Classement thématique série 1848–1945:
2. RELATIONS BILATÈRALES
2.21. SUÈDE
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 14, doc. 126
volume linkBern 1997
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#1020* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 443 | |
Titre du dossier | Stockholm, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 11 (1941–1941) |
dodis.ch/47312
Des nouvelles parvenant ici de diverses sources, entre autres de milieux militaires allemands, dépeignent, dans son ensemble, la situation des armées allemandes en Russie comme extrêmement difficile. Leurs pertes en hommes et matériel seraient effectivement énormes, dépassant de beaucoup les prévisions les plus sombres. Ainsi que je vous l’ai écrit déjà, les avions russes, qui pullulent, abattent journellement nombre d’appareils allemands. Les conditions du ravitaillement en toutes choses nécessaires se heurtent à des difficultés inimaginables par suite tant de la pénurie que de l’état lamentable de tous les moyens de communications. Aux très nombreux blessés s’ajoutent, chaque jour en nombre grandissant, les malades, dont beaucoup ont des membres gelés. Comme je l’ai précédemment remarqué aussi, il se révèle qu’il y a une supériorité, peut-être la seule, que le soldat allemand ne possède pas sur d’autres, c’est la résistance physique. Or, voici qu’il se trouve placé pendant des mois dans les circonstances les plus éprouvantes à cet égard. Au surplus, le transport des blessés et malades s’effectuerait dans de misérables conditions, évacués qu’ils sont pendant des heures, des jours même, sur de primitifs véhicules. Aussi beaucoup meurent-ils ou voient-ils s’aggraver leur état en cours de route. De Varsovie, en particulier, on me dit qu’elle est devenue le plus grand centre d’étape qu’on ait jamais vu.
Malgré tout cela, le moral des troupes allemandes, décidées à tenir et à se battre, resterait fort bon, sauf sur le front septentrional de Murmansk, où rien n’avance plus et où la démoralisation se serait emparée des Allemands, déconcertés par la nuit polaire et le froid intense.
Un personnage suédois considérable, censé particulièrement informé, exprime aujourd’hui l’avis que «les Allemands ne peuvent plus gagner la guerre». Le même propos m’est rapporté de la part d’officiers allemands qui se sont trouvés sur le front russe. On irait même jusqu’à se demander si le moment n’approcherait pas où des chefs militaires pourraient être amenés à prendre eux-mêmes en main la conduite suprême de la guerre, avec une chance nouvelle de voir s’ouvrir la voie à une négociation de paix possible.
J’ignore, bien entendu, si l’on pourrait en être là prochainement. Mais je n’ai, pour ma part, jamais exclu la possibilité d’une telle évolution politicomilitaire en cas de graves revers ou d’improbabilité de pouvoir imposer une paix dictée à l’adversaire.
Les cercles officiels suédois continuent à se montrer perplexes au sujet de ce qui se passe en Finlande, dont la situation critique et un peu désemparée est vivement regrettée. On constate que la diplomatie n’est pas le fort de ce peuple valeureux, tout en reconnaissant que celle des Anglo-Saxons à l’égard de la Finlande a été fort inhabile également. Ce qu’il y a de plus clair, pour le moment, est que les Finlandais sont dans la dépendance militaire et alimentaire des Allemands, qu’ils n’aiment point et dont on dit qu’ils vont peut-être exiger des Finlandais leur participation formelle au pacte anti-komintern.
En attendant, les Finlandais ne se battent plus guère sur les parties du front où ils sont seuls; et dans l’extrême nord, où ils sont en forte minorité, ils ne voudront probablement pas s’imposer de nouveaux grands sacrifices en hommes pour la plus grande gloire des Allemands, tout en risquant en même temps de s’aliéner définitivement Anglais et Américains.
