Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
I.1 LE RETOUR DE LA SUISSE À LA NEUTRALITÉ INTÉGRALE
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 196
volume linkBern 1994
more… |▼▶2 repositories
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#J1.1#1000/1392#40* | |
Dossier title | Faszikel 13 Deutschland, Bulgarien (1920–1938) | |
File reference archive | 06.13 |
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1554#7* | |
Dossier title | Mémorandum sur la neutralité de la Suisse au sein de la S.d.N. (1938–1938) | |
File reference archive | E.12.20.a |
dodis.ch/46456
RÉSUMÉ DE MES CONVERSATIONS À GENÈVE LE 29 JANVIER 1938, AVEC MESSIEURS UNDEN, SPAAK, DELBOS ET EDEN
Je me suis rendu à Genève le soir du 28 janvier avec le train de 18 heures. M. Gorgé m’attendait sur le quai de la gare à mon arrivée et il m’a mis tout de suite au courant des conversations qu’il avait déjà eues avec différentes personnes, en particulier le 28 janvier, avec les représentants du groupe dit des «Neutres».
Le matin suivant, j’ai eu de nouveau une longue conversation avec M. Gorgé pour préciser dans son esprit et dans le mien nos points de vue.
J’ai fait savoir à M. Unden et à M. Spaak que je désirais leur faire le matin même une visite de courtoisie et d’amitié. J’ai fait déposer des cartes chez Messieurs Delbos, Eden, Beck et Munters, tous membres du Conseil et ministres des Affaires étrangères.
A 10 heures, j’ai été reçu par M. Unden à l’Hôtel Richemond.
Conversation avec M. Unden
Ma visite a été de 25 minutes. Nous connaissions déjà nos points de vue respectifs. M. Unden a confirmé qu’il soutiendrait devant le Comité des 28 (réforme du Pacte) la thèse suédoise qui a été consignée dans le memorandum bien connu que nous avions reçu le 13 janvier2 des mains de M. le ministre de Suède à Berne.
Je lui ai déclaré que, pour nous, l’essentiel et principal était la reconnaissance de notre neutralité intégrale et que nous soumettrions notre demande, au moment opportun, au Conseil ou à l’Assemblée de la Société des Nations. J’ai ajouté que nous chercherions à appuyer la thèse suédoise relative à l’article 16 dans le Comité des 28, mais que nous étions tenus à beaucoup de réserve et de modération et que nous resterions en troisième ou quatrième ligne.
Cette conversation n’a rien présenté de saillant sauf sur un point. M. Unden a tenu à remarquer justement que les deux positions, suédoise et suisse, n’étaient pas les mêmes. La Suisse veut, en effet, être déclarée exempte de toute obligation quant aux sanctions économiques et financières en vertu du principe de la neutralité. La Suède, par contre, n’attaque pas le système des sanctions comme tel et fait grief à la Société des Nations de ne l’avoir jamais appliqué si ce n’est arbitrairement. De là surtout la conséquence que ce système a perdu, en attendant, son caractère obligatoire pour n’être plus qu’un système de sanctions facultatives.
M. Unden s’est d’ailleurs montré parfaitement compréhensif de la position suisse.
Conversation avec M. Spaak
A 10 heures 30, je me suis trouvé à l’Hôtel Beau-Rivage et j’ai été reçu immédiatement par M. Spaak, chez lequel je suis resté une bonne demi-heure.
Les points saillants de cette conversation - très cordiale d’ailleurs comme la précédente - sont les suivants:
1° M. Spaak m’a expliqué que son pays était tenu à une assez grande réserve parce qu’il se trouve au bénéfice d’une garantie d’intégrité et de protection qui lui a été accordée par la France et la Grande-Bretagne. Ce fait oblige le Gouvernement belge à se tenir en troisième ou quatrième ligne.
2° Quant au fond et à la forme de la thèse suédoise, le Gouvernement belge les partage, mais doit tenir compte des désirs manifestés par les deux Grandes Puissances occidentales dans le sens de ne pas battre en brèche l’idée de la sécurité collective.
M. Spaak m’a dit en outre qu’il avait trouvé M. Delbos extrêmement pessimiste quant à la possibilité d’une guerre générale prochaine. Il semble que ces craintes sont surtout alimentées par la politique italienne. Il a trouvé M. Eden dans un état d’esprit beaucoup plus calme et plutôt optimiste.
M. Spaak a voulu savoir quel était mon sentiment personnel et je lui ai donné une note plutôt rassurante.
Nous avons parlé aussi brièvement de la politique française. M. Spaak ne croit pas à la durée du Gouvernement Chautemps. Il trouve que les Français sont très exclusifs dans leurs sympathies et très portés à la jalousie. «Ils placent la politique sur le plan de l’amour.» Ceux qui ne les aiment pas jusqu’à la passion ne sont pas de vrais amis.
