Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.14. ITALIE
II.14.1 QUESTIONS DE POLITIQUE GÉNÉRALE ET BILATÉRALE
Abgedruckt in
Diplomatische Dokumente der Schweiz, Bd. 12, Dok. 486
volume linkBern 1994
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Archiv | Schweizerisches Bundesarchiv, Bern | |
▼ ▶ Signatur | CH-BAR#E2300#1000/716#914* | |
Alte Signatur | CH-BAR E 2300(-)1000/716 398 | |
Dossiertitel | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 38 (1938–1938) |
dodis.ch/46746
Si la doctrine du fascisme affirme que la révolution est une création continue, le régime doit cependant faire l’expérience que plusieurs initiatives du Parti paraissent bien plutôt jeter de la discorde dans le pays que faits pour unir les esprits. Ainsi que je vous l’ai écrit dans un de mes récents rapports, on a, ces derniers temps, l’impression que le Chef du mouvement lui-même, malgré son autorité incontestable, voit s’imposer des mesures et des décisions que l’on ne saurait vraiment attribuer ni à une réflexion, ni même, apparemment, à une vision exacte des besoins et désirs du peuple, dont aucune forme de Gouvernement ne peut faire abstraction.
Or, chaque fois que le régime fasciste a senti de forts noyaux de résistance psychologique, la surveillance a été doublée, sinon triplée. Tandis qu’à quelques époques une certaine liberté de langage et même de critique a été tolérée dans la rue, dans des cercles et ailleurs, et que l’actuel Ministre de l’éducation nationale, M. Bottai, avait essayé, dans sa revue, de rendre à la critique son rôle constructif et nécessaire dans l’Etat, tout ce qui n’est pas complètement orthodoxe selon les vues des dirigeants du Parti - et apparemment des dirigeants extrémistes - risque aujourd’hui d’être assez durement frappé par la police. L’on raconte couramment à Rome qu’il suffit de dire «poveri giudei» pour être appelé d’abord à Palazzo Braschi et pour trouver de là très facilement le chemin du «confino». Et il est un fait, qui vient d’être rapporté de tous côtés, que les relégations au «confino» ont repris ces derniers temps dans une proportion qui ne peut faire plaisir à M. Mussolini.
Quelques personnes auxquelles le régime fasciste, par respect de la tradition nationale, avait jusqu’ici laissé une certaine liberté d’expression - et même de dissentiment -, tel que le Général Garibaldi, ont assez ouvertement réagi. A titre d’exemple, je vous remets ci-joint un article d’EzioGaribaldi, dans lequel vous relèverez la critique cinglante de l’importation en Italie de certaines conceptions nationales-socialistes et, indirectement, du courant du parti à la tête duquel s’est mis M. Starace. Car il est évident pour tout lecteur que ce n’est pas Telesio Interlandi - écrivain, somme toute, de seconde zone, qui n’a à son actif que le dicton, reproduit aujourd’hui sur tant de murs de Rome et de la province «Mussolini ha sempre ragione» - qui est visé surtout dans l’article de Garibaldi, mais bien M. Starace, Secrétaire Général du Parti. Aussi n’est-il pas surprenant qu’après une scène qu’on dit dramatique entre le Général Garibaldi et M. Starace, l’héritier de la tradition garibaldienne se soit vu retirer sa «tessera fascista». Toutes ces résistances n’ont eu, d’ailleurs, jusqu’ici pour effet que de raidir la partie intransigeante du fascisme dans des initiatives peu opportunes de politique intérieure et - affirme-t-on - de politique extérieure, ce qui est évidemment grave.
En ce qui concerne les relations italo-suisses, je constate encore une fois avec satisfaction que jusqu’ici, abstraction faite de publications regrettables paraissant parfois dans le journal des étudiants fascistes «Libro e Moschetto», rien n’a été changé jusqu’ici à la consigne, qui écarte des actes peu amicaux à l’endroit de la Suisse et qui empêche notamment la grande presse d’ouvrir ses colonnes non seulement à une polémique irrédentiste dirigée contre nous, mais aussi tout commentaire déplaisant. Ce fait doit être annoté au moment où, d’une part, les portes de l’irrédentisme antifrançais ont été largement ouvertes et que, d’autre part, quelques organes de la presse officielle allemande tiennent à notre égard un langage injuste et regrettable. Il est évident que toute notre action doit tendre à ce que l’unité de politique des deux partenaires de l’axe, qui, en raison des efforts du parti fasciste, se réalise dans tant de domaines, n’atteigne pas, à nos dépens, le camp de la politique de presse2.
