Classement thématique série 1848–1945:
III. RELATIONS ÉCONOMIQUES INTERNATIONALES
III.2. LES ALLIÉS
III.2.2. NÉGOCIATIONS FINANCIÈRES AVEC LES ALLIÉS
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 15, doc. 73
volume linkBern 1992
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2001E#1000/1571#1485* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2001(E)1000/1571 131 | |
Titre du dossier | Schweiz. Banken auf schwarzen Listen (1940–1947) | |
Référence archives | B.51.322.04 |
dodis.ch/47677 Compte-rendu d’une séance de préparation des négociations financières avec les Alliés1 PROCÈS-VERBAL DE LA CONFÉRENCE TENUE LE 24 JANVIER DANS LE BUREAU DE M. KOHLI AU SUJET DE L’ACTIVITÉ DES BANQUES SUISSES QUI FERA L’OBJET DE DISCUSSIONS AU COURS DES NÉGOCIATIONS DE LONDRES
Sont présents: M. le Prof. Keller, Division du Commerce,
M. V. Gautier, B.N.S.,
MM. Nussbaumer, Caflisch, Jann, A.S.B.,
MM. Rezzonico, Kohli, Reichenau, Bieri et Junod,
Département Politique.Début de la séance: 14 h. 20 - Fin de la séance: 16 h. 45.
M. Kohli après avoir salué les assistants remercie M. Nussbaumer d’avoir rédigé un mémorandum2 sur l’objet de la discussion, lequel pourra servir de fil d’Ariane au cours de cette conférence. Il donne immédiatement la parole à M. Keller pour que celui-ci résume les impressions qu’il rapporte de son premier contact avec les Alliés en novembre et décembre 1943.
M. Keller constate que, depuis que les Alliés ont fait figurer le problème de l’activité des banques suisses au nombre des sujets de discussion à aborder au cours des négociations, cette question passe dans le domaine officiel, raison pour laquelle il est nécessaire que la délégation soit parfaitement au clair sur le sujet3. Après avoir résumé l’activité de M. Nussbaumer en 1942, M. Keller relève la déception des autorités alliées qui regrettent que la Suisse n’ait pas réagi plus nettement au projet d’undertaking qui leur a été soumis. Il faut s’attendre, au cours des prochaines négociations, à ce que les Alliés exigent une discussion approfondie de toutes les opérations des banques suisses. Leurs exigences seront, à n’en pas douter, plus fortes que celles qu’ils ont fait valoir en 1942. Il semble toutefois qu’ils se fassent certaines illusions sur les opérations des banques suisses, illusions qu’il sera facile de dissiper dans la plupart des cas grâce à des explications absolument claires. L’impression que M. Keller a retirée de son entretien avec M. Bliss est que celui-ci a une très large compréhension pour la situation de la Suisse et la nécessité qu’il y a pour elle de maintenir sa position internationale dans le domaine bancaire. Les Alliés voient toutefois d’un mauvais œil certaines mesures des banques suisses dues à la guerre (Kriegserscheinungen) telles que l’existence de comptes numérotés, de comptes joints et opérations sur les devises étrangères. La situation est délicate: les Alliés vont, selon toute vraisemblance, présenter une liste de revendications à la délégation et la tâche de celle-ci consiste à trouver un terrain d’entente sur lequel les exigences alliées pourront être mises en harmonie avec les intérêts suisses.
Le but de la conférence de ce jour consiste à définir la ligne de conduite que devra suivre la délégation.
M. Gautier intervient pour demander pourquoi et en quelle qualité la Banque Nationale doit prendre part aux négociations de Londres.
MM. Keller et Kohli constatent que c’est le Conseil fédéral lui-même qui désire voir la B.N. être représentée à Londres.
M. Keller insiste sur le désir des Anglais de discuter avec des représentants officiels. Or dans le domaine bancaire, ce sont les délégués de la B.N. qui seront les mieux à même, vu leurs connaissances techniques, de discuter avec les Alliés.
