Classement thématique série 1848–1945:
II. LES RELATION BILATÉRALES ET LA VIE DES ÉTATS
II.14. ITALIE
II.14.2. L'ITALIE ET LA SdN
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 12, doc. 164
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001D#1000/1554#58* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(D)1000/1554 5 | |
Dossier title | Italie (1937–1938) | |
File reference archive | E.22 |
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.19-01#1000/1723#95* | |
Old classification | CH-BAR E 2200.19-01(-)1000/1723 11 | |
Dossier title | Société des Nations: Sortie de l'Italie (1935–1940) | |
File reference archive | l.C.5 |
dodis.ch/46424
Les délibérations annoncées du Grand Conseil Fasciste de samedi soir, 11 décembre, ont duré, comme vous l’avez constaté, à peine quelques minutes, ce qui montre qu’il n’y a pas eu de discussion et que les membres étaient fixés d’avance.
Beaucoup espéraient néanmoins jusqu’à la dernière minute que la forme serait peut-être moins abrupte. J’ai estimé devoir vous rapporter les rumeurs qui couraient au sujet des autres déclarations qui seraient faites au public à cette occasion, vu la persistance de ces bruits. Les milieux diplomatiques franco-britanniques, notamment, et d’autres informateurs italiens ou autres annonçaient péremptoirement que les déclarations relatives à la Société des Nations seraient accompagnées d’autres développements «programmatiques».
On ne put se défendre de l’impression que, même dans la foule et dans les milieux fascistes, il y avait une légère déception de ce que l’annonce si anxieusement attendue ne concernât que la Société des Nations; la masse du peuple était déjà devenue assez indifférente à cette institution sur laquelle elle a déjà entendu tant d’apostrophes hostiles et, en somme, la sortie formelle ne l’intéressait peut-être pas outre mesure. Le ton du Duce paraissait assez âpre. Nous nous sommes laissé dire que les répercussions de la presse étrangère anticipant ses déclarations sur les suites que comporterait la sortie de l’Italie l’auraient irrité, non moins que les allusions, notamment françaises, au fait que l’Italie «suit l’exemple de l’Allemagne et du Japon», etc. On a remarqué le ton particulièrement vif par lequel M. Mussolini a écarté l’idée d’une pression de l’axe. A cet égard, les télégrammes indiquant que Berlin était au courant de la mesure projetée et l’approuvait avec enthousiasme ne doivent guère lui avoir fait un plaisir excessif. Des personnes appartenant au milieu diplomatique italien croient que le Duce se serait convaincu que certains bureaux français, malgré quelques bonnes paroles officielles, n’ont actuellement pas de désir réel de régler les questions avec l’Italie. On peut tirer de l’affaire Campinchi, de la sortie de la Société des Nations et de certains commentaires officieux privés, l’idée qu’à Rome, on espère ainsi hâter la liquidation du front populaire en France, en discréditant le régime aux yeux des nombreux Français qui déjà ne l’aiment guère et constatent ses effets fâcheux en politique étrangère.
Même parmi les fonctionnaires du Ministère s’occupant ou s’étant occupés plus spécialement des affaires en relation avec la Société des Nations - pour autant qu’ils aient eu voix au chapitre sauf pour la préparation technique des communications à faire et des suites juridiques et matérielles de la sortie de l’Italie - on rencontrait le plus souvent, ces derniers temps, les échos les plus défavorables et hostiles à l’institution genevoise. A part le mot d’ordre venu de plus haut, d’une manière générale on entendait, quant aux divers points de détail, des considérations pessimistes au sujet des possibilités de réussite des projets de réforme du pacte. En outre, il est évident que de nombreux fonctionnaires ont souffert de l’atmosphère hostile rencontrée dans certains milieux du Secrétariat. Ces fonctionnaires avaient l’impression que, tandis que dans les négociations d’Etat à Etat ou dans des conférences entièrement en dehors de la Société des Nations, l’Italie pouvait parfois rencontrer de bonnes dispositions, aussitôt que l’on se trouvait à Genève, l’ambiance devenait hostile et propre à mettre en échec toute solution de conciliation ou favorable à l’Italie. Déjà au moment de la conférence de Nyon, cette note a été fréquemment soulignée. Pour Bruxelles de nouveau, on disait que le fait que la Société des Nations s’y soit indirectement mêlé avait aussitôt déterminé un esprit sanctionniste peu propice à une solution tenant compte des réalités.
Il convient de chercher, derrière ces arguments justifiant la sortie pour l’opinion, l’intention du Chef du Gouvernement qui l’a amené à prendre maintenant, de concert avec Berlin, une décision que l’on n’escomptait primitivement pas avant janvier ou plus tard, ou même pas du tout. On peut dire en tous cas que la cordialité spéciale avec laquelle M. Stojadinovitch a été reçu à Rome s’éclaire d’une manière particulière après l’événement de samedi. M. Mussolini a mentionné comme fait positif de volonté de collaboration et de paix l’harmonie des relations établies avec la Yougoslavie et il tenait sans doute à pouvoir marquer ce point avant la déclaration de sortie. Il faut donc admettre que si, jusqu’à présent, il a estimé que les dangers d’une action collective contre l’Italie pouvaient engager celle-ci à rester à Genève pour parer au pire et se créer des appuis, la signature du pacte anti-Komintern, le raffermissement de l’axe après le voyage de Berlin, le détachement de l’esprit de sanctions et du lien trop étroit avec Genève marqué par certains Etats, ainsi que la bonne harmonie avec l’Etat voisin yougoslave lui permettaient de sortir maintenant sans risque. Et si beaucoup craignent que l’Italie ne soit entraînée dans le sillage de l’Allemagne, je ne serais pas éloigné de croire que M. Mussolini (qui, intérieurement, est plus fort que le Führer puisqu’il n’a à compter avec personne et qu’il n’a à ménager ni chefs militaires, ni grands propriétaires ou industriels, ni «collègues») pense qu’avec le temps, c’est lui qui donnera le ton, lui qui sera le médiateur entre le groupe franco-anglais et l’axe et peut-être en Orient. S’il rompt les ponts, ce serait donc qu’il croit éclaircir la situation, rendre ses coudées franches, mais peut-être aussi pour se lier son partenaire et, en attirant et en donnant un caractère sensationnel à l’événement, se voir reconnaître comme leader et facteur déterminant du groupe anticommuniste. Il est aussi probable qu’il ne veut pas être gêné dans l’action future de sa politique par des considérations en rapport avec la S.d.N. et le Pacte, notamment le jour où, l’Abyssinie exclue, l’Italie eût pu rentrer à l’Assemblée et au Conseil.
Les milieux officiels se rendent bien compte de ce que la position de certains Etats sera rendue plus difficile par suite de la sortie de l’Italie; mais ils espèrent justement que cela engagera ceux-ci à prendre encore plus de distance vis-à-vis de l’organisme genevois, que l’on pense en tous cas affaiblir par cette manœuvre.
Tout ceci est le reflet de voix que l’on peut entendre dans des milieux avoisinant le Palais Chigi. Ces jugements mêmes portent l’empreinte de la distance que l’Italie a effectivement prise, depuis deux ans, de l’idée de la collaboration internationale sur le plan de la Société des Nations. Nous ne pouvons évidemment que déplorer cette évolution qui aurait pu, j’en suis convaincu, prendre une tout autre tournure, en septembre 1936 d’abord, et encore peut-être au mois de septembre de cette année si de justes satisfactions de forme et de prestige avaient été concédées à temps à l’Italie.
- 1
- Lettre (Copie): 2200 Rom 23/11. Sortie de l’Italie de la Société des Nations.↩