Conversations avec Messieurs Delbos et Eden
A 13 heures 15, j e me suis trouvé à la villa habitée par M. le Secrétaire général Avenol. Celui-ci m’avait invité avec Messieurs Delbos et Eden. Les trois sont arrivés avec un petit retard d’environ dix minutes. Nous nous sommes mis tout de suite à table. Nous avons pris notre repas assez vite et vers 14 heures nous nous sommes réunis tous les quatre autour du feu.
Il me paraît inutile de résumer ici les propos de table, qui ont été francs et amicaux. Je me borne à la conversation essentielle autour du feu.
Assis au milieu des deux ministres et en face de M. Avenol, j’ai commencé par développer les raisons de la déclaration faite par moi, au nom du Conseil fédéral, le 22 décembre devant le Conseil national. Je leur ai expliqué le sens de l’initiative populaire qui allait être déclenchée lorsque le Conseil fédéral est intervenu. J’ai marqué la nécessité pour nous de recouvrer notre neutralité intégrale et notre volonté de rester fidèles à la Société des Nations et à l’idéal qu’elle représente. J’ai annoncé que nous avions l’intention de porter notre demande devant le Conseil ou devant l’Assemblée. J’ai exprimé notre confiance dans la pleine compréhension des autres Etats, notamment dans celle de la France et de la Grande-Bretagne. J’ai fait savoir que nous n’avions pas l’intention de prendre une attitude agressive contre le système des sanctions en général, dans le Comité des 28, mais que, faisant partie du groupe des Etats neutres, nous ne pouvions pas ignorer les thèses de la Suède et des Pays-Bas et qu’il nous serait moralement et politiquement impossible de laisser ces deux pays «en plan».
Mon exposé a duré environ quarante minutes. Il a été écouté par les trois autres interlocuteurs avec une extrême attention.
M. Eden m’avait déjà dit dès le premier moment de notre rencontre qu’// désirait nous aider.
Tous les deux m’ont déclaré formellement qu’ils étaient d’accord pour reconnaître notre neutralité intégrale. Ils m’ont conseillé de porter notre demande devant le Conseil plutôt que devant l’Assemblée. Ils estiment que leur travail et leur action en notre faveur en seraient facilités. Le règlement pourrait se faire déjà à la prochaine session normale du Conseil, c’est-à-dire au mois de mai de cette année.
M. Delbos a insisté sur le désir français que, dans le Comité des 28, nous ne prenions pas une attitude agressive contre le système des sanctions prévu à l’article 16 du Pacte et que nous nous bornions à expliquer notre position spéciale.
M. Eden a appuyé ce désir et a expliqué notamment qu’il serait plus aisé pour la France et la Grande-Bretagne d’amener la Russie soviétique à s’abstenir de voter contre nous si nous n’avions pas contesté d’une manière générale le système des sanctions obligatoires. La Russie comprendrait - a-t-il dit - notre situation exceptionnelle et particulière, mais aurait probablement de la peine à nous pardonner une attaque au système même des sanctions, sur lequel elle prétend baser toute sa politique idéologique.
J’ai alors déclaré que je ferai le nécessaire pour instruire notre délégué M. Gorgé dans le sens de parler avec le plus de réserve possible et sur un ton modéré, en portant le poids principal de son argumentation sur notre situation spéciale.
J’ai ajouté cependant qu’il serait impossible de ne pas toucher à la question de l’article 16 tout en évitant, de notre part, de démolir l’idée et le principe de la sécurité collective.
Lorsque nous nous sommes séparés, il était 15 heures 10.
M. Avenol, au moment de le quitter, m’a dit qu’il était satisfait du contenu de la conversation et que, pour la session du Conseil au mois de mai, tout devait être préparé pour éviter des accidents ou des complications.
La conversation s’est déroulée depuis le début jusqu’à la fin avec une cordialité de bon aloi.
Vers 16 heures, j’ai retrouvé M. Gorgé à l’Hôtel Cornavin, où nous logions les deux, et je lui ai fait part des résultats de mes conversations. Je lui ai demandé de me communiquer le texte de son discours si celui-ci était déjà rédigé. M. Gorgé m’a lu son texte. Je l’ai trouvé trop long et trop fortement dirigé contre le système même des sanctions. J’ai donc prié M. Gorgé d’abréger sensiblement son discours et de mieux l’adapter au sens de mes communications. M. Gorgé me l’a promis.
Ce matin vers 11 heures, M. Gorgé m’a communiqué par le téléphone son nouveau texte qui m’a paru acceptable3.