Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 11, doc. 17
volume linkBern 1989
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1534#1943* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1534 103 | |
Dossier title | Schweiz. fascistische Gruppen in Italien, I (1933–1935) | |
File reference archive | B.46.30 • Additional component: Italien |
dodis.ch/45938
J’ai l’honneur d’accuser réception de votre lettre du 5 mars2 et vous remercie des renseignements complémentaires que vous me donnez sur Tomarkin. J’ai bien reçu aussi votre lettre du 6 mars3 avec de nouvelles instructions concernant mon entretien avec M. Mussolini. Je vous remercie également de votre lettre personnelle du 5 mars4, qui m’a été très précieuse, et je vous confirme mon télégramme d’hier soir no 45.
En sortant du Palazzo Venezia, à 6 h. 30, il ne m’a pas été possible, par suite d’autres engagements, de vous écrire.
Ce long entretien de près de 50 minutes m’a laissé assez perplexe. Vous verrez pourquoi. L’accueil du Duce fut aimable comme toujours; il m’a fait observer qu’il ne m’avait pas vu depuis longtemps. Je lui ai dit alors que mon Gouvernement tenait à ce que je lui explique bien nettement sa manière de voir à l’égard de la création de faisceaux au sein de nos colonies. Ce n’est pas le principe du fascisme qui est en discussion; c’est une règle absolue de recommander à nos compatriotes à l’étranger de s’abstenir de toute agitation politique.
J’ai dit ensuite tout ce que j’avais à dire sur l’inopportunité de ce mouvement et la désorganisation qu’il apportait au sein de nos colonies. Sans lui demander de prendre des mesures contre certains individus, j’ai tenu cependant à lui représenter combien ma situation deviendrait difficile si dans des assemblées auxquelles participent des Italiens, dans un local offert par une association italienne, on se permet de vilipender le Gouvernement fédéral et d’exciter contre lui l’opinion de nos ressortissants. Le Conseil fédéral est certain que le Chef du Gouvernement italien ne saurait approuver de pareils faits et j’ai exprimé le vœu que cette désapprobation se manifeste publiquement.
Le Duce m’a écouté avec la plus grande attention. Il m’a posé diverses questions sur nos colonies et sur les manifestations qui venaient d’avoir lieu. Mais j’ai pu me convaincre qu’il était parfaitement renseigné sur l’assemblée de Rome6 et sur le nombre des fascistes suisses inscrits ici et à Florence. On peut être surpris qu’il retienne de pareils détails à l’heure où toute l’Europe défile dans son bureau pour de si considérables affaires.
Il m’a déclaré: «Je vais faire savoir immédiatement aux préfets du Royaume que je ne désire pas la constitution de nouveaux ”fasci„». Je l’ai remercié et lui ai demandé de rendre publique cette décision. Je lui ai lu à ce propos quelques lignes de votre lettre personnelle7, en lui marquant le vœu que vous formuliez de faire savoir à l’opinion suisse que, de toutes façons, il ne désirait pas ces formations au sein de nos colonies. Il s’est alors mis à sa table et a commencé à rédiger un communiqué tout en me posant encore certaines questions sur les faisceaux suisses constitués en Italie. Puis soudain il s’est levé et m’a dit: «Ne dramatisons pas cette affaire, elle n’en vaut pas la peine», («non drammatizziamo la faccenda, non ne vale la pena»), et il a ajouté qu’il voulait encore se renseigner auprès de ses propres agents sur l’activité de ces