dodis.ch/46636
Le Chef du Département politique,
G. Motta, au Chef du Département de Justice et Police, J.
Baumann1
Urgent
Berne, 8 septembre 1938
Ainsi que vous le savez, nous avions relevé, au cours de la conférence que nous avons eue lundi avec les membres de la Délégation suisse à l’Assemblée, que le rapport du Secrétaire général sur la réorganisation de l’œuvre en faveur des réfugiés ne nous était pas encore parvenu.
Nous l’avons reçu ce matin même, et nous nous empressons de vous en remettre un exemplaire2 sous ce pli.
Comme vous le constaterez, le rapport est relativement bref. Il n’entre guère dans les détails. Il se tient ou du moins déclare se tenir dans la ligne même de la résolution adoptée, le 14 mai, par le Conseil. C’est ainsi qu’il est proposé que le nouveau Haut-commissaire soit investi de fonctions analogues en caractère et en étendue à celles qu’exerçait jusqu’ici le Haut-commissaire pour les réfugiés provenant d’Allemagne. Il n’aurait pas qualité pour s’occuper de l’assistance directe aux réfugiés, ce soin devant être réservé aux «comités locaux» sous l’égide de chaque gouvernement. Sa tâche consisterait exclusivement à «faciliter la coordination de l’œuvre d’assistance humanitaire». Son caractère serait exclusivement «politico-juridique». Ce serait conforme, dit le rapport, «au principe établi par l’Assemblée, selon lequel la Société des Nations ne saurait assumer une responsabilité directe pour l’assistance aux réfugiés et pour leur établissement».
Les propositions du Secrétaire général n’ont pas l’heur de plaire au Président du Conseil d’administration de l’Office Nansen. Nous venons de recevoir, en effet, de M. Hansson une lettre3 dont vous trouverez copie sous ce pli et par laquelle il proteste contre la solution envisagée par le Secrétariat. A cette lettre est annexé un mémorandum4, dont le texte est également ci-joint, que M. Hansson a adressé au Secrétariat pour signaler combien il serait regrettable que le futur Haut-commissaire ne s’occupât plus de l’assistance directe aux réfugiés.
La question est délicate. Elle ne sera sans doute pas résolue sans de grandes difficultés. S’il est assez probable que la manière de voir de M. Hansson sera soutenue par certains gouvernements, il est encore moins douteux que celle du Secrétaire général bénéficiera de l’appui d’autres pays. La solution préconisée par M. Hansson est sans doute la meilleure à un point de vue largement humanitaire, mais il se peut que la combinaison plus restreinte que semble avoir envisagée le Comité du Conseil et qu’adopte après lui le Secrétariat de la Société des Nations soit la seule réalisable au point de vue politique. Les Soviets, appuyés probablement par la France et d’autres pays comme la Tchécoslovaquie par exemple, auront peut-être exercé une forte pression à Genève pour que la nouvelle organisation engage aussi peu que possible la responsabilité de la Société des Nations.
Il serait difficile, avant d’avoir entendu sur place les partisans de l’une et de l’autre conception, de se faire une opinion exacte sur l’attitude que nous devrions adopter finalement en cette affaire. Peut-être trouvera-t-on le moyen, comme cela a été fréquemment le cas à Genève, de mettre d’accord les uns et les autres en se repliant sur une position intermédiaire. Sans conférer au Hautcommissaire, ainsi que le demande M. Hansson, des attributions aussi étendues en matière d’assistance que celles dont était investi jusqu’ici l’Office Nansen, rien ne dit qu’on ne pourrait pas aboutir à une solution qui lui permettrait de sortir quelque peu d’une simple mission de coordination. La politique est l’art du possible, et si des pays, notamment des grandes puissances, se refusent délibérément à entrer dans les vues de M. Hansson, force sera bien de faire une nouvelle application de cet adage à un problème qui ne relève pas entièrement - on l’a vu, l’an dernier, à Genève - du domaine humanitaire. Mieux vaudrait, après tout, une solution modeste qu’un effondrement complet de l’œuvre à laquelle Nansen a donné son nom. La politique du tout ou rien ne serait, certes, pas recommandable dans l’espèce.
Quoi qu’il en soit, nous vous saurions gré de bien vouloir prendre connaissance des documents ci-annexés et nous faire connaître d’urgence votre impression. Nous serions heureux d’avoir votre avis avant l’ouverture de l’Assemblée, qui aura lieu, comme vous le savez, lundi.
Pour le moment, nous nous bornons à accuser réception à M. Hansson de la communication qu’il a cru devoir nous faire.