Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.13. GRANDE-BRETAGNE
Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 12, doc. 219
volume linkBern 1994
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#484* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 231 | |
Titre du dossier | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 32 (1938–1938) |
dodis.ch/46479 1
Pour faire suite à l’entretien téléphonique que j’ai eu mardi passé avec M. le Ministre Bonna au sujet des déclarations très importantes que le Premier Ministre a faites à la Chambre des Communes concernant l’attitude que le Gouvernement Britannique entend actuellement adopter vis-à-vis de la Société des Nations, j’ai l’honneur de vous donner, ci-dessous, quelques informations complémentaires sur l’exposé du Premier Ministre et les premières réactions qu’il a suscitées à la Chambre des Communes et à la Chambre des Lords:
Répondant aux reproches que les membres de l’opposition lui avaient faites de n’avoir rien dit au sujet de la Société des Nations ou de la sécurité collective, Mr. Chamberlain déclare qu’il voulait précisément saisir l’occasion qui lui était offerte pour exprimer son opinion à ce sujet. Après avoir rappelé ce qu’il fallait entendre par «sécurité collective», le Premier Ministre démontra que pour tout observateur objectif et honnête, la Société des Nations n’était pas en état, aujourd’hui, d’assurer la sécurité collective. Par conséquent, a-t-il ajouté, «n’essayons pas de nous illusionner et encore moins de leurrer les petites nations en les laissant croire qu’elles seront protégées par la Société des Nations contre des attaques d’agression et agir en se basant sur cette croyance alors que nous savons que l’on ne peut s’attendre à rien de semblable. Les adversaires du Gouvernement ne cessent d’employer des phrases et des clichés qui ont perdu toute signification. Comment attendre de la Société des Nations qu’elle remplisse toutes les fonctions pour lesquelles elle avait été créée, alors que depuis sa fondation elle a été abandonnée par la plupart des grandes puissances? D’ailleurs, le pouvoir de la Société des Nations ne dépend pas uniquement du nombre de ses membres mais également de la conviction de ceux-ci qu’elle soit encore à même de réaliser les tâches que l’on avait cru pouvoir lui confier. Au moment des dernières élections la conviction que la Société des Nations ne pouvait pas remplir ses fonctions n’était pas universelle. Mais, aujourd’hui, où trouveriez-vous dans la Société des Nations elle-même quelqu’un qui soit convaincu que la sécurité collective puisse être réalisée par la Société des Nations telle qu’elle est actuellement constituée?»
«Pourquoi continuez-vous donc à en faire partie», demandèrent à ce moment quelques membres de l’opposition? Et Mr. Chamberlain répondit: «Nous restons dans la Société des Nations parce que nous croyons qu’elle puisse être reconstituée et parce que je crois aussi que la Société des Nations peut encore accomplir une tâche importante.» C’est alors que parlant de l’Article 16 Mr. Chamberlain fit cette déclaration très importante: «Je doute beaucoup que la Société des Nations puisse accomplir sa meilleure tâche tant que ses membres ont le devoir express d’imposer des sanctions ou d’avoir recours à la force pour faire respecter des obligations. Je ne voudrais pas changer ni radier aucun article dans le Convenant, même pas l’Article 16 dans l’espoir qu’un jour il puisse être remanié sous une forme telle que nous puissions alors nous y confier et faire emploi de ces forces dans le but pour lequel elles avaient effectivement été prévues à l’origine. Pour l’instant, en revanche, la Société des Nations ne peut imposer aux nations qui y demeurent attachées, de se charger d’obligations ou de risques qu’elles ne sont manifestement pas préparées à assumer.»
Bref, Mr. Chamberlain se départissant de la réserve habituelle dans laquelle les membres du Gouvernement s’étaient maintenus jusqu’ici, quant à la politique de la Grande-Bretagne vis-à-vis de la Société des Nations, a clairement exposé que le Gouvernement ne voulait plus voir aujourd’hui dans la Société des Nations autre chose que ce qu’elle était devenue en réalité, c’est-à-dire une institution ne pouvant plus prétendre aux hautes fonctions que quelques-uns de ses membres continuaient à vouloir lui prêter, mais pouvant en revanche accomplir encore un travail des plus utiles en limitant son activité à des tâches moins ambitieuses et plus pratiques.
Dans une péroraison pathétique Mr. Chamberlain a expliqué les raisons qui l’avaient amené, par une évolution qu’imposait une claire vision des choses, à se départir de la confiance et de l’espoir que le Gouvernement national avait mis dans la Société des Nations lors de son arrivée au pouvoir. «J’ai dû me convaincre», remarqua-t-il, «qu’en voulant demeurer attaché à tout prix aux principes de la Société des Nations, nous allions bientôt devoir faire face à une situation des plus dangereuses, d’où ma conviction que nous devions réagir à temps et prendre sans tarder des mesures sur le terrain des réalités pratiques.»
Il est hors de doute que la déclaration de Mr. Chamberlain signifie l’abandon de ce qui était jusqu’ici connu, à tort ou à raison, sous le nom de «politique Eden», politique qui en fait, et sans que le Gouvernement l’ait expressément déclaré, avait déjà été depuis quelque temps reléguée à l’arrière-plan, le Gouvernement ayant réalisé qu’elle ne pouvait conduire à aucun progrès en l’état actuel des choses.
L’exposé du Premier Ministre par sa franchise et son courage a été en général bien accueilli, sauf naturellement par les socialistes qui accusent le Gouvernement national de trahir son programme en abandonnant la Société des Nations à son triste sort et de faire le jeu de l’Allemagne et de l’Italie.
Il semble plutôt que l’idée de Mr. Chamberlain, ainsi que l’a relevé Lord Halifax à la Chambre des Lords le 24 février, n’est pas de renoncer définitivement à toute politique basée sur la Société des Nations mais d’y renoncer provisoirement devant l’urgence des tâches qui s’imposent au Gouvernement et que celui-ci ne peut manifestement accomplir, ou tenter d’accomplir, qu’en ayant recours à des moyens qui ne sont pas d’avance voués à un insuccès certain. C’est sur quoi Lord Halifax a insisté en déclarant que le Gouvernement n’avait en rien modifié sa politique mais que force lui était de reconnaître que la Société des Nations ne pouvait faire plus que ce qu’en fait elle était capable de faire. En temps de tempête force est au navire de réduire sa voilure et de laisser passer l’orage jusqu’au moment plus propice où, le calme étant revenu, il sera possible d’examiner comment et où l’on entend se diriger. La Société des Nations devrait être la première à le comprendre. Vouloir s’en tenir au point de vue exprimé par l’opposition, c’est-à-dire au principe de la sécurité collective et ne s’en départir en rien équivaudrait à détruire la Société des Nations qui, au moment où elle devrait agir, se rendrait compte qu’elle en serait dans l’impossibilité absolue.
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- (Copie): E 2300 London, Archiv-Nr. 32. Gouvernement britannique et Société des Nations.↩
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