Imprimé dans
Documents Diplomatiques Suisses, vol. 12, doc. 183
volume linkBern 1994
Plus… |▼▶Emplacement
Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
▼ ▶ Cote d'archives | CH-BAR#E2300#1000/716#484* | |
Ancienne cote | CH-BAR E 2300(-)1000/716 231 | |
Titre du dossier | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 32 (1938–1938) |
dodis.ch/46443
Pour compléter mon rapport No 1 du 8 janvier2, j’ai l’honneur de vous communiquer, ici, le compte rendu d’une conversation avec Sir Alexander Cadogan3, entretien que j’ai eu ce matin au Foreign Office avec le nouveau Sous-Secrétaire d’Etat permanent, à l’occasion de ma visite de félicitation.
Moi:...Vous vous rappelez peut-être que le Président Motta a fait, le 22 décembre, en réponse à une interpellation, une déclaration au Parlement fédéral, par laquelle il a exposé à fond la position de la Suisse.
Sir Alexander: Oui, je suis au courant.
Moi: Les graves difficultés de la situation internationale ont fait naître en Suisse un mouvement visant au retour, dans le cadre de la Société des Nations, à la neutralité complète et traditionnelle. La déclaration de Londres, etc. L’inquiétude causée par les développements en Europe et l’expérience faite lors du conflit italo-abyssin ont forcément modifié les vues de la Suisse par rapport à sa collaboration au sein de la Société des Nations. Le fait d’être dispensé d’une participation aux mesures militaires ne couvre à lui seul plus les risques, car la nation comprend que les risques d’une participation aux mesures économiques impliquent des dangers qu’on avait cru pouvoir laisser hors de compte en 1920.
Même si le Conseil fédéral était enclin à voir les choses sous un autre angle, il ne pourrait rester indifférent à ce mouvement dans les milieux publics. Le fait est que le Gouvernement se voit d’accord avec le peuple et déclare que le retour à la neutralité traditionnelle est devenu une nécessité pour sauvegarder la sécurité du pays.
Sir A.: L’inquiétude de la Suisse s’explique sans peine par sa situation géographique.
Moi: Quant à la méthode à appliquer pour arriver à une révision de notre base de coopération à Genève, le Conseil fédéral examine actuellement les possibilités qui existent dans ce domaine. Il fera, le moment venu, son rapport au Parlement, et celui-ci s’en occupera peut-être dans sa prochaine session.
J’ai lu dans la presse anglaise, surtout dans celle de gauche, des allusions sur une intention qu’aurait la Suisse de quitter la Société des Nations. Ceci n’est nullement le cas. Le Président a déclaré formellement que la Suisse fera tout ce qui dépend d’elle, dans toute la mesure du possible, pour continuer et conserver sa collaboration dans le même esprit que jusqu’ici. Le problème que présente cette collaboration avec la reprise d’une neutralité complète n’est pas insoluble.
Peut-être le Conseil fédéral est-il d’avis que le Conseil de la Société des Nations devra en premier lieu être nanti; il y aura éventuellement quelques propos préliminaires au sein de la Commission pour la réforme. On verra.
Sir A.: C’est sans doute à l’Assemblée générale que reviendra la tâche de décider de la suite à donner à la demande de la Suisse.
Mais, au fond, la nécessité de changer quelque chose aux conditions existantes s’impose-t-elle vraiment? On a essayé d’appliquer l’art. 16 et cela n’a pas marché. Les Etats membres ont adopté chacun l’attitude qu’ils croyaient devoir prendre selon leur position individuelle, quelques-uns se conformèrent au pacte, d’autres refusèrent de coopérer et la Suisse a coopéré, dans sa mesure, sur la base d’un arrangement spécial. Bref, il est à prévoir que la Société des Nations, dans des circonstances comme celles qui se présentent aujourd’hui, ne reviendra pas aux sanctions. Il me semble que, même en laissant les choses telles qu’elles sont, la Suisse n’est pas exposée à des risques de complications de ce genre. Il est quelquefois même plus opportun d’avoir de la marge qu’une situation nettement définie pour pouvoir adapter les mesures selon les circonstances du cas individuel.
Moi: Je sais. C’est là une différence intéres-[...]4 nentale. L’Anglais se tient volontiers à l’application du précédent dans la façon qui se prête le mieux à la nature spéciale du problème à résoudre. Le Suisse, moins élastique, tient à être assuré contre le risque. Il a un peu de la mentalité française avec sa prédilection pour ce qui est net et logique, et un peu de la nature allemande avec son sens d’exactitude et de ponctualité5. Le raisonnement seul que le cas des sanctions ne se présentera pas ne lui suffit pas; il veut avoir quelque chose de plus précis. Il a vécu depuis toujours dans des frontières entourées de zones de danger. Il ne veut rien laisser au hasard.
Il voit encore le risque que la Société des Nations devienne l’instrument d’un bloc. Vous aurez remarqué que M. Motta, tout en comprenant cette préoccupation, a insisté sur sa conviction qu’aussi longtemps que la Grande-Bretagne exercera à Genève une influence primordiale, ce risque ne sera pas une vraie raison d’inquiétude.
Sir A.: Certes. Mais en fin de compte, il y a les Puissances qui restent fidèles à Genève et celles qui lui tournent le dos. Ces dernières sont en effet l’opposition. C’est inévitable.
Moi: Comment voyez-vous l’avenir de la Commission pour la réforme de la Ligue?
Sir A.: Nous y allons, sans avoir à dire quelque chose de spécial. La Commission est à l’heure qu’il est une institution plus ou moins décorative. Je ne vois pas ce qu’on pourrait y faire, dans les conditions actuelles, en fait de travail vraiment utile. Il faut toutefois continuer quand même à se voir et à se causer. On trouvera des points secondaires, des détails sur lesquels on pourra délibérer. On pourra se revoir en été et ainsi de suite. Je ne saurais vraiment pas que dire de plus en ce moment.
La sortie de l’Italie m’a surpris davantage que la déclaration allemande. Ce fut sans doute une action arrangée préalablement entre les deux Gouvernements, mais je ne vois pas l’utilité qu’elle peut avoir pour Rome. L’accentuation de l’axe, oui, - mais cela ne me semble pas être une explication suffisante. L’initiative paraît être venue d’Italie.
Moi: D’aucuns prétendent, de Berlin. La question des colonies pourrait y être pour quelque chose.
Sir A.: C’est possible. Mais si c’est Rome, le choix du moment me semble curieux.
Je dicte ces lignes en revenant du Foreign Office. Les paroles de part et d’autre ne sont évidemment pas textuelles, mais mon compte rendu contient en tout cas les points qui pourraient être à retenir.
- 1
- E 2300 London, Archiv-Nr. 32. La Suisse et la Société des Nations. En tête du document Motta a noté de sa main: Intéressant. En circulation, 17.1.38. M.↩
- 2
- Cf. No 175.↩
- 3
- Remarque manuscrite de Motta en marge: C’est le successeur de Vansittart.↩
- 4
- Il manque une ligne sur l’original, qui a été rogné.↩