Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 207
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1551#3278* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1551 101 | |
Dossier title | Coselschi Eugène; Varoni Guido, Dr.; Christiani Valeria (1935–1939) | |
File reference archive | B.46.I.24 |
dodis.ch/46467
Le Ministre de Suisse à Rome, P. Ruegger, au Chef de la Division des Affaires étrangères du Département politique, P. Bonna1
J’ai eu l’honneur de recevoir votre lettre du 1er février2 relative à l’interdiction d’entrée en Suisse existant à l’encontre de M. Eugène Coselschi, avocat, député au Parlement, lieutenant-général de la milice, promu major d’infanterie en octobre 1934 pour mérites exceptionnels et président général des Comités d’action pour l’universalité de Rome (CAUR).
Les observations présentées par le Ministère Public Fédéral ont retenu toute mon attention et, après avoir encore une fois examiné cette affaire sous ses divers aspects, je prends la liberté de vous présenter les considérations suivantes.
En ce qui concerne le personnage lui-même, je rappellerai que M. Coselschi, né à Florence le 13 septembre 1889, est évidemment à considérer comme un propagandiste infatigable de 1’«italianità ». Interventiste passionné, il se trouva aux côtés de D’Annunzio - également comme poète - dans les manifestations en faveur de l’entrée en guerre de l’Italie en 1915. Il s’engagea comme volontaire, fut blessé grièvement et décoré de quatre médailles. Il fait partie de nombreuses associations de culture et d’art et est conseiller émérite de la «DanteAlighieri», se livrant également à diverses publications de caractère politique, historique et littéraire. Il fonda à Florence, où il avait été président du groupe «Trento e Trieste», l’association des volontaires de guerre, qu’il préside depuis lors. Après avoir coopéré à la formation du Comité national «Pro Dalmazia», il participa à la fondation du premier «fascio di combattimento» florentin. Coselschi fut légionnaire à Fiume et participa avec D’Annunzio à l’entreprise de Dalmatie.
De ce qui précède, il résulte bien que M. Coselschi, encore que l’on voie maintenant peu fréquemment des manifestations marquantes de sa part au Parlement ou dans la presse, est une personnalité politique très active dans un certain sens avec même certaines caractéristiques irrédentistes en ce qui concerne Fiume et la Dalmatie. Ces caractéristiques, il les a partagées avec bien des personnalités italiennes que vous connaissez et dont plus d’un exerce aujourd’hui des fonctions officielles dans la représentation officielle de l’Italie en Suisse. Je note cependant qu’actuellement M. Coselschi paraît se concentrer sur la présidence de l’association des volontaires de guerre et des CAUR. C’est donc plus particulièrement à la lumière de cette dernière activité qu’il convient, semble-t-il, d’examiner la question. Or, comme je l’ai déjà écrit, les CAUR ont une activité avant tout générale et théorique de propagande en faveur des idées sympathiques au fascisme et hostiles à tout ce qui touche au marxisme et à la IIIe Internationale. Comme vous savez, divers groupes des CAUR ont constitué des «Consulte straniere» dans lesquelles figurent de nombreux étrangers résidant en Italie. A la suite de la correspondance que vous connaissez, nous avons donné des directives à nos Consulats, à l’intention de nos compatriotes, pour les conseiller de s’abstenir de participer à ces «consultes», auxquelles ils ont été fréquemment sollicités de prendre part, vu le désir de nos Autorités de voir les Suisses d’Italie, tout en respectant scrupuleusement les institutions du pays, rester complètement en dehors de toute activité politique et même d’actes pouvant revêtir une apparence politique. Cela dit, je crois devoir tout de même ajouter que, à Rome ou dans les villes de province, il est arrivé plus d’une fois que les Ministres étrangers ou des Consuls, même d’Etats comme la France, les Etats-Unis, la Pologne, etc. assistent à des réunions organisées par les CAUR. Nous n’avons pas d’indications démontrant que cette organisation, qui paraît avoir gardé un caractère culturel, ait manifesté des tendances hostiles ou irrédentistes à l’égard d’un autre Etat. Le Ministère Public Fédéral, pour compléter sa documentation soigneusement recueillie et se faire une idée tout à fait précise des tendances des CAUR, prendra sans doute connaissance avec intérêt de la collection de ses bulletins hebdomadaires que je vous adresse, à son intention, sous pli séparé. Je vous ai fréquemment signalé des passages de ces bulletins (votre B.46.J.10.MP.) et vous aurez pu constater que les nouvelles à l’égard de la Suisse ont toujours été relativement peu nombreuses et discrètes, se bornant surtout à signaler les développements du mouvement anticommuniste. Cette entreprise peut partir d’un point de vue très opposé à celui de la majorité de notre opinion publique, s’inspirer de doctrines qu’elle n’approuve pas; mais on ne peut guère dire sans autre qu’un mouvement d’idées semblables, que nous ne pouvons empêcher, constitue une activité répréhensible ou illégale d’après notre constitution et nos institutions. Nous avons toléré le «bourrage de crâne» auquel se sont livrés dans notre pays, entr’autres, des œuvres françaises qui se proposaient d’étendre le «rayonnement de leur pensée nationale». Cette forme de propagande était, à mon sens, plus active que celle des CAUR, associations culturelles.