M. Nussbaumer en se rendant à cette conférence a rencontré M. Weber, Président de la Banque Nationale, qui lui a fait part de la surprise qu’il avait éprouvée en lisant le mémorandum dont il est question ci-dessus. Il y a en effet constaté que son auteur se réfugie derrière la politique monétaire de la Banque Nationale pour justifier toutes les opérations internationales qu’effectuent les banques suisses. M. Nussbaumer tient à préciser que ce mémorandum doit servir de base à une discussion purement interne et qu’il n’est nullement dans l’intention des banques suisses d’incriminer vis-à-vis des Alliés la politique de la Banque Nationale. Si, à son avis, celle-ci laisse aux banques la possibilité de faire certaines opérations peu prisées des Alliés, il n’en demeure pas moins que les banquiers suisses sont parfaitement conscients de l’intérêt qu’il y a à ne pas discuter cette politique en présence des Alliés. Il tient à rassurer pleinement M. Gautier - qui avait exprimé certaines craintes quant à l’attitude que semblait adopter M. Nussbaumer dans son mémorandum - sur la solidarité dont les banques suisses entendent faire preuve au sein de la délégation. Cette question de principe dûment tranchée, il est possible de passer à la discussion des divers points abordés dans le mémorandum Nussbaumer.I. Commerce de l’or avec les instituts d’émission étrangers.
M. Kohli remarque que cette question présente deux aspects:
a) Un aspect qui intéresse uniquement la Banque Nationale et qui fera l’objet d’une discussion séparée avec la Direction de la Banque Nationale;
b) Un aspect qui intéresse les banques privées en tant qu’elles sont appelées à faire le commerce de l’or avec des banques étrangères.
M. Nussbaumer remarque que, depuis l’introduction de l’arrêté du Conseil fédéral du mois d’octobre 19424 réglementant le commerce de l’or, les banques ont pour ainsi dire cessé toute opération avec ce métal à l’exception des quelques transactions autorisées par ledit arrêté.
M. Kohli relève que, avant octobre 1942, ces opérations ont pris une certaine ampleur et qu’il est possible que les Alliés demandent des comptes à cet égard.
M. Gautier remarque que, pour les opérations dont parle M. Kohli, les banques suisses peuvent tout au plus subir une critique mais ne peuvent plus prendre aucune mesure étant donné que ces opérations sont terminées depuis longtemps. Etant donné toutefois que la B.N.S. entretient un commerce d’or actif avec les banques centrales étrangères, il en résulte des crédits en francs suisses en faveur de ces instituts qui chargent alors les banques privées suisses de certaines opérations qui ne sont pas toujours agréables5. C’est sur cet aspect-là du problème qu’il faut s’attendre à une forte pression des Alliés. Il convient donc de trouver pour la délégation un terrain de discussion solide puisqu’ainsi qu’il ressort de la discussion qui précède, les banques suisses ne peuvent se réfugier derrière la politique de la B.N. qui ne peut être mise en question à Londres.
M. Kohli constate que les autorités fédérales ne sauraient en aucune mesure intervenir pour empêcher les banques d’effectuer les opérations qui vont à rencontre des intérêts alliés. La Suisse doit insister dans ce domaine sur les devoirs que lui impose sa neutralité et faire comprendre à Londres qu’elle ne peut s’engager ni d’un côté, ni de l’autre. Il est fort probable que cette attitude ne rencontrera pas la pleine compréhension des Alliés. Nous ne pouvons toutefois adopter une autre attitude qui implique pour les banques suisses le risque d’être portées sur la liste noire si elles continuent à participer à des transactions «objectionable» aux yeux des Anglo-américains. M. Kohli relève que, depuis des mois déjà, au sein de la Commission mixte, les Suisses ont toujours insisté auprès de leurs interlocuteurs anglais et américains sur le fait que, s’ils voulaient mettre un terme aux opérations en pesetas et escudos auxquelles ils répugnent, il fallait qu’ils abordent ces affaires par le côté concret en s’en prenant non point aux banques suisses mais aux vendeurs de la marchandise qui se trouvent en Espagne ou au Portugal.
