, nous avons accepté d’interroger les Autorités françaises à Vichy quant à la possibilité d’obtenir des permis d’émigration pour des enfants de réfugiés menacés de déportation ou dont les parents ont été déportés ou sont menacés de l’être.
J’ajouterai enfin qu’il nous serait utile d’être tenus au courant des réalisations qui seront mises en œuvre ensuite des récentes décisions du Président des Etats-Unis.
Veuillez agréer, mon cher Ministre, l’assurance de ma haute considération et de mes sentiments les meilleurs.
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Internees and prisoners of war (1939–1946)