Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
4. Conflit italo-éthiopien, sanctions; venue du Négus en Suisse; manifestation de journalistes italiens à la SdN; reconnaissance de l’Ethiopie italienne
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 235
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#912* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 397 | |
Dossier title | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 36 (1936–1936) |
dodis.ch/46156
J’ai l’honneur de confirmer mon télégramme de ce soir3, par lequel je vous ai sommairement rendu compte de mon entretien fort important d’aujourd’hui avec le Chef du Gouvernement italien. J’ai été heureux de pouvoir vous apporter, dans les questions essentielles, les apaisements que vous étiez en droit d’attendre.
L’entrevue pas facile, qui avait même par moment des accents presque dramatiques, a duré exactement trois quarts d’heure. M. Mussolini m’attendait, la mine plutôt soucieuse; à ses côtés se tenait, également fort sérieux, M. Suvich, Soussecrétaire aux Affaires Etrangères, qui a ensuite assisté – selon une habitude récente – à tout l’entretien.
Ce furent d’abord quelques préliminaires; j’ai félicité le Duce à l’occasion du retour d’Afrique, en bonne santé, de ses deux fils; ensuite je lui ai offert, à titre d’hommage de la Société éditrice, un exemplaire du livre «La Garde fidèle du St. Père», dont il a regardé quelques illustrations, en me questionnant, avec un intérêt visible, sur le recrutement de la Garde Suisse du Vatican.
Ensuite, je me suis attaqué au but principal de ma visite. J’ai dit d’emblée, au Chef du Gouvernement, qu’un grave malentendu était né et que je lui demandais, dans l’intérêt des relations amicales entre les deux pays, une «parola chiarificatrice» pour le dissiper. A ma première allusion au fait que vous aviez été surpris et peiné (veramente addolorato) par une démarche du Gouvernement Royal4, il jeta un regard interrogateur vers M.Suvich, qui resta, cependant, muet, comme durant presque tout l’entretien.
Pendant près d’un quart d’heure, je fis ensuite un exposé – que M. Mussolini écouta attentivement et silencieusement – de notre situation, de nos efforts discrets, continus et efficaces, déployés dans le sens de la modération et de la conciliation dès le début du conflit entre l’Italie et la Société des Nations; j’ai rappelé que les deux pivots de notre politique extérieure étaient la neutralité, d’une part, la fidélité aux engagements pris, de l’autre; que c’était donc bien difficile d’obtenir l’acquiescement tacite nécessaire, de la part des autres Membres de la SdN, à notre attitude très spéciale, tenacement voulue, qui faisait que notre participation aux sanctions était presque «symbolique» seulement; que lui-même, M. Mussolini, avait reconnu, dans des déclarations nettes et fortes, vis-à-vis de mon prédécesseur et de moi-même5, combien notre attitude avait été pondérée et équitable, vu les circonstances très difficiles.
Ensuite, j’ai exposé quelle a été votre attitude lors de la réunion dite des «neutres»6. Tout en observant la discrétion nécessaire, j’ai souligné – en me croyant autorisé à lire, notamment, une phrase de votre lettre manuscrite du 137 – que dans cette réunion vous aviez fait une critique sévère du maintien des sanctions après la fin des hostilités; j’ai aussi donné à entendre que, dans la question de l’admission d’un représentant du Négus, vous aviez personnellement opiné dans un sens différent de celui adopté par le Conseil – qui provoqua le départ de la délégation italienne.
«Jugez donc de la surprise de mon Chef», ai-je ajouté, «lorsqu’à son retour de Genève, il s’est vu interpellé par une démarche qui tendait à faire croire que le maintien de notre ligne de conduite, sereine et utile pour l’Italie, était considéré comme contraire à la neutralité et à l’amitié italo-suisse». En réitérant que, selon ma conviction profonde, il ne pouvait s’agir que d’un malentendu devant et pouvant être rapidement dissipé, j’ai conclu en affirmant qu’aucun des cinquante Etats de la Société des Nations n’avait suivi une ligne à la fois si sobre et si amicale envers l’Italie, et que des cinquante ou soixante Ministres des Affaires Etrangères du monde certainement aucun ne jugeait avec autant de sérénité et de justice que Vous-même la situation de l’Italie et l’œuvre du Chef du Gouvernement. (Cette péroraison un peu vive provoqua des regards quelque peu effrayés de M. Suvich, mais M. Mussolini avait écouté avec sympathie).
D’abord très calme, s’échauffant peu à peu, M. Mussolini déclara: «La situation, en ce qui concerne la Suisse, est différente depuis la fin des hostilités en Ethiopie. Le pays est pacifié. Aujourd’hui, les sanctions n’aident pas l’Ethiopie, elles la frappent. Les sanctions sont une «pression cruelle» qui doit cesser. Si on les aggrave, si on les maintient indéfiniment on va vers la guerre. Il y a un fort courant en Angleterre qui veut nous affaiblir longtemps encore au moyen des sanctions, pour armer entretemps et nous attaquer ensuite. Les nouvelles que je reçois sont sérieuses. De nouveaux navires sont en route vers la Méditerranée. Ce n’est plus l’Angleterre «ginevrina» que nous avons en face de nous; c’est l’Angleterre impériale qui parle de la route des Indes, de notre «armée noire». Je suis content qu’elle se démasque. Nous ne l’attaquerons pas, mais si on nous attaque, nous nous défendrons.
