Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 307
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1534#1928* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1534 100 | |
Dossier title | Verbot von Schweizerzeitungen in Italien (1934–1936) | |
File reference archive | B.46.16 • Additional component: Italien |
dodis.ch/46228
Je vous ai relaté séparément l’entretien que j’ai eu l’autre jour avec M. Bastianini, Sous-Secrétaire d’Etat aux Affaires Etrangères, et au cours duquel j’ai obtenu l’assurance que le Gouvernement italien interviendrait à la suite de nos réclamations concernant la campagne de la «Cronaca Prealpina» et de la «Provincia di Como»2.
«A propos de la presse», m’a dit M. Bastianini dans la seconde partie de notre entretien, «je ne puis assez souligner les répercussions fâcheuses de la campagne du «Journal des Nations» et de son inspirateur A’Prato». Vous savez que dès ma première prise de contact officielle avec le Comte Ciano3, le Ministre des Affaires Etrangères s’était plaint en termes véhéments de l’action d’A’Prato et du «Journal des Nations». J’ai eu, d’autre part, l’occasion de vous dire verbalement cet été que, pour ainsi dire, à propos de tout, on me sortait, dans mes entretiens avec le Palais Chigi, l’affaire de ce journal, fondé jadis avec de l’argent de la Petite-Entente. Un de mes amis italiens, qui juge la situation sans parti pris mais qui est en mesure d’observer l’état d’esprit au Palais Chigi, m’a dit qu’il constatait à nouveau l’irritation qu’avait engendrée autrefois la présence prolongée de Pacciardi dans notre territoire4. Tout ceci, Monsieur le Conseiller fédéral, je vous l’ai dit de vive voix et je puis donc me dispenser d’y revenir aujourd’hui.
En outre, je dois vous signaler que M. Bastianini, qui est en général très mesuré et prudent dans ses propos, s’est exprimé, au sujet des inconvénients que peut présenter, même pour les relations italo-suisses, la tolérance accordée à A’Prato, en des termes tout particulièrement nets. L’Italie, a-t-il dit, voit troubler ses relations avec la Société des Nations, avec la France et avec la Suisse par les soupçons qu’A’Prato ne cesse de répandre dans les esprits de la manière la plus perfide. A’Prato est un «rovesciatore», quelqu’un qui ne cesse de déformer systématiquement la vérité dans des buts néfastes. Ayant été mis en vogue par M. Rosenberg, A’Prato serait actuellement soutenu, selon M. Bastianini, par de l’argent soviétique. Malheureusement, je n’ai pas pu obtenir une preuve précise sur cet argument.
Il va de soi que j’ai souligné que le cas A’Prato avait déjà attiré votre attention, que ce journaliste avait reçu un avertissement sérieux et que son activité était surveillée5. J’ai aussi ajouté qu’à teneur de ce qu’avait dit M. Tamaro à Berne, A’Prato avait eu lui-même l’intention de quitter la Suisse pour se rendre en Belgique; cet espoir de la Légation d’Italie à Berne ne semble toutefois pas être près de se réaliser.
En résumé, M. Bastianini m’a prié de vous exposer l’intérêt vraiment urgent qui conseille de mettre fin à la campagne du «Journal des Nations» par l’éloignement d’A’Prato de ce journal. J’ajoute que, d’après M. Bastianini, le Gouvernement italien se demande comment et grâce à quelles protections M. A’Prato peut poursuivre à Genève une activité dangereuse, alors que même le gouvernement du Front populaire en France a éloigné des journalistes antifascistes italiens dont l’activité a troublé les relations entre les deux pays.
Pour finir, le Sous-Secrétaire d’Etat a répété qu’un geste de notre part en cette affaire serait de nature à aplanir une série d’obstacles dans d’autres domaines. Pour ma part, j’arrive, tout bien considéré, à la conclusion qu’au point où en sont les choses, il ne vaut pas la peine d’assurer à A’Prato un traitement plus favorable que celui qui fut réservé à Pacciardi. Nous avons, d’autre part, un intérêt vraiment assez grand à voir cesser une propagande dans de petites feuilles près de notre frontière et ce désir ne sera, je crains, réalisé à la longue qu’à la condition d’un geste de notre part dans l’affaire dont je vous parle.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 4/100. Annotation de Motta dans la marge: Communiquer à M. le cons. féd. Baumann. 3. XI. 36.↩
- 2
- L’entretien avec Bastianini est relaté dans la lettre confidentielle de Ruegger à Motta, du 30 octobre (E 2001 (D) 1/100). Dans la même lettre, a propos des articles publiés dans La Provincia, de Côme, et dans La Cronaca prealpina, de Varèse, Ruegger écrit: Il me paraît utile de préciser, pour mémoire, ce qui avait déjà été fait ici pour amener les autorités italiennes à mettre fin à une campagne assez irritante. Vous vous souvenez que j’en ai parlé à M. Mussolini, qui a souligné le peu d’importance d’une action pouvant s’exercer à la périphérie et échappant au contrôle du centre. A deux ou trois reprises, je me suis ensuite adressé, vu la persistance de la campagne, au Comte Ciano qui, au mois d’août dernier, avait donné des directives tendant à faire cesser les articles dont nous nous plaignons. Cet été, le Chef du Cabinet du Ministère, M. De Peppo, a confirmé à M. Micheli, Chargé d’Affaires, qu’à la suite de l’intervention du Comte Ciano, les articles incriminés devenaient de moins en moins fréquents. Effectivement, il y a eu un temps d’arrêt pour ainsi dire complet dans la publicité que nous signale, avec beaucoup de zèle, le Consulat Général de Milan. Ceci dit, je crois tout de même indiqué que nous réduisions à leurs justes proportions la publicité des feuilles de Varèse et de Côme. Certes, je n’ai cessé de souligner vis-à-vis du Palais Chigi que des articles, n’ayant peut-être pas trop d’importance en eux-mêmes, en prenaient néanmoins dans les régions-frontière et vu les répercussions qu’ils devaient éveiller dans notre opinion publique. Nous avons, d’autre part, toujours insisté sur l’inquiétude regrettable qui devait s’emparer de beaucoup d’esprits, dans notre colonie en Italie ainsi qu’en Suisse, à la lecture de cette prose irrédentiste. Mais il faut reconnaître, d’autre part, qu’un assez grand nombre des articles rentrent dans le cadre de polémiques journalistiques ou personnelles, même d’affaires de clocher, et qui sont, en somme, parfois une contrepartie des critiques et polémiques des journaux du Tessin. (N’oublions pas qu’on a souvent raison de s’en plaindre ici.) Des articles de ce genre paraissent d’ailleurs aussi ailleurs qu’à Varèse et à Côme.[...] ↩
- 3
- Le premier entretien Ruegger- Ciano a eu lieu le 18 juin. Cf. lettre de Ruegger à Motta, du 20 juin 1936, où il n’est toutefois pas question de A Prato(E 2300Rom, Archiv-Nr. 36).↩
- 4
- Cf. DDS vol. 10, rubrique 15.3: Réfugiés antifascistes et services de renseignements. ↩
- 5
- Cf. surtout nos 224 et 254.↩
Tags
Italy (Others)
A Prato Affair (1934–1938)