Vous avez sans doute suivi de très près les discussions de Genève, notamment celles de samedi dernier2.
Nous en sommes sortis, je crois, avec l’honneur des armes, mais je dois bien avouer que l’attitude de la France (Coulondre, en réalité Basdevant, et plus réellement encore les Etats de la Petite Entente, la Pologne et la Russie soviétiste) m’a surpris et peiné. J’ai défendu énergiquement le point de vue suisse; nos raisons étaient très solides; M. Nicolas Politis (toujours d’accord avec le Quai d’Orsay! quelle belle intelligence tout entière traversée de sophismes opportuns!) a bien voulu déclarer qu’il m’avait écouté avec une «véritable émotion» et que les membres du Comité des 18 me devaient un «hommage spécial» pour l’objectivité et la bonne foi que j’avais mises à expliquer les raisons suisses.
L’opinion publique suisse est, dans son immense majorité, derrière le Conseil fédéral. Les fondements moraux et politiques et aussi juridiques sont tels que rien ne peut prévaloir contre eux, pas même la turbulence des Etats de la Petite Entente et la raideur de la France.
Je m’en expliquerai demain avec M. l’Ambassadeur de France3 qui m’a demandé une audience que j’ai accordée pour demain.
La Délégation française a agi par surprise; ce n’est pas M. Coulondre qui en est responsable, le responsable principal est M. Basdevant; si j’avais pu parler avec M. Laval je suis persuadé que j’aurais trouvé beaucoup plus de compréhension. Celui-ci m’a d’ailleurs remercié de ma dernière intervention appuyant les efforts de conciliation. Sir SamuelHoare en a fait de même.
Si nous avions eu la faiblesse de céder devant l’attitude des autres Etats nous aurions commis une faute très grave.
Vous savez, je pense, que cette question de Y embargo sur les armes avait beaucoup préoccupé le Conseil fédéral et moi-même. Ce n’est qu’ après les réflexions les plus mûres que j’avais proposé l’embargo aussi contre l’Abyssinie4. Je suis persuadé qu’une autre décision aurait froissé à juste titre l’Italie et chargé dangereusement notre position dans l’avenir.
C’est avec un sentiment de soulagement que je me tourne en arrière. Les autres Etats, et surtout les grands Etats, on dû se dire que notre pays n’est le vassal de personne et que son premier souci est celui de sa souveraineté.
Je ne sais pas comment nous réussirons à sauvegarder notre droit dans une autre hypothèse encore plus grave. L’essentiel est qu’il n’y ait pas de précédent contre nous.
J’ajoute que l’opinion publique italienne a observé l’attitude française peu amicale à notre égard et qu’elle la juge sévèrement.
J’ai tenu à vous mettre au courant de cette situation délicate. Je vous autorise à donner communication de cette lettre à votre collaborateur principal, M. Ruegger.
P. S. L’attitude anglaise a été plus sage et plus réservée.