Confidentielle Berne, 12 mai 1936
Nous avons eu l’honneur de recevoir la lettre du 7 mai2 par laquelle vous nous faites part de votre intention d’avoir à bref délai une entrevue avec le Chef du Gouvernement italien afin de mettre à profit une atmosphère très favorable à notre égard et le fait qu’il n’est pas encore assiégé par d’autres chefs de mission accrédités à Rome.
Nous approuvons d’autant plus votre projet qu’une démarche effectuée hier par le Ministre d’Italie à Berne nous a montré sous un jour assez préoccupant l’avenir immédiat de nos relations avec l’Italie. Le pro memoria ci-joint3, que vous voudrez bien considérer comme strictement confidentiel, vous renseignera complètement sur la portée de cette démarche et sur les moyens d’intimidation employés pour nous amener à prendre dans la question des sanctions une attitude qui romprait avec la politique circonspecte qui nous est imposée par les circonstances et dont, à diverses reprises, M. Mussolini a lui-même reconnu la justesse.
Il nous paraîtrait extrêmement désirable que vous ayez, aussitôt que faire se pourra, une conversation avec le Chef du Gouvernement italien afin de lui exposer combien nous avons été surpris et peinés par la récente démarche de M. Tamaro. Cette démarche révèle, en effet, une complète méconnaissance, d’une part de la situation de notre pays, qui ne peut se muer en satellite de l’Italie, et, d’autre part, des efforts discrets, mais réels, que nous n’avons cessé d’entreprendre pour atténuer les rigueurs doctrinaires des Etats qui ont prétendu appliquer le Pacte de la Société des Nations sans tenir compte des réalités.
Au cours des conversations qu’il a eues avec votre prédécesseur, le Chef du Gouvernement italien avait paru parfaitement comprendre et apprécier à son prix l’attitude que nous avons adoptée4. Nous avons donc peine à croire que ce soit M. Mussolini lui-même qui ait inspiré une démarche nous pressant de modifier brusquement notre ligne de conduite pour obtenir de nous une initiative – vouée sans doute à l’insuccès et dont l’Italie ne pourrait donc espérer aucun bénéfice pratique – qui nous placerait dans une situation indéfendable vis-à-vis des autres membres de la Société des Nations. Quoi qu’il en puisse être, au surplus, nous nous plaisons à penser que vous n’aurez pas de peine à le convaincre de ne pas nous demander l’impossible et à lui faire reconnaître que nous n’avons cessé d’agir à l’égard de l’Italie avec tous les égards compatibles avec nos obligations internationales.
Ceci est, à notre avis, l’objectif essentiel de votre prochaine entrevue avec le Duce et le point sur lequel nous avons hâte de recevoir de vous des renseignements apaisants. Si, toutefois, vous estimez pouvoir aborder d’autres sujets sans nuire à la réalisation de cet objectif, nous vous saurions gré de mettre à profit votre conversation avec M. Mussolini pour le mettre au courant de la façon particulièrement amicale pour l’Italie par laquelle nous nous proposons de régler incessamment l’affaire Colombi (voir notre lettre du 7 mai)5. Cette communication vous servirait aisément d’entrée en matière pour signaler qu’au moment où nous nous apprêtons à prendre cette décision, nous ne constatons pas sans un certain malaise le regain d’activité des milieux irrédentistes signalé par le rapport du 7 mai du Consulat général à Milan6. [...]