Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.2.BULGARIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 369
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#992* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 434 | |
Dossier title | Sofia, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 6 (1943–1943) |
dodis.ch/47555
J’ai l’honneur de vous donner aujourd’hui quelques renseignements sur la situation intérieure de la Bulgarie.
Le 24 mai, le Gouvernement a décidé de faire partir de Sofia la trentaine de milliers d’Israélites qui s’y trouvent encore et de les obliger à se rendre dans l’intérieur du pays, dans les villages où leurs coreligionnaires devront leur donner asile2. Les personnes visées partent par escouades trois jours après avoir reçu leur ordre de marche. Elles ne peuvent emporter que des effets personnels. Comme il paraît impossible de loger tous ces Juifs, même en accordant à chaque famille un espace juste suffisant pour dormir, on suppose que la majeure partie d’entre eux seront mis dans des camps de concentration d’où ils risquent d’être transportés en Pologne, puisque la Bulgarie leur a fermé la frontière turque.
Le 25 mai, des bulletins anonymes ont été distribués à Sofia. En voici la traduction:
«Après le chantage au sujet de la participation des Juifs à l’assassinat de personnalités bulgares, le Ministre de l’Intérieur Gabrovski et sa clique croient que l’opinion publique bulgare acceptera silencieusement, sans protestations, la cruauté exercée contre nos compatriotes les Juifs, et les pogromes qu’ils préparent.
La chasse impitoyable contre les vieillards, les femmes et les enfants a commencé. Mercredi, 28 mai, 6000 Juifs seront internés à Karnobat d’où ils seront expédiés à l’abattoir en Pologne. Les Juifs bulgares sont décidés à mourir dans leurs demeures. La terre bulgare, notre Patrie, qui les a nourris, doit aussi boire leur sang. Allez dans les quartiers et les maisons où se trouvent les Juifs et soyez témoins de la tragédie indescriptible des femmes et des enfants dont les époux et pères ont été envoyés aux travaux de construction des routes. Protestons auprès du Gouvernement bulgare et attirons l’attention de Sa Majesté pour que cette mesure inhumaine soit rapportée. Evitons à l’histoire bulgare une telle souillure.»
Cet appel était manifestement destiné à provoquer des réactions publiques qui, toutefois, n’ont pas eu lieu. Ceci ne signifie pas que la population approuve les rigueurs dont les Israélites sont victimes. Diverses voix autorisées et non pas seulement des politiciens de l’opposition ont critiqué les mesures envisagées. Certains antisémites ont même fait remarquer qu’il vaudrait mieux surveiller les Juifs à Sofia plutôt que leur donner l’occasion de créer une agitation dans les campagnes. L’exode se poursuit néanmoins, mais plus lentement. On ne voit presque plus d’étoiles de David dans les rues de Sofia.
Une pétition signée «un groupe de Bulgares» a été adressée dans les termes suivants à la Légation:
«Nous vous prions, en votre qualité de Ministre de Suisse, d’intervenir auprès du Gouvernement bulgare pour qu’il révoque l’ordre secret, donné sous la pression du Gouvernement du Reich, envoyant en Pologne tous les Juifs bulgares.
L’intention est de tuer ces gens. Nous, les Bulgares, nous sommes tous contraires à la persécution des Juifs et nous vous prions, vous représentant d’un pays civilisé, de faire tout votre possible pour que cet ordre soit aboli. En faisant cela, vous sauverez la vie de plusieurs milliers de Juifs bulgares.
Nous, Monsieur le Ministre, formant un groupe de Bulgares, nous vous prions instamment de faire connaître au monde entier, de la manière qu’il vous plaira, la brutale intention qu’a le Gouvernement bulgare envers la population juive pacifique.
En espérant que vous donnerez suite à cette requête, nous vous prions d’agréer, etc.
Sofia, 30 mai 1943.
P.S. - Nous vous prions de demander à la presse suisse de publier quelque chose afin que notre Gouvernement ne soit pas si cruel.»
Les lettres anonymes que je reçois prennent généralement le chemin de la corbeille à papiers. Si j’ai traduit les deux billets non signés figurant dans ce rapport, c’est parce qu’ils confirment des craintes qui m’ont été aussi exprimées verbalement.
Il n’est pas impossible que la Bulgarie finisse par imiter la Hongrie et la Roumanie, qui se sont refusées à livrer leurs Juifs à l’Allemagne. Lors de notre récente visite au Président du Conseil, M. Filov a déclaré à M. Chapuisat, membre du Comité International de la Croix-Rouge, actuellement en Bulgarie3, que l’idée d’envoyer des Juifs en Palestine n’a pas été abandonnée, mais que le Gouvernement choisira l’heure propice à l’exécution de ce projet et désignera lui-même, par l’intermédiaire d’une commission ad hoc, ceux qui pourront partir.
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