Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
9. Etats-Unis
9.2. Questions politiques générales
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 64
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#1184* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 498 | |
Dossier title | Washington, Politische Berichte und Briefe, Militär- und Sozialberichte, Band 43 (1932–1934) |
dodis.ch/45985
Le Chargé d’affaires a. i. de Suisse à Washington, L. H. Micheli, au Chef du Département politique, G. Motta1
Jusqu’à une récente époque, les adversaires politiques du Gouvernement américain actuel s’étaient bornés, dans la plupart des cas, à attaquer l’un ou l’autre des collaborateurs du Président Roosevelt, comme les membres du «Trust des cerveaux», et leurs idées, projets ou actes, ainsi que certains aspects de la nouvelle législation. Du côté hostile au cours que prennent les choses aux Etats-Unis, on se met à viser plus haut. Le mécontentement créé dans divers milieux industriels par certains caractères du NIRA2 et son application par le Général Johnson, accompagné de l’agitation croissante du monde ouvrier et le déclenchement de grèves étendues dans diverses parties du pays entraînant des actes de violence, puis les effets qui commencent à se déployer de divers actes législatifs ou, au contraire, l’absence de résultats annoncés, l’idée enfin que, dans certains milieux gouvernementaux, on cherche à entraîner le pays vers une complète régimentation peu conforme au caractère traditionnel de la Constitution américaine, toutes ces manifestations, peut-on dire, ont amené les critiques à diriger leurs flèches contre le Président lui-même et sa politique. D’aucuns vont jusqu’à poser la question de savoir si le «New Deal», cet édifice nouveau hâtivement et audacieusement érigé par Mr Roosevelt, n’est pas en train de craquer sous de formidables pressions. Evidemment, les gens qui pensent ainsi se trouvent probablement principalement parmi les éléments plus conservateurs de la finance, de l’industrie et du commerce, dans la partie Est du pays, c’est-à-dire du côté de l’Atlantique. D’autre part, cependant, à l’extrême gauche aussi, on trouve des adversaires du régime actuel qui trouvent qu’il ne va pas assez loin et cherchent à l’entraîner du côté opposé. Les Etats-Unis ont aussi leurs intellectuels et semi-intellectuels bolchévisants qui seraient prêts à lancer le pays dans toutes les aventures. Certains aspects des dernières grèves, puis la nomination d’UptonSinclair, l’écrivain ex-socialiste, comme candidat démocrate au poste de Gouverneur de la Californie, démontrent que ces éléments avancés gagnent du terrain.
Numériquement, ces adversaires réunis ne se chiffreraient probablement pas par un nombre très considérable, bien qu’ils comprennent des personnes en vue dans différentes branches. En effet, ce qui précède ne signifie pas que les grandes masses se soient déjà désaffectionnées ou détachées du Président de leur choix, comme les toutes récentes élections de l’Etat de Maine le démontrent. Malgré la terrible sécheresse de cet été et les souffrances inouïes éprouvées dans les grandes régions agricoles du «Middle West» et de l’Ouest, ces masses font encore confiance, dans leur majorité, au Président et à son programme de réformes, d’assistance, de contrôle. M. Roosevelt conserve un énorme prestige auprès des classes populaires en général, auxquelles il donne l’impression de travailler pour leur cause et leur bien-être. Mais, on doit constater que, tandis que jusqu’à il y a peu de temps, personne n’osait ouvertement prendre position contre Mr. Roosevelt et sa politique générale, maintenant, tel n’est plus le cas. Ainsi s’est fondée récemment à Washington 1’«American Liberty League», à laquelle ont adhéré des personnes aussi connues qu’AlSmith, John W. Davis, Jouett Shouse et d’autres, en vue de protéger les droits constitutionnels de liberté et de propriété du peuple américain contre la régimentation et l’étatisation. Sans être directement anti-présidentielle, cette organisation a une pointe dirigée contre certaines tendances du régime actuel et Mr Roosevelt a eu quelques commentaires aimablement ironiques à son égard. L’ex-président Hoover, qui s’était tenu coi jusqu’à maintenant, vient d’envoyer deux articles au «Saturday Evening Post» réaffirmant les vieux principes républicains de liberté et d’initiative personnelles et critiquant amèrement le bilan du nouveau régime. James P. Warburg, qui appartenait, au début, au cercle des conseillers intimes du Président en matière financière et qui est bien connu en Europe, a publié successivement deux livres, dénonçant la tendance à l’inflation et à la réglementation excessive par l’Etat. Dans le premier volume, il explique pourquoi il s’est séparé du Président et expose des faits intéressants en rapport avec la Conférence de Londres, l’abandon du Gold Standard, etc. [...]
