Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 13, doc. 416
volume linkBern 1991
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1553#6353* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1553 316 | |
Dossier title | Heimschaffung der franz. Internierten (1940–1945) | |
File reference archive | B.51.13.53.0 • Additional component: Frankreich |
dodis.ch/47173
Ainsi que vous le savez, un corps d’armée français, le 45e, commandé par le Général Daille, a sollicité, le 20 juin 1940, son internement en Suisse.
Constituaient le 45e Corps d’armée, 30000 Français environ, 12000 Polonais et quelque 600 Belges.
Un matériel de guerre important est également entré en Suisse en même temps que le 45e Corps. Il s’agit de plus de 4500 chevaux, de près de 2000 véhicules à moteur, dont un millier de camions, d’armes, de canons, de voitures hippomobiles, de matériel technique, etc.
Cette unité militaire a été internée en Suisse conformément aux articles 11 et 12 de la Convention de La Haye, du 18 octobre 1907 (convention No V), sur les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre.
Un Commissariat fédéral à rinternement a été constitué et placé sous la direction du Colonel divisionnaire de Murait. Or, ainsi que vous l’aurez sans doute appris comme nous par la voie de la radio et de la presse, un accord aurait été conclu entre le Chancelier du Reich allemand et M. l’Ambassadeur Scapini concernant les prisonniers de guerre français en Allemagne. Un des articles du protocole y relatif aurait trait à la libération des internés français en Suisse.
Bien que la décision semble avoir été prise à Berlin dans les 17, 18 ou 19 novembre et que la radio française, l’agence Havas et la presse en général aient été mises en mesure de rendre cet accord public, le Département Politique et singulièrement le Conseil fédéral n’en ont pas été alors officiellement informés, fait qui a exercé et exerce encore sur l’ensemble de la question, notamment sur les négociations à conduire tant avec l’Allemagne qu’avec la France une influence extrêmement fâcheuse.
Le Département Politique a tenu à laisser au Gouvernement allemand et au Gouvernement français le temps de l’informer officiellement de la solution intervenue à Berlin. Toutefois, aucune notification n’ayant encore été faite à la date du 22 novembre, le Chef du Département Politique a pris l’initiative de convoquer l’Ambassadeur de France ainsi que le Ministre d’Allemagne et de leur demander de le mettre en mesure de renseigner aussitôt que possible le Conseil fédéral afin de permettre au Gouvernement suisse d’arrêter sa ligne de conduite et de prendre ses décisions. Les pourparlers qui se sont engagés et qui vont continuer, notamment avec la France, nous obligeront sans doute à faire appel au concours de la Légation de Suisse à Vichy. C’est pourquoi nous estimons nécessaire que dès à présent vous soyez informé des aspects essentiels du problème.
Une considération domine le débat. C’est l’aspect politique. En effet, l’internement ne devrait, dans la règle, prendre fin qu’à la paix. Or, dans le cas particulier, l’accord Hitler-Scapini est intervenu à la suite de convention d’armistice, non de traité de paix et à un moment où les hostilités sont encore en cours entre l’Allemagne et la Grande-Bretagne, pour ne pas parler de la guerre qui se poursuit entre l’Italie et l’Angleterre. Cette circonstance nous oblige à ne traiter qu’avec prudence les diverses questions que soulève le rapatriement des internés.
Le premier point sur lequel nous désirons attirer votre attention est le caractère imparfait à l’heure qu’il est encore de notre information. Tout ce que vous pourrez faire pour nous procurer des renseignements officiels nous sera utile et nous vous en serons reconnaissants.
La situation que nous venons de décrire - absence d’un traité de paix; relations franco-allemandes fondées sur une convention d’armistice; état de guerre entre le Reich allemand et l’empire britannique - nous amène à cette conclusion qu’avant de pouvoir consentir à la libération des internés, nous serons vraisemblablement amenés à demander à la France de nous donner l’assurance, la garantie que les hommes, les chevaux et le matériel ainsi restitués ne seront plus employés à des buts de guerre, c’est-à-dire qu’ils ne seront plus mobilisés.
Un autre point à propos duquel une divergence de vues peut surgir entre la France et la Suisse a trait à la composition même du 45e Corps d’armée. Comme nous vous l’avons indiqué au début, cette unité militaire est constituée en majorité de Français et comprend également un nombre élevé de soldats polonais et de Belges. D’emblée, mous avons veillé à tenir l’Ambassade de France exactement au courant de tout ce qui concernait le 45e Corps, que les événements eussent trait aux Français, aux Polonais ou aux Belges. Nous nous sommes heurtés, sur ce point, à une certaine résistance, l’Ambassade feignant de se désintéresser des éléments non strictement français et cherchant à nous renvoyer aux Légations de Belgique et de Pologne pour tout ce qui avait trait à ces éléments. L’attitude de l’Ambassade de France paraissant dictée par une intention bien nette, nous avons été amenés à lui adresser, dès le 10 juillet, puis derechef le 16 août une note2 faisant connaître que le Gouvernement suisse considère le 45e Corps d’armée comme une troupe française, comme une unité militaire et que c’est à ce titre qu’elle avait été internée en Suisse.
Jusqu’à présent, la note en question n’a pas reçu de réponse de la part de l’Ambassade de France, ce qui tend à prouver que, sinon le Gouvernement français, du moins cette Mission n’a pas renoncé à son point de vue primitif.
Le dernier paragraphe de l’article 12 de la Convention de La Haye concernant les droits et les devoirs des puissances et des personnes neutres en cas de guerre sur terre dispose que «bonification sera faite à la paix des frais occasionnés par l’internement».
Vous savez que, dans certains cas, des conventions spéciales d’internement sont conclues entre officiers qui sollicitent leur entrée sur territoire d’un Etat neutre et officiers du pays qui les reçoit. Tel avait été le cas, notamment, en 1870, lors de l’internement de l’armée du général Bourbaki3. Un accord de ce genre n’a pas été conclu en juin 1940 entre le Général Daille et le commandement de l’armée suisse. Le seul fondement sur lequel asseoir notre créance sur la France est donc la disposition conventionnelle que nous venons de citer. Nous vous informons, pour votre orientation personnelle, que les frais d’internement s’élèvent aujourd’hui à 12 millions de francs suisses environ, si l’on ne tient pas compte de diverses constructions - baraquements - qui ont été entreprises, et atteignent le chiffre de 20 millions environ si l’on y fait entrer le coût des travaux en question.
A en croire la radio et la presse, il semblerait que nous eussions à restituer à la France les quelque 4500 chevaux et mulets et à l’Allemagne le matériel de guerre. Cette question particulière présente un double aspect, l’un politique, l’autre financier. L’aspect politique est celui-là même que nous avons exposé au début du présent rapport, lorsque nous avons fait allusion aux circonstances irrégulières dans lesquelles se produit le rapatriement des internés. L’aspect financier, vous le discernez vous-même: inutile de vous rappeler notre droit éventuel de rétention sur le matériel et les chevaux.
La discussion entre la Suisse, d’une part, l’Allemagne et la France, d’autre part, se déroule en Suisse entre le Conseil fédéral et les Chefs de Mission français et allemand. Nous comptons cependant sur la Légation de Suisse à Vichy pour seconder nos efforts dans toute la mesure où les circonstances l’exigeront, et pour nous communiquer ce qu’elle apprendra.