J’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre du 25 mai2, lue avec le plus grand intérêt, au sujet des premières réactions qu’a provoquées à Berlin notre démarche relative à notre neutralité dans le cadre de la Société des Nations. Entre-temps, vous aurez reçu mon rapport du 273, qui vous a relaté mon dernier entretien avec le Comte Ciano.
La lecture du rapport de M. Dinichert du 20 mai4 me confirme dans /’impression - qui, il est vrai, jusqu’ici ne s’étaye pas sur des preuves précises - qu’à l’occasion de la visite du chancelier Hitler à Rome, l’entourage du Führer a voulu associer l’Italie aux doléances allemandes concernant la presse suisse. Il y avait d’ailleurs là un processus à prévoir et que je vous ai signalé dans mon rapport du 19 février5. La presse suisse ayant vraiment montré dernièrement beaucoup de sympathie à l’égard de M. Mussolini, j’aurais, en effet, de la peine à m’expliquer autrement la mauvaise humeur constante qu’attribuent au Chef du Gouvernement ses principaux collaborateurs en ce qui concerne l’attitude de la presse suisse. Les fameux «fonogrammi di stampa» de M. Tamaro, qui ont fait tant de dégâts aux rapports italo-suisses, sont certainement pour quelque chose dans l’appréciation injuste que j’ai dû constater ici; mais ils ne suffisent pas, à eux seuls, à expliquer la permanence d’un état d’esprit contre lequel je dois à tout moment prendre position dans mes entretiens avec le Ministre des Affaires Etrangères et d’autres membres du Gouvernement. Somme toute, j’ai donc l’impression que l’on doit avoir dit ici à l’Allemagne qu’on est - jusqu’à un certain point - solidaire dans les critiques de la presse suisse. Je m’empresse d’ailleurs d’ajouter que j’ai bon espoir d’arriver, avec un peu de patience, à démonter cet état d’esprit.
Pour en revenir au problème de notre neutralité, je puis également espérer que c’est l’Italie (qui, malgré tout, a une grande dette de reconnaissance envers nous, contractée dans une période assez critique et dont les meilleurs parmi les membres du Gouvernement se souviennent) qui, en l’espèce, agira dans le sens de la pondération à Berlin. Pour l’instant même, ce serait faire preuve d’agitation inutile, après mon entretien très cordial de la semaine dernière avec le Comte Ciano, de revenir à la charge. A mon retour de Venise (où je me rendrai demain pour l’inauguration du pavillon suisse à la Biennale), je compte cependant avoir des entretiens d’information avec le Sous-Secrétaire d’Etat Bastianini, très sympathique et compréhensif à l’égard de la grande ligne immuable de notre politique, ainsi que peut-être avec le Directeur politique, M. Buti.