M. Keller relève que la Grande-Bretagne a conclu à cet égard des arrangements avec l’Espagne et le Portugal et l’on peut s’attendre dès lors que le nombre de ces opérations diminue. Il convient d’ailleurs de remarquer que, financièrement parlant, elles n’ont rien de répréhensible. La délégation se propose d’insister une fois de plus sur l’intérêt qu’il y aurait à ce que les Alliés agissent dans le secteur «marchandise»6 et non plus dans le secteur «financier» comme ils l’ont fait jusqu’ici.II. Libre commerce des devises en Suisse.
M. Kohli constate que, dans ce domaine également, les banques sont parfaitement libres d’agir comme bon leur semble et que les autorités ne sauraient leur imposer quelque restriction que ce soit. A son avis, il faut insister à Londres sur le fait que les banques ne peuvent renoncer à leurs relations d’affaires antérieures de peur d’avoir à cesser toute activité.
M. Keller estime qu’il faut adopter dans ce domaine la même politique que celle suivie dans le trafic des marchandises. Il faut amener les autorités britanniques à admettre que les banques suisses maintiennent leur activité internationale qui est leur raison de vivre.
M. Kohli résume la situation en constatant qu’il faut faire admettre aux Britanniques l’existence d’un «courant normal» ainsi qu’on dit dans le domaine des marchandises.
M. Keller estime qu’il faut défendre à Londres l’idée que, si les banques suisses effectuent certaines opérations qui n’agréent pas aux Alliés, ce n’est pas tant parce que, vu la politique de la B.N. elles ne peuvent faire autrement, que parce que ces opérations sont indispensables au maintien de leur activité.III. Entremise prêtée par la Suisse aux transferts de propriété ennemie.
M. Kohli résume les deux aspects du problème qui sont:
a) Le rachat par des Suisses de participations allemandes dans des affaires italiennes (déclaration de Lord Selborne du 21 septembre 1943)7;
b) Le rachat par les Suisses de biens et de propriétés provenant des pays occupés8.
Il ressort de la discussion que les autorités suisses peuvent difficilement prendre la défense à Londres des capitalistes suisses qui ont cru devoir prêter la main à de telles opérations. Les Alliés, par leur déclaration des mois de janvier et de septembre 1943, ont entendu mettre le monde en garde contre ces transferts de propriété et M. Keller estime qu’il est impossible à la délégation de discuter le bien-fondé de l’attitude alliée. Il s’agit là de questions où le libre arbitre des particuliers est seul déterminant, ceux-ci ne pouvant ignorer les risques qu’ils courent en passant outre aux avertissements alliés.
[...]9V. Projet d’Undertaking.
M. Keller constate que les exigences alliées dans ce domaine ont beaucoup augmenté depuis le premier projet d’Undertaking soumis aux Suisses à l’occasion de l’affaire Hentsch10 et le dernier projet qui sera probablement discuté à Londres. Il désirerait savoir quelle attitude l’A.S.B. entend adopter à l’égard des exigences anglaises.
M. Caflisch remarque que l’A.S.B. ne saurait reconnaître officiellement le bien-fondé de cet undertaking. Tout ce qu’elle peut admettre, c’est de ne pas s’opposer à ce qu’une banque qui se trouve sur la liste noire signe un tel undertaking pour en être radiée.
En fin de séance, M. Kohli a entendu insister sur les deux principes soulignés par M. Nussbaumer dans son exposé.
Il convient que la délégation s’inspire des deux idées que voici:
a) On ne saurait admettre que les Alliés par leurs exigences rendent en effet nul le principe «nulla poena sine lege». Il faut insister auprès d’eux pour qu’ils renoncent à prendre des mesures contre les maisons suisses pour des opérations effectuées par celles-ci à une époque où elles ignoraient la répugnance alliée envers ces opérations.
b) Il faudra également relever que la Suisse ne saurait appliquer sur son territoire les prescriptions de la législation économique et financière de guerre alliée.