Quant à la Suisse, sa voix a du poids. Elle n’est pas, comme la Suède, même le Danemark, loin des courants de la politique européenne. Mais surtout, son prestige et sa parole comptent dans le monde; c’est un pays bien plus grand que par le nombre de ses quatre millions d’habitants. Les paroles de sagesse prononcées par elle soulagent et entraînent.
Puis, M. Mussolini, répondant à ma demande, a reconnu l’action de notre pays et votre action personnelle. Il m’a chargé de vous dire qu’il se souvenait avec plaisir de votre visite, il y a quelques années8, qui avait été «particolarmente gradita». Il a ajouté qu’il avait pour vous et votre «jugement serein et équilibré» une haute estime. Il reconnaissait yotre action modératrice. Il reconnaissait, en particulier, l’utilité de votre participation aux «consessi» des ex-neutres, «dove la sua parola puo impedire pazzie».
Mais, aujourd’hui, disait-il, les hostilités étant finies, les sanctions sont purement punitives et le peuple italien se révolte contre elles, – le côté moral prime de beaucoup le côté matériel – comme l’Allemagne a exigé la «Gleichberechtigung» 9 (Cette allusion est une indication très importante).
«Je voudrais demander à M. Motta de faire connaître publiquement cette même opinion qu’il a déjà exprimée. Ne serait-il pas possible qu’il le fît soit au Parlement, soit dans un discours. Il s’agirait d’une simple manifestation d’une opinion. Nous le ferions publier ici et, aussi dans le peuple, les derniers nuages qui peuvent planer sur notre amitié, seront définitivement dissipés. Dites-le lui de ma part. Et lorsque le Comité des Dix-huit se réunira, il voudra sans doute réitérer son opinion».
Comme vous le voyez, il n’y pas eu un vestige d’une demande d’une action isolée, dont je m’étais efforcé de démontrer l’impossibilité. Il n’y a pas eu, non plus, la moindre pression. La suggestion tendant à une «manifestation publique de votre opinion» ne peut, à mon avis, être considérée comme inusitée, venant de M. Mussolini que nous avons tant de fois prié, et avec succès, de manifester sa désapprobation des menées irrédentistes.
- 1
- Annotation manuscrite de Motta: Très confidentiel N’ayant pu – pour [sic]manque de temps – le communiquer ce matin au Conseil fédéral pendant la séance, je mets ce rapport en circulation. 22. V. 36.↩
- 2
- Rapport politique: E 2300 Rom, Archiv-Nr. 36. Paraphe: RP.↩
- 3
- En voici le texte: Mussolini me reçut ce soir se montrant compréhensif. Ai impression que sa pensée vous fut mal transmise [par le ministre A. Tamaro, cf. no 230]. Il reconnaît votre action conciliatrice aussi dans conférence neutres. Déclare cependant que amitié italo-suisse serait beaucoup raffermie si vous pouviez manifester publiquement en Suisse avant 15 juin votre opinion exprimée aussi neutres [cf. annexe au no 230]quant à maintien sanctions après fin hostilités. Attache grande importance déclaration Suisse en ce sens, vu persistance guerre italo-britannique. [...] Le télégramme, communiqué le 19 mai par Motta au Conseil fédéral, porte cette annotation manuscrite du chef du DPF: Ceci a déjà été fait par moi à Fribourg, au Congrès conservateur, le 17 de ce mois indépendamment de la manifestation de M. Mussolini à l’égard de notre ministre. 19. V. 36. (E 2001 (C) 5/161.) Sur le discours de Motta à Fribourg, dont on ne possède pas le texte complet, cf. le communiqué de lAgence télégraphique suisse, du 17 mai (intitulé: M. MOTTA CONDAMNE LES SANCTIONS ECONOMIQUES CONTRE L’ITALIE): Dans le discours que M. le conseiller fédéral Motta a prononcé à Fribourg dimanche au congrès du parti conservateur, il a fait quelques remarques très brèves sur le conflit italo-éthiopien. M. Motta a déclaré qu’il fallait se féliciter du fait que les sanctions militaires n’avaient jamais été envisagées, car elles auraient fatalement abouti à une guerre européenne. Les sanctions économiques ont révélé leur inefficacité. La Suisse, siège de la Société des Nations, n’aura pas à prendre des initiatives. Elle ne se mettra pas inutilement en avant. Il est cependant évident que l’aggravation des sanctions constituerait une lourde faute et que même le maintien indéfini des sanctions actuelles ne peut plus, ni moralement, ni politiquement, ni juridiquement se défendre (E 2001 (C) 5/161).↩
- 4
- Cf. nos 230 et 231.↩
- 5
- Cf. nos 194 et 212.↩
- 6
- Cf. annexe au no 230.↩
- 7
- Cf. no 233.↩
- 8
- En avril 1933. Cf. DDS vol. 10, no 263, dodis.ch/45805.↩
- 9
- A la Conférence pour la réduction et la limitation des armements, ouverte à Genève en février 1932. Cf. DDS vol. 10, nos 261 et 358.↩
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