Certes, M. Coselschi a commis des actes incorrects par ses rapports avec M. Fonjallaz et les réunions non autorisées de Montreux. Pour cela, l’entrée en Suisse lui a été interdite depuis plus de deux ans (10 octobre 1935). On peut se demander s’il n’est pas dans l’intérêt de nos relations et de nos rapports avec les milieux qu’il représente de donner à nouveau une chance à M. Coselschi, c’est-à-dire à nous prévaloir des assurances formelles données par la Légation en tant que représentant du Gouvernement italien dans sa note du 18 août 1936. A-t-on des raisons d’admettre que M. Coselschi puisse, d’un jour à l’autre, changer les tendances et l’attitude de l’Institut de culture italienne à Lausanne, dont l’activité n’a pas donné lieu à des observations particulières, à ce que je sache, sauf, d’après votre rapport, à l’occasion d’une conférence de l’écrivain espagnol bien connu Eugenio d’Ors? (Je mets au regard de cette manifestation la conférence faite à Lausanne l’autre jour par M. Acerbo, Président de l’Institut International d’Agriculture.) M. Coselschi, d’ailleurs, pris par l’activité de ses nombreux groupes, ne pourrait guère qu’aller y faire une conférence, une fois ou l’autre, semble-t-il, et nos Autorités seraient toujours à même de surveiller et de l’avertir immédiatement, au cas où ses manifestations prendraient un caractère déplacé, contraire aux assurances données.
Quant aux reproches relatifs à la conférence organisée par la CAUR à Florence et où parla un jeune «fasciste suisse», Alberto Meyer, il y a un an, il convient de rappeler que ce jeune homme désoccupé a quitté l’Italie et que nous ne savons pas si c’est le groupe CAUR qui est allé le chercher ou si c’est lui qui spontanément est allé lui offrir ses services. Nous n’avons d’ailleurs plus entendu parler de Meyer, qui paraît être rentré en Suisse. Quant à mettre en parallèle le retrait d’interdiction d’entrée de Coselschi avec le retrait du livre de Renzini, il ne saurait évidemment en être question, tout d’abord parce que la question Coselschi avait déjà été mise en rapport, sauf erreur, lors d’une entrevue entre le Chef de la Division et M. Tamaro, avec les cas des «libéraux tessinois», ensuite parce que des assurances antérieures relatives à l’ouvrage «L’Italianità sulle Alpi» nous ont été données, pour être d’ailleurs assez imparfaitement remplies dans la suite.
En conclusion, j’estime que le cas Coselschi ne doit pas être perdu de vue, malgré les difficultés qui subsistent encore. C’est une des affaires dont, dès mon arrivée, m’avait déjà entretenu le Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères d’alors, M. Suvich. Si nous voulons garder une attitude objective, nous devons admettre que, des fautes ayant été commises et ayant fait l’objet de sanctions, on doit pouvoir à un moment donné passer l’éponge. De même que nous avons donné des assurances pour le prêtre Don Alberti et que vous me chargerez éventuellement d’indiquer que M. Calgari, signataire d’une adresse de sympathie à l’auteur d’un attentat criminel contre l’héritier de la maison de Savoie, renie cet acte et désire revenir en Italie, de même nous devons pouvoir, si notre intérêt bien avisé nous le conseille, envisager, moyennant répétition de toutes les assurances voulues, le retrait d’une sanction juste, mais qui, un jour, peut avoir une fin. Il faudrait naturellement obtenir la signature par M. Coselschi, promise par la Légation d’Italie, d’une déclaration dont nous fixerions les termes, afin d’éviter qu’il cherche à déployer une activité déplacée auprès de nouveaux groupes.
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Political activities of foreign persons
Italy (Others) Irredentism in Ticino (1876–1942) Coselschi Affair (1935–1938)