Soyez certain que je vous sais gré de m’avoir écrit aussi ouvertement que vous l’avez fait par votre lettre du 13 de ce mois 2.Ce qui me trouble à cette heure, ce ne sont pas les conséquences plus ou moins prochaines qu’elle me fait si subitement entrevoir, mais l’annonce de faits absolument nouveaux pour moi et un rapprochement de manifestations que je n’arrive pas à saisir. Ainsi, à ma stupéfaction, ce que je vous écrivais le 9 décembre3 se trouve pour ainsi dire renversé.
D’un côté, la presse suisse, une presse hostile au régime allemand, a cru devoir me reprocher de la faiblesse à l’égard de celui-ci, un manque d’énergie dans la défense de nos intérêts. Je m’en suis défendu vis-à-vis de vous. D’ici, au contraire, il vous parvient des échos qui vous donnaient à penser qu’on pourrait me trouver intransigeant, trop critique ou incompréhensif du régime. Comment ceci et cela pourrait-il se concilier et aller de pair?
Je me rappelle qu’en vous quittant, en octobre, je vous disais - et je le répétais dans ma dernière lettre4 - que je considérais ma situation ici comme bonne à tous égards. Me suis-je vraiment si complètement trompé? Je ne me l’explique pas encore. Aucune allusion ne m’a jamais été faite, aucun signe, en tout cas saisissable pour moi, ne m’a jamais été donné.
Bien au contraire, je suis accueilli dans tous les milieux allemands, officiel, du parti, militaire, scientifique, artistique ou tout simplement privé avec le même empressement et traité avec la même confiance. Il y a peu de jours encore, le ministre des affaires étrangères était mon hôte et il s’est montré si obligeant, jovial et content, je pourrais dire si amical, que je me demande s’il est possible ou qu’il travestisse pareillement sa pensée ou qu’il ignore ce que vous me communiquez. Il m’a même tenu, il y a quelques mois, des propos directement contraires à ce qui serait le cas aujourd’hui, à ce que vous me dites.
Quoi qu’il en puisse être, vous comprendrez sans doute le désir pressant que j’éprouve d’avoir l’occasion de m’instruire avec vous de la situation nouvelle dans laquelle je me trouve. Or, profitant du congé que vous avez bien voulu m’accorder, mon intention était déjà d’aller passer une douzaine de jours en Suisse. Je viens donc vous demander s’il vous sera possible de me recevoir5 de suite après Noël, jour où je compte venir à Berne.
Ce que je tiens cependant à déclarer dès maintenant c’est que je ne pourrais, sous quelque éventualité que ce soit, accepter un poste qu’un collègue aurait à quitter pour me faire de la place. Je ne veux, dans la dernière partie de ma vie, la ternir alors que jamais une intrigue ou quelque chose d’analogue de ma part n’y a trouvé place.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à mes sentiments de constant dévouement.