Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.19 ROUMANIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 304
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#212* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 105 | |
Dossier title | Bukarest, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 11 (1943–1944) |
dodis.ch/47490
MONARCHIE ET DICTATURE2
Depuis une semaine, une tragédie de palais se joue à Bucarest. Le rideau n’est pas encore tombé, mais un dénouement au moins provisoire paraît proche.
Avant d’analyser la pièce, il convient de présenter les personnages et d’indiquer les dispositions qui les animent au moment où l’action commence:
Le roi et la reine-mère. - L’un et l’autre voient le salut du pays dans un changement de politique. Sans l’avouer ouvertement, tous deux partagent les vues de M. Maniu3. Tous deux se sentent captifs. Les officiers de leur maison militaire ont tous été choisis par le maréchal et n’obéissent qu’à lui. Leurs domestiques sont des espions toujours aux aguets. Les conversations téléphoniques des souverains sont écoutées. Ils ne peuvent se fier qu’à de rares amis et à deux ou trois des membres de leur maison civile.
Le maréchal. - Divers indices donnent à penser qu’il ne croit plus à la victoire de l’Axe. Mais il continue à se comporter comme s’il y croyait. Son entêtement et les démentis quotidiens que lui infligent les faits le maintiennent dans un état de perpétuelle exaspération.
M. Mihai Antonesco. - Plus clairvoyant que le «Conducator», il est moins énergique. C’est un velléitaire. Il discerne bien ce qu’il faudrait faire, mais il hésite sur les moyens à employer. Très impressionnable, il craint de heurter de front le maréchal dont il redoute les colères et, surtout, il se rend compte que, si les Allemands le soupçonnaient de vouloir leur échapper, sa peau ne vaudrait pas cher.
Lundi dernier, 8 février, le président intérimaire se rendit au Palais, chargé par son maître d’exposer aux souverains que l’on avait fort à se plaindre de leur attitude: on ne les accusait de rien de moins que de comploter contre le régime et d’entretenir des intelligences avec l’ennemi.
Des nombreux griefs articulés contre Leurs Majestés, la plupart étaient ou ridicules ou odieux, en même temps que dépourvus non seulement de toute réalité, mais de toute vraisemblance. Le roi les discuta très calmement, avec beaucoup de bon sens, tandis que sa mère exhalait son indignation en termes véhéments.
Par moments, le débat fut très vif. L’émissaire du «Conducator» ayant dit à l’hôte du Palais que, s’il ne se montrait pas plus docile, on pourrait l’obliger à s’en aller, le jeune monarque répondit: «Vous pouvez me fusiller, vous ne me ferez jamais abdiquer». Le premier ministre suggéra que la reine-mère ferait bien d’aller passer quelque temps en Italie. Le roi répliqua sèchement qu’il s’y opposait. A un certain moment, il demanda: «Sont-ce les Allemands qui vous ont chargé de tenir ce langage à votre Souverain?» Le visiteur se confondit alors en dénégations offensées. Vers la fin de la conversation, qui fut très longue, il paraissait apaisé.
Cependant, il voulut interroger encore le secrétaire particulier, qui fait aussi fonctions de maréchal de la Cour. Les réponses de ce dignitaire furent de tous points semblables à celles de Sa Majesté.
De tous les chefs d’accusation énumérés par M. Mihai Antonesco, deux seulement résistaient à l’examen: 1° le ton trop pacifique, trop détaché des discours prononcés par le roi à l’occasion de la nouvelle année; 2° le fait qu’il usait de son droit de grâce pour empêcher l’exécution de certaines sentences capitales, tandis que le «Conducator», désireux de «faire des exemples», réclamait une justice impitoyable (il s’agit là d’infractions qui, en temps de paix, seraient considérées comme des délits mineurs, mais que certains décrets de circonstance ont transformées en crimes).
Michel Ier revendique hautement la responsabilité de ses actes et couvre ses collaborateurs immédiats, lesquels, déclare-t-il, n’ont fait qu’obéir à ses ordres. C’est sur cette affirmation réitérée qu’il congédia, lundi dernier, son visiteur. Ce dernier, d’autre part, émit l’opinion que, pour soustraire le souverain à des influences fâcheuses, il estimait nécessaire de procéder à certains changements dans le personnel de sa maison civile. Il ajouta que la solution la plus élégante serait de mobiliser les «indésirables».
Le soir même, en rentrant chez lui, le secrétaire particulier-maréchal de la Cour apprit qu’un sous-officier s’était présenté à son domicile avec un ordre d’appel sous les drapeaux et celui de s’assurer immédiatement de sa personne. Il regagna aussitôt le Palais Royal pour informer le roi de ce qui se passait. Le souverain lui ordonna d’y rester. Il l’y a gardé toute la semaine, ainsi que sa femme. Pendant tout ce temps, il a négocié avec le gouvernement, faisant valoir que ce dernier avait approuvé sa décision de confier à l’intéressé, à titre provisoire, les fonctions de maréchal. Il serait disposé à laisser partir son collaborateur aux conditions suivantes: 10 que l’on nomme maréchal de la Cour, en titre, un des diplomates naguère proposés par lui-même; 2° que le nouveau dignitaire soit initié à ses fonctions par son prédécesseur; 3° que ce dernier reçoive une compensation entièrement satisfaisante.
Un accord sur ces divers points semble aujourd’hui probable.
Il vous intéressera d’apprendre que, dans la discussion relative à un éventuel départ des souverains, le roi s’est exprimé comme suit: pas d’abdication et la possibilité de s’établir en Suisse avec quelques-uns de ses fidèles, ajoutant que, si cela ne lui était pas accordé, il préférait prendre sur lui tous les risques d’une lutte ouverte contre le gouvernement et se réservait d’adresser un appel au pays4.
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