Language: French
15.3.1934 (Thursday)
CONSEIL FÉDÉRAL Procès-verbal de la séance du 15.3.1934
Minutes of the Federal Council (PVCF)
Le Conseiller fédéral J.-M. Musy présente un projet de programme d’assainissement économique. Il demande au Conseil fédéral de se prononcer en sa faveur dès le lendemain. L’ultimatum de J.-M. Musy est refusé.

Également: Projet de programme du Chef du DFD. Annexe de 15.3.1934
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Jean-Claude Favez et al. (ed.)

Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 20

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Bern 1989

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dodis.ch/45941
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 15 mars 19341

485. Programme de M. le Conseiller fédéral Musy

Verbal

M. le président2 communique que la conférence de lundi dernier (voir le procès-verbal de la séance du 12 relatif à la démission de M. Hâberlin)3 s’est séparée sans résultat. Depuis lors, le bruit de la démission de M. Musy a circulé dans les couloirs du parlement4, et la nouvelle s’est répandue dans la presse. Devant l’insistance de ses amis politiques, M. Musy a finalement déclaré qu’il pourrait renoncer à donner sa démission si le Conseil fédéral acceptait un programme économique et financier dont M. Walther, président du groupe catholique-conservateur des chambres, a remis un exemplaire au président de la Confédération. Les groupes parlementaires se réunissant ce soir pour discuter le remplacement de H. Hâberlin, il faut que la question soit élucidée d’urgence, car une seconde démission mettrait les chambres en présence d’une situation nouvelle.

M. le chef du département des finances et des douanes expose les raisons qui l’ont conduit à déposer son projet de programme (annexe).5 Il constate que malgré l’adoption du programme financier les comptes de cette année se solderont de nouveau par un déficit. En outre la situation des chemins de fer fédéraux ne s’améliore pas, l’exercice courant se soldera comme celui de l’an dernier par un déficit de 50 millions, sans parler des constructions, qui absorberont un chiffre égal. Ainsi, à la fin de 1934, les dettes des CFF auront augmenté de 200 millions par rapport au début de l’an dernier. Comment couvrir ces déficits? Il est difficile de demander un nouvel effort fiscal au pays, alors que l’exécution complète du programme financier (impôt sur les boissons) se heurte déjà à de très sérieuses difficultés. D’autre part, le chômage coûte trop cher, tant pour les cantons et les communes que pour la Confédération. Le gouvernement neuchâtelois calcule qu’après un effort de compression maximum, le déficit se maintiendra aux environs de 8 millions par an. D’autres cantons sont également dans une situation grave. Il est impossible de continuer dans la même voie. Si l’on ne peut réduire les dépenses, il faut qu’on en tire un profit pour la communauté. Le système des subventions doit être en outre modifié de fond en comble; il faudra examiner si, avec un groupement différent, on ne pourra pas obtenir les disponibilités nécessaires.

Les dangers que l’état actuel de la balance des paiements fait courir à notre change ressortent de l’exposé fait par M. le directeur Bachmann à l’assemblée des actionnaires de la banque nationale. Les recettes du tourisme et les intérêts de nos placements à l’étranger ne suffisent plus à compenser le déficit de cette balance, et il faut aviser avant qu’il soit trop tard. De louables efforts ont été faits pour améliorer le bilan de nos échanges. Mais pour aboutir à un résultat décisif il faut répudier franchement la clause de la nation la plus favorisée et recourir aux tarifs préférentiels plutôt qu’au contingentement et à la limitation des importations. Et surtout, il faut réduire les frais de production. L’écart entre la courbe des prix de gros et des prix de détail subsiste. Depuis huit mois, l’index des prix de détail est figé, et pendant ce temps le bénéfice des intermédiaires demeure considérable. Non pas qu’il augmente par individu, mais le nombre des intermédiaires va progressant (à Genève on compte 5000 magasins de détail contre 3000 il y a quelques années). En décembre 1931, M. Musy a réclamé une baisse des prix de la vie. Mais on n’a pas compris alors l’importance de cette mesure, et depuis les prix ont baissé sensiblement en Allemagne et en Italie. Aujourd’hui on doit reconnaître que l’adaptation des prix est le seul moyen d’éviter la baisse du franc. Le Conseil fédéral devra donc résolument demander des pouvoirs pour organiser la baisse des prix.

Le Conseil fédéral devra en outre étudier une organisation de notre vie économique sur la base professionnelle, seul moyen de mettre un peu d’ordre dans ce domaine et de faire cesser la guerre stérile qui épuise le pays. Il faut sortir de l’anarchie économique et décongestionner l’Etat. Sinon l’interventionnisme se traduira par une augmentation de la fiscalité qui finira par écraser notre économie nationale.

Le vote populaire de dimanche dernier6 ne doit pas faire perdre courage au Conseil fédéral. Nous avons l’obligation d’être encore plus rigoureux que par le passé à l’égard des étrangers. On aurait pu songer à donner au Conseil fédéral des pouvoirs lui permettant de mettre en vigueur les dispositions rejetées par le peuple. Mais cette question n’est pas du domaine du département des finances et des douanes.

Si le Conseil fédéral peut adhérer au programme ainsi esquissé, M. Musy n’aura aucune raison de le quitter. Sinon il estimerait préférable de se retirer.

M. le président demande à M. Musy s’il pense laisser au conseil le temps d’examiner son programme ou s’il demande qu’une résolution soit prise sans tarder.

M. le chef du département des finances et des douanes demande que le conseil déclare demain au plus tard s’il est d’accord sur les grandes lignes de son programme.

M. le chef du département de justice et police déclare ne pouvoir admettre qu’un membre du conseil dépose un programme et menace de se retirer s’il n’est pas accepté dans les vingt-quatre heures. Un tel procédé est incompatible avec la dignité et le prestige du Conseil fédéral. M. Hâberlin comprendrait que le chef du département des finances et des douanes réclame la mise à l’étude de son programme et se réserve, si le résultat de cette étude n’est pas conforme à ses désirs, de se retirer. Il le prie instamment, dans l’intérêt d’une féconde collaboration gouvernementale, de donner une déclaration dans ce sens. Si M. Musy maintenait son point de vue, il devrait refuser de discuter les détails du programme.

M. le président est reconnaissant au chef du département de justice et police de son intervention, car nul ne pouvait, mieux que lui, exposer les hésitations et les craintes qui animent les membres du conseil. M. Musy comprendra sans doute que ce langage est celui de la raison et qu’il doit laisser à ses collègues le temps de réfléchir à ses propositions sans être mis sous une pression. Au nom du conseil et dans l’intérêt du pays, il demande à M. Musy de se déclarer satisfait si son programme est mis a l’ordre du jour du conseil.

M. le chef du département des finances et des douanes désire savoir d’ici à lundi au plus tard7 si le conseil est d’accord sur les grandes lignes de son programme.

M. le chef du département de l’économie publique s’associe aux paroles de M. Hâberlin. Il ne peut discuter un programme sous une menace de démission. M. Musy doit reconnaître que le conseil a discuté en parfaite objectivité son programme financier et qu’une entente s’est établie sans heurts, dans un esprit de saine collaboration. Son nouveau programme contient nombre de choses justes, mais il n’est pas un seul point qui puisse être discuté en une seule séance. En sa qualité de chef du département de l’économie publique, il doit d’ores et déjà se réserver de faire des propositions sur plusieurs articles. Il ne s’agit pas d’une opposition de principe, mais on ne saurait improviser en une matière aussi grave, et l’étude en question demandera plusieurs mois. Le vœu de tous les membres du conseil est de sauver le pays par un acte collectif. Ils sont prêts à examiner consciencieusement le programme de M. Musy, mais ils prient instamment celuici de renoncer à sa démission.

M. le président considère comme une impossibilité d’examiner le programme de M. Musy d’ici à lundi et il le prie, par un appel pressant, amical et patriotique, de laisser au conseil le temps de réfléchir et de s’entourer des renseignements nécessaires. Si, en juin, le conseil n’a pas donné les apaisements attendus par M. Musy, celui-ci sera libre d’en tirer les conséquences.

M. le chef du département politique s’associe de tout cœur à l’appel du président, au nom de son amitié personnelle pour M. Musy. Celui-ci doit comprendre qu’en demandant au conseil de se prononcer immédiatement il le place dans une situation qui n’est pas digne d’un gouvernement. M. Motta le prie instamment de prononcer le mot libérateur.

M. le chef du département militaire constate que le programme contient des points importants, sur lesquels il est impossible de se prononcer sans une discussion approfondie. M. Musy pourrait se contenter de la promesse de ses collègues d’entreprendre cette discussion.

M. le chef du département de l’intérieur s’associe à cette manière de voir. Il exprime en outre le vœu que le programme ne soit ni publié ni communiqué à des membres de l’Assemblée fédérale.

M. le chef du département des finances et des douanes se déclare d’accord de ne donner aucune publicité à son programme tant que le conseil ne se sera pas prononcé. Pour le surplus, il demande à réfléchir jusqu’à demain matin.8

M. le chef du département de justice et police prie M. Musy de donner immédiatement la réponse que lui demandent tous ses collègues. En octobre dernier, il avait donné sa démission en raison de l’attitude prise par M. Musy dans la question du programme financier8. Il l’a retirée alors par solidarité. Il demande aujourd’hui à M. Musy de faire de même. Si M. Musy ne donne pas aujourd’hui la réponse attendue, le conseil aura le droit de dire qu’un de ses membres à porté atteinte à sa dignité.

M. le chef du département des finances et des douanes ajourne sa réponse à demain.

1
E 1004 1/345.
2
Pilet-Golaz.
3
Cf. no 18.
4
En outre, le 14 mars, le conseiller national Reinhard a déposé une petite question concernant un incident survenu en caserne l’année précédente au fils du Chef du Département des Finances et des Douanes. Le Conseil fédéral répond le 16 déjà à l’interpellateur(E 1004 1/345, PVCF 0 493 du 16 mars 1934).
5
Cf. annexe au document.
6
Lerejeten votation populaire, le 11 mars, de la loi sur la protection de l’ordre public (cf. no 18).
7
Soit le 19 mars.
8
Le lendemain, J. M. Musy, constatant que la presse, informée malgré tout, parle de l’ultimatum qu'il a posé au gouvernement, annonce à ses collègues que pour apaiser les esprits il ajourne sa détermination définitive jusqu'au moment où le Conseil fédéral aura pris position sur ses propositions. Dans le communiqué publié dans ce sens, le président de la Confédération, à la demande exprès du collège gouvernemental, dément que le Chef du Département des Finances et des Douanes ait posé un ultimatum (E 1004 1/345, PVCF no 487 du 16 mars). Le 22 mars, J. M. Musy confirme sa démission, n'ayant pas obtenu ce qu'il demandait.