Classement thématique série 1848–1945:
I. SOCIÉTÉ DES NATIONS
4. Conflit italo-éthiopien, sanctions; venue du Négus en Suisse; manifestation de journalistes italiens à la SdN; reconnaissance de l’Ethiopie italienne
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 163
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#774* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 343 | |
Dossier title | Paris, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 88 (1935–1935) |
dodis.ch/46084 Le Ministre de Suisse à Paris, A. Dunant, au Chef du Département politique, G. Motta1
La détente qui s’est manifestée depuis la fin de la semaine dernière dans le grave conflit entre l’Italie et la Société des Nations a été saluée, inutile de le dire, par la presque unanimité de l’opinion française.
Lorsque, il y a 5 ou 6 jours, je vis M. Bargeton, Directeur des Affaires Politiques au Quai d’Orsay, ce haut fonctionnaire se plaignait de ce que le geste de conciliation attendu de l’Italie ne prenait pas encore de formes concrètes. M. Cerruti, Ambassadeur d’Italie, que j’ai rencontré dans les couloirs du Quai d’Orsay, n’était pas encore porteur de nouvelles plus propices. Le lendemain, cependant, grâce à la médiation de Paris, le Chef du Gouvernement italien reçut, pour la première fois après un long intervalle, l’Ambassadeur britannique, Sir Eric Drummond, tandis qu’au même moment M. Grandi rendit visite à Sir Samuel Hoare.
Les communiqués publiés dimanche matin à Rome et à Londres, et dont les termes avaient été soigneusement établis de concert entre les deux Gouvernements, marquaient le début d’une clarification des positions respectives de l’Italie et de la Grande-Bretagne. Les appréhensions de ceux qui prévoyaient, la semaine dernière encore, une action isolée de l’Empire britannique – action qui aurait franchi le pas entre les sanctions économiques et les sanctions militaires – furent calmées. En même temps, la nouvelle se répandit qu’à Genève, M. Eden, qui, jusqu’alors, avait farouchement poussé à une action collective précipitée, avait lui-même pris l’initiative de retarder jusqu’à la fin du mois les débats sur la date de la mise en œuvre des sanctions économiques2.
Que s’est-il passé, en réalité, pour qu’il y ait eu ce revirement brusque, mais favorable? Ici, nous entrons dans le domaine des conjectures. Il est, cependant, permis de croire que le Gouvernement de Rome a fourni au Cabinet de Londres des apaisements tels que les intérêts britanniques pouvant être menacés par l’action italienne en Afrique Orientale sont désormais considérés comme définitivement sauvegardés. Or, si le conflit italo-anglais, qui existait en dépit de toutes les dénégations officielles, passe à l’arrière-plan, la machine de la S.d.N. est immédiatement ralentie. Il est à présumer aussi que, dans la situation difficile dans laquelle il se trouve, le Gouvernement de Rome ait demandé le temps nécessaire pour préparer l’opinion nationale à accepter un «succès partiel»3.
D’autre part, la décision de la Grande-Bretagne désormais universellement proclamée, de ne pas sortir du cadre de l’action collective, peut très bien avoir été motivée par la conviction qu’il n’y avait pas moyen d’entraîner la France au-delà des sanctions économiques et que, même si un nouveau Gouvernement s’était proposé d’aller plus loin, des troubles intérieurs l’auraient vraisemblablement empêché d’agir. Il ne peut, en effet, y avoir de doute quant à l’opposition virulente que tout essai de conduire la France vers une action de force envers l’Italie aurait provoqué dans une grande partie du pays et en tout cas auprès d’une minorité forte, plus ou moins organisée et agissante. Reste à savoir si la France aura à craindre les répercussions que pourrait avoir un jour pour elle le précédent créé aujourd’hui et qui limite, somme toute, le champ d’application de l’art. 16 du Pacte4. A ce sujet, M. Laval a dû subir l’assaut des avis les plus divers, même, paraît-il, dans son entourage. Un collaborateur immédiat du Président du Conseil a, toutefois, résumé, sans doute avec précision, la manière de voir de son Chef en expliquant que dans le cas d’avenir redouté par la France, celle-ci aurait automatiquement à ses côtés les forces militaires des Etats sur lesquels elle doit compter. «Or, disait-il, aucun précédent défavorable pour le déclenchement des sanctions militaires n’est créé par un ralentissement, et même un insuccès partiel des sanctions économiques dans le cas présent». De toute manière, la tâche diplomatique de M. Laval, qui négociait en quelque sorte un modus vivendi avec l’Italie au sujet des sanctions, était d’une difficulté rare.