Les dirigeants suédois ne demanderaient pas mieux que de suppléer par leurs avis et conseils à l’inexpérience admise des Finlandais; mais ils n’en sont nullement sollicités pour l’heure. Au contraire, le Président du Conseil finlandais, M. Rangell, est venu récemment passer une journée, à titre privé, à Stockholm. Personne ne voulut d’abord croire au prétendu caractère personnel de ce voyage. Mais je sais aujourd’hui de façon certaine que, ni le Ministre des affaires étrangères, ni le secrétaire général du ministère, qui en avaient pourtant manifesté le désir, n’ont pu atteindre M. Rangell, qui clairement se dérobait. On a suivi encore d’autres pistes, qui n’ont rien donné. En particulier, M. Rangell n’a pas non plus rencontré le Ministre de Grande-Bretagne.
En résumé, la situation est loin d’être bonne en Finlande. On y est fatigué de combattre et déprimé en présence des désastres de deux guerres successives. Le total de leurs tués et invalides monte à environ cent mille hommes, ce qui est considérable par rapport à une population de moins de quatre millions d’âmes. La vie économique est désorganisée et la famine menaçante. L’avis prévaut ici, cependant, que les Britanniques ne déclareront et certainement ne feront pas la guerre à ce petit pays tant éprouvé.
Les nouvelles reçues ici de Norvège empirent de jour en jour. La tension entre les Norvégiens dignes de ce nom et l’occupant associé aux Quislinguiens n’avait jamais atteint ce degré de haine féroce. Voici une vingtaine d’étudiants menacés d’exécution pour avoir, notamment, voulu fuir ou aidé d’autres à quitter le pays. S’ils étaient réellement mis à mort, il passerait sur toute la Suède un irrésistible mouvement de réprobation, qui ne resterait pas sans influence sur les rapports germano-suédois.
Le déclenchement de l’offensive britannique en Afrique a suscité, ici aussi, un vif intérêt. Sans vouloir faire de pronostics, on considère qu’elle doit être un franc succès si les Britanniques entendent enfin montrer qu’ils sont capables sur terre d’une entreprise guerrière positive, et non seulement de parer les coups ou d’opérer des retraites plus ou moins remarquables. S’ils devaient réussir, leur initiative pourrait avoir, surtout dans l’état présent des choses, des conséquences de la plus grande portée, même au-delà du bassin de la Méditerranée.
Quant à l’Extrême-Orient, mes informateurs habituels continuent à opiner pour le maintien de la paix, en admettant que les négociateurs japonais se montreront conciliants à Washington. Certes, le Japon est pressé et anxieux d’arriver à une solution acceptable. S’il envisage encore de faire, le cas échéant, la guerre aux Anglo-Saxons, il doit agir au plus vite, ses réserves indispensables s’épuisant rapidement. Du côté de la Chine, il doit savoir qu’il ne peut attendre de concession quelconque, ni de celle-ci, ni des Etats-Unis. Il ne reste donc que l’allégement, urgent aussi, de sa situation économique par la levée de l’embargo sur les matières premières des Indes Néerlandaises et d’Amérique, ainsi que la réouverture de marchés pour les principaux produits de l’industrie et de la main-d’œuvre japonaises. Tout au plus pourrait-il encore être question de quelque arrangement politique concernant le Mandchoukuo.
P.S. Ce rapport vient d’être écrit lorsque j’apprends qu’effectivement aprèsdemain, le 24 novembre, la Finlande signera le pacte anti-komintern, ainsi que la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie vraisemblablement aussi et, peut-être, d’autres pays encore. Il s’agit de célébrer ainsi le cinquième anniversaire de la conclusion de ce pacte quelque peu oublié, intervenu à Berlin entre l’Allemagne et le Japon pour cinq années et qui, non renouvelé, viendrait à expiration. Si l’adhésion des Etats d’ores et déjà politiquement inféodés à l’axe n’émouvra grandement personne, il en va autrement de la Finlande. Sa participation au pacte, même si l’on voulait y voir avant tout un geste, provoquera un sentiment général de regret en Suède, qui sera, plus encore que jusqu’ici, exposée aux reproches allemands de ne pas suffisamment manifester son aversion pour les bolchevistes russes.
Cependant, il ne paraît pas exclu, non plus, qu’en consentant à une satisfaction de cette nature donnée à son alliée militaire, la Finlande compte en obtenir en retour des concessions et donc plus de compréhension quant à sa participation ultérieure aux opérations de guerre.
- 1
- E 2300 Stockholm/11.↩
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