Ceci deviendra de plus en plus important en face du programme paritaire qui, selon les informations du Vatican, risque d’être déployé, dans un avenir pas éloigné, par les partis gouvernementaux, en Italie comme en Allemagne, à l’endroit du catholicisme. Les informations du Saint-Siège peuvent être pessimistes, mais l’expérience prouve combien les renseignements de l’Eglise sont souvent exacts. Or, j’apprends de fort bonne source que le Vatican envisage l’éventualité - que naturellement il déplore! - d’une tension future et extrêmement grave entre l’Eglise et le régime fasciste; un conflit qui, de part et d’autre, en vertu des préparatifs, offensifs du côté du régime et défensifs du côté de l’Eglise, peut prendre rapidement le caractère d’une acuité surprenante et même, affirme-t-on, sans précédent. Selon mes informateurs, le parti fasciste attendrait, pour déclencher la lutte, synchronisée sur celle de Berlin, contre l’Eglise et même contre le catholicisme, la mort du Pape Pie XI, que le régime serait vraiment en trop mauvaise posture d’attaquer, étant donné la part prise par ce Souverain Pontife à la conciliation avec l’Italie. Quant à son successeur sur le trône pontifical, il serait, quoi qu’il fasse, désigné aux partisans fascistes comme s’écartant de l’exemple de Pie XI.
Il est évident que je vous rapporte ces propos, malgré leur origine fort sérieuse, sous bénéfice d’inventaire. Mais le fait même que de nouvelles initiatives malheureuses sont continuellement attribuées au parti fasciste, prouve que l’on tient un petit groupe puissant, dont fait partie M. Farinacci, comme capable de toutes les folies.
En attendant, il faut bien reconnaître que la lutte antisémite peut rapporter à la caisse de l’Etat un certain allégement passager. On affirme, en effet, que la propriété immobilière se trouvant entre les mains de Juifs et devant maintenant être vendue à une organisation «parastatale» (la vente libre des immeubles par les israélites est interdite) se monte à une somme de dix milliards de lires. Quelques financiers en déduisent que la propriété immobilière des israélites serait probablement de vingt milliards. Or, de cette fortune totale de trente milliards l’Etat, moyennant différentes opérations successives, serait susceptible de s’assurer un bon tiers, ce qui permettrait de financer, en partie, les armements durant l’exercice si obéré de 1939.
Pour compléter ce tableau, cette fois pas trop optimiste - mais encore une fois l’expérience a prouvé que l’Italie et le Chef du Gouvernement sont capables d’opérer tous les redressements, aussi après des débuts malencontreux - je vous indique comme exemple, peut-être banal, mais néanmoins significatif, la résistance forte et assez inattendue contre la substitution du «Lei» par le « Voi». Certes, on ne conteste pas les raisons linguistiques et autres qui peuvent objectivement être invoquées en faveur de cette innovation. Mais, suivant l’introduction du pas de parade, suivant la copie de l’antisémitisme germanique et l’introduction d’uniformes militaires et de parti qui rompent avec la tradition italienne (la casquette de «Feldwebel» de M. Starace est l’objet de plaisanteries constantes), l’introduction subite du «Voi» a paru faire partie d’un plan prémédité de tribulations et, cette fois, jusqu’ici du moins, l’élite italienne résiste. Quelques sommités du régime se trouvent prises, vis-à-vis de la société romaine, dans le piège de leur propre snobisme, et c’est ainsi que j’ai entendu dire devant des personnalités fascistes que je ne veux pas nommer, que le «voi» était une «cafonata»3, et les hauts «gerarchi» en question finirent par capituler très rapidement... Faut-il, sans naturellement vouloir faire la moindre prophétie dans un domaine imprévisible, penser que l’usage du «Lei» doive tenir le rôle que jadis avait, lors de la domination autrichienne à Venise, le fait de chanter les refrains de l’opéra défendu «Guglielmo Tell»?
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