Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.19 ROUMANIE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 14, doc. 149
volume linkBern 1997
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#211* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 105 | |
Dossier title | Bukarest, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 10 (1942–1942) |
dodis.ch/47335
Pour aujourd’hui, je me bornerai à vous rapporter aussi fidèlement que possible ma conversation d’hier avec M. Mihai Antonesco. C’est à sa demande que je m’étais rendu chez lui. Je m’abstiens d’ajouter aux propos que nous échangeâmes le moindre commentaire.
A. - Je vous ai fait venir pour vous parler du départ des Américains. Notre légation de Budapest vient de me télégraphier que la mission américaine de cette ville, qui devait se mettre en route incessamment, reste en Hongrie jusqu’à nouvel ordre. Son passage par la Croatie donne lieu, paraît-il, à des difficultés. Les Hongrois craignent que, si les Américains de Bucarest commencent leur voyage avant que ces difficultés aient été aplanies, ils ne soient obligés de s’arrêter plusieurs jours à Budapest.
W. - Est-ce une question de visa? Je crois savoir que, pour les Américains de Bucarest, elle est réglée. Si elle ne l’est pas pour ceux de Budapest, que nous importe?
A. - A vrai dire, il s’agit plutôt de difficultés techniques...
W. - Alors, c’est une question de chemins de fer. Chutes de neige, peutêtre? Ou mauvais état des voies?
A. - Oui et non... Enfin, je veux dire que la situation, en Croatie, autorise une certaine inquiétude...
W. - Je comprends: le pays n’est pas sûr. Mais que s’y passe-t-il au juste?
A. - Eh bien voilà: le gouvernement croate va sans doute être obligé d’évacuer Zagreb. Une intervention militaire de la Hongrie paraît imminente...
W. - Dans ce cas, il vaut mieux, évidemment, que nos Américains ajournent leur départ ou que l’on modifie l’itinéraire.
A. - Je voudrais vous parler maintenant d’une autre affaire, beaucoup plus importante pour nous. Il ne s’agit plus de politique: l’avenir de notre pays est en jeu. Oubliez que vous avez devant vous un ministre, éphémère comme tous les ministres. Ce n’est pas lui qui fait appel à votre amitié: c’est un Roumain, au nom de toute la Roumanie. Le roi, la reine mère, le maréchal, la nation tout entière vous adjurent par ma bouche de nous rendre un immense service.
W. - Je vous écoute.
A. - J’apprends que l’ex-roi Carol se propose de quitter le Mexique et de se rendre à Washington. Il offrirait ses services à Roosevelt pour former un gouvernement qui combattrait le nôtre. Cela ne se peut pas. Il n’est pas admissible que cet homme prétende représenter en Amérique un peuple qu’il a trahi. C’est Carol, vous le savez, qui nous a mis dans l’obligation de choisir entre l’anéantissement total et la politique à laquelle nous nous rallions aujourd’hui. On ne l’ignore pas à la Maison Blanche. M. Gunther, je le sais, a fort bien renseigné son gouvernement sur tout ce qui se passait chez nous. Vous qui connaissez et qui aimez notre pays, ne pourriez-vous pas faire dire là-bas par votre gouvernement que l’Amérique, en plaçant l’ex-roi sur un piédestal, travaillerait à ruiner l’avenir du peuple roumain et de sa dynastie?
W2. - Mon cher président, je ne pense pas qu’une association entre le président Roosevelt et votre ancien souverain puisse modifier sensiblement la marche du destin. Au surplus, vous n’oubliez qu’une chose: c’est que vous avez déclaré la guerre aux Etats-Unis. Si Roosevelt a du bon sens, s’il connaît par les rapports du pauvre Gunther la politique roumaine de ces dernières années, il verra de ses propres yeux les périls que présenterait une alliance avec Carol. Mais si vous lui faites demander de repousser les avances de l’exilé, il sera tenté de se dire que vous seriez fort ennuyés de le voir se mettre d’accord avec lui. Demander à un ennemi de ne pas faire une chose, c’est lui donner envie de la faire. Y avez-vous songé?
A (après quelques minutes de tergiversations). - Vous avez raison. Je n’avais pas pris garde à cela. N’en parlons plus.
A. - Vous connaissez les fautes politiques de Carol, ses crimes contre la nation. Mais vous ne savez sans doute pas tout ce qu’il s’est permis en fait d’exactions et de délits de droit commun. La Cour de Cassation a rendu à ce sujet un arrêt, que nous n’avons pas publié, par égard pour la famille royale, mais que je vous communiquerai. Si ce document pouvait être connu à Washington, on ne s’y ferait plus d’illusions sur la valeur de l’homme.
W. - Je ne manquerai pas de le lire avec attention et, si vous m’y autorisez, de le transmettre à mon gouvernement3.
- 1
- E 2300 Bukarest/10.↩
- 2
- [Note en bas de page par R. de Week sur le document:] Je reproduis à peu près textuellement la teneur de ma réponse. J’aurais pu me borner à dire: 1 °/ que la Suisse n’était pas chargée des intérêts roumains aux Etats-Unis; 2°/ que mon gouvernement estimerait, selon toute vraisemblance, qu’une telle démarche ne serait guère conciliable avec la politique de neutralité de laquelle il n’entend pas se départir. Si j’ai renoncé à faire usage de ces arguments, c’est parce qu’il m’a paru préférable d’aborder le fond même de la question et de faire sentir à mon interlocuteur qu’il s’engageait dans une voie dangereuse pour sa propre cause.↩
- 3
- Ce document n’est pas joint au rapport. Nous ne savons pas s’il a été effectivement remis à Berne.↩
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