M. Keller résume comme suit ce qu’il reste à faire avant le départ de la délégation:
a) Discussion avec la Direction de la B.N. sur le problème de ses achats et ventes d’or à l’étranger.
b) Discussion des banques sur les exigences alliées (M. Nussbaumer se propose de convoquer le Comité G.B. et la commission d’experts de l’A.S.B. pour reprendre tous les points discutés au cours de la séançe de ce jour).
Il est probable que la question de l’activité des banques ne sera abordée qu’en fin de négociations, ce qui permettra à MM. Nussbaumer et Gautier de se rendre un peu plus tard à Londres et d’avoir plus de temps pour discuter encore tous ces problèmes avec les cercles suisses intéressés.
Au cours de la discussion, M. Keller a relevé l’intérêt qu’il y aurait à ce que l’on puisse satisfaire au désir des Alliés qui demanderont probablement comment les Suisses entendent faire connaître aux banques suisses les conclusions auxquelles seront arrivés les négociateurs. Il se demande s’il ne conviendrait pas que l’A.S.B. envisage la publication d’une circulaire ou, tout au moins, organise un exposé de M. Nussbaumer au Conseil d’administration de l’A.S.B. qui pourrait faire l’objet d’un protocole qui pourrait servir de preuve tangible aux efforts faits par cette association pour divulguer les arrangements pris à Londres.
M. Caflisch se rend parfaitement compte de la justesse de cette remarque mais croit qu’il sera un peu difficile de faire la chose par circulaire. L’A.S.B. examinera comment arriver à une solution satisfaisante.
- 1
- E 2001 (E) 1/131. Ce procès-verbal, daté du 25 janvier, a été rédigé par E. Junod, de la SCIPE du DPF.↩
- 2
- Nussbaumer a rédigé un mémorandum daté du 19 janvier 1944, puis Ta remanié, à la suite de cette séance, afin d’éviter des frictions avec la BNS. Cf. sa lettre du 25 janvier 1944 (E 2001 (E) 1/131).↩
- 3
- L’activité des banques suisses figure pour la première fois dans la liste des problèmes à négocier adressée par les Alliés à la Suisse le 30 septembre 1943 (Cf. la lettre de P. Keller à W.J. Sullivan du 2 octobre 1943, E 7110/1973/135/18). Cette question avait été discutée lors d’une séance réunissant le 13 octobre 1943 les négociateurs suisses et des dirigeants des banques. Il avait été convenu à l’unanimité que toute la politique de la délégation consistera à gagner du temps afin de ne pas aborder ce problème lors de la première phase des négociations économiques à Londres en décembre 1943 (cf. E 2001 (E) 1/131).↩
- 4
- Il s’agit en fait de l’ACF du 7 décembre 1942. Cf. RO, 1942, vol. 58, pp. 1127 ss.↩
- 7
- Cf. E 2001 (E) 1967/113/443 et E 7110/1967/32/821/Grossbritannien/2.↩
- 8
- Adjonction manuscrite de Junod: (Déclaration des Nations Unies du 6 janvier 1943). Cf. No 15. Cf. aussi E 2001 (E) 1/119 et E 6100 (A) 25/2326.↩
- 9
- La discussion porte ensuite sur divers aspects de l’activité des banques, tels que la fondation de holdings, les participations à des cartels internationaux, la gestion de fondations de famille, de comptes joints et de comptes numérotés, le commerce des titres sans affidavit, le trafic des billets de banque étrangers.↩
- 10
- La banque Hentsch est inscrite sur les «listes noires» dès janvier 1942 et en sera radiée en juin 1944 après avoir signé un Undertaking. Cf. E 2001 (E) 1/123, E 2001 (E) 1968/78/284 et 285.↩
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Alliés (Deuxième Guerre mondiale)