Le Nonce Apostolique5, qui est venu hier à la Légation, m’a fait une allusion que je crois devoir vous signaler au sujet de l’influence, de plus en plus grande, de la Russie soviétique à Genève6. Il est évident que le Saint-Siège ne peut pas voir d’un œil favorable l’activité dissolvante que les Soviets seront à même de continuer avec des forces accrues lorsqu’ils auront consolidé leur avance incontestable à la S.d.N. Par plusieurs de mes précédents rapports, vous connaissez l’évolution qui s’est produite, dans les appréciations d’une grande partie de l’opinion publique française, en ce qui concerne l’utilité et le gain réels qu’a constitué l’admission du Gouvernement de Moscou dans la S.d.N. Même dans les milieux du Secrétariat Général de la S.d.N., on déclare constater la forte emprise non seulement de M. Litvinoff, mais aussi et peut-être notamment, du Sous-Secrétaire Général soviétique, M. Rosenberg, ancien Conseiller d’Ambassade à Paris, sur les affaires de la Ligue7. Il paraît, en effet, évident que des passions partisanes, qui se sont indubitablement manifestées, à Genève comme en dehors du siège de la Société, à propos de l’affaire italo-éthiopienne, mais qui peuvent demeurer allumées plus tard, trouveront, le cas échéant, un nouvel aliment de Moscou.
Le Nonce m’a dit aussi, incidemment, que Sir George Clerk, Ambassadeur de Grande-Bretagne, s’emploie actuellement «à le rechercher». Il est évident que l’action médiatrice du Saint-Siège peut toujours utilement se déployer. Le fait est que le retour du Nonce à Paris a coïncidé avec les premiers signes avant-coureurs d’une détente. Vous avez remarqué que, d’après de récentes publications de «L’Osservatore Romano», la diplomatie pontificale paraîtrait favorable à des négociations entre les grandes Puissances européennes intéressées, négociations dont le résultat serait simplement enregistré par la S.d.N.8
La mise en œuvre des sanctions par la France ne préoccupe pas trop, à l’heure actuelle, l’opinion générale. Avec un certain optimisme, on se réjouit du nouveau délai qui a été fixé à Genève. M. Massigli me dit, d’ailleurs, que les mesures d’exécution à prendre par la France ne sont pas encore définitivement arrêtées et qu’elles ne seront peut-être édictées qu’au moment même où la délégation française se rendra à nouveau à Genève.
- 1
- Rapport politique: E 2300 Paris, Archiv-Nr. 88.↩
- 2
- Annotation marginale de Motta: A ceci il n’y a aucun mérite. Ce «retard» était chose inévitable.↩
- 3
- Annotation marginale de Motta: Ou «échec partiel».↩
- 4
- Cf. no 145, n. 5.↩
- 5
- Mgr. L. Maglione.↩
- 6
- Annotation marginale de Motta: Cette influence est certaine.↩
- 7
- Annotation marginale de Motta: Ceci provient du fait que le «bossu» Rosenberg est probablement le plus intelligent des hauts fonctionnaires de Genève.↩
- 8
- Annotation marginale de Motta: Il serait à mon avis impossible de dessaisir maintenant la S.d.N.↩