... Notons aussi le fait que l’Administration perd peu à peu l’appui de beaucoup d’hommes d’affaires, qui jusqu’à présent aimaient suffisamment certains côtés du nouveau jeu rooseveltien pour fermer les yeux sur ce qu’ils considéraient comme des défauts ou erreurs. Maintenant, ces mêmes milieux, dont la voix trouve un écho dans le grand «Journal of Commerce» de New York, par exemple, ont l’impression que, malgré certaines déclarations rassurantes de MM. Roosevelt et Morgenthau, le régime actuel tourne décidément vers la gauche sous la pression de certaines influences politiques et en vue des prochaines élections au Congrès. Dans ces conditions, ils estiment ne plus pouvoir supporter un programme qui cause du tort à beaucoup d’entre eux et sape, à leur avis, la base d’une amélioration définitive des affaires.
Un des points qui soulève le plus de controverses dans la vie pratique du pays, c’est-à-dire dans l’industrie et le commerce et les rapports entre patrons et ouvriers, est l’application de la fameuse Section 7 a du NIRA. Les quelques lignes de ce paragraphe légal ont eu une portée incalculable, on peut le dire, sur la structure sociale des Etats-Unis. On pourrait bien l’appeler boîte à Pandore. De violentes disputes et des grèves ont été déclenchées par la mise en vigueur de cette clause, dont le but fondamental est de donner aux employés le droit de s’organiser et de «négocier collectivement», c’est-à-dire de se syndiquer librement et de discuter leurs exigences à l’égard des patrons par l’intermédiaire de représentants de leur choix.... [...]
Si j’ai cru devoir entrer dans autant de détails au sujet d’un paragraphe de loi, c’est qu’à mon avis, basé sur des observations, conversations et lectures, il concrétise l’entrée de l’Amérique dans une ère sociale nouvelle. La classe ouvrière américaine commence à s’organiser, à s’agiter collectivement et, malgré le bon sens inné aux Anglo-Saxons et l’éloignement pour les idéologies creuses et de froide violence, à écouter par endroits et par moments la voix d’agitateurs communistes. Ceux-ci manœuvrent avec beaucoup de prudence et d’habileté, mais on sent leur action dans toutes les grèves. Les syndicats prennent davantage conscience d’euxmêmes et de leur force. Bref, il s’est introduit dans le phénomène américain un élément guère nouveau en Europe, mais peu connu dans cette grande démocratie ploutocratique: l’agitation ouvrière consciente, la lente organisation nationale des masses travailleuses dans la lutte pour le maintien ou la hausse des salaires, la diminution des heures de travail, la liberté syndicale. Quel rôle attribuer, dans cette transformation du phénomène Amérique, au Président Roosevelt luimême? Sur ses qualités de vaillance morale, son esprit d’initiative, son idéalisme, la séduction et le charme de sa personne aimable et intelligente, tout le monde est d’accord. Mais, l’homme et l’œuvre politique? Selon les uns, c’est le grand Président qui sauvera les Etats-Unis et le monde, réalisateur d’un messianisme américain nouveau, défenseur des «petits» contre «les gros», le réformateur, le guide animateur, le vrai démocrate. Pour d’autres, Roosevelt c’est le génie de l’ambigu; contradictoire, ondoyant, vacillant, opportuniste, vivant au jour le jour d’expédients coûteux, il entraînerait le pays vers l’abîme, environné de dangereux professeurs socialisants; gaspilleur des fonds publics, disent ces voix hostiles, il laisse son grand agent électoral, Jim Farley, gagner des voix à coup d’emplois et de manne, «tammanyser» le pays. Bref, l’élément «tory» voit en lui le Kerensky des Etas-Unis. Et d’autres, enfin, plus détachés, pensent qu’il y a à la Maison Blanche un sympathique Gentleman-homme d’Etat, travailleur et entreprenant, mais un peu amateur, doué d’une désinvolture et d’un flair politique peu communs, artiste de la diversion, virtuose de la manœuvre de grand style avec, au fond, un sens élevé de justice sociale. Puis, ce don profond de comprendre les masses et les individus, de s’en faire aimer, et de les intéresser, de les mener là où il veut. Peut-être, ces trois manières de voir sont-elles aussi justifiées l’une que l’autre. L’avenir prochain dira si Mr Roosevelt pourra rester maître des hommes et du cours des choses ou si les faits et les éléments seront plus forts que lui.
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United States of America (USA) (Politics)