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Le Chef du Département politique, M. Pilet-Golaz, au Ministre de Suisse à Vichy, W. Stucki1

Votre dossier, accompagné de votre lettre du 6 novembre2 portant la mention «secret», a retenu toute mon attention.

Ce n’est pas que les rapports L.L.3 soient d’une absolue actualité. Ils confirment d’ailleurs, sur de nombreux points, ce que nous savions déjà plus ou moins.

C’est psychologiquement surtout qu’ils sont intéressants; mais, hélas! peu encourageants. Si la vie politique française se déroule et continue à se développer dans l’atmosphère décrite, alors il ne faut pas s’étonner de la peine qu’a notre grande voisine à se ressaisir et à se renouveler.

Je ne vous cacherai pas que j’ai pris plaisir à lire les différents rapports4 que je vous retourne avec les présentes.

Je profite de l’occasion pour vous demander s’il vous serait possible de me communiquer, avec un maximum d’exactitude, le rapport que l’ambassadeur5 aurait envoyé à son gouvernement sur notre entretien du 5 novembre6. C’est lui qui avait exprimé le désir de me voir. Je l’ai reçu vers la fin de l’après-midi, avant son départ pour quelques jours de voyage en France. Il m’a alors communiqué des conversations que plusieurs de ses collaborateurs avaient eues avec des personnalités de l’ancien camp adverse et qui portaient sur des plans gigantesques, pour ne pas dire fantastiques.

J’ai surtout écouté. J’ai déclaré que j’avais moi-même l’impression qu’une certaine manœuvre politique se préparait, mais que je ne savais pas encore dans quelle direction, ni avec quelle ampleur; que peut-être, au cours des semaines qui suivraient, j’obtiendrais des précisions, mais que je n’en possédais encore aucune.

Depuis lors, je n’ai pas revu l’ambassadeur.

J’ajoute qu’il me paraît très préoccupé, depuis quelque temps, de plaider la cause de la paix «générale et raisonnable», avant la ruine complète de l’Europe, qu’il entrevoit d’ici quelques années, si les hostilités continuent avec leurs destructions et leurs privations, comme un vaste cimetière.

Peut-être est-ce la raison pour laquelle il s’intéresse tellement à toutes les combinaisons qui circulent autour des Chancelleries, parce que, jusqu’à maintenant, - à ma connaissance du moins, - elles n’y ont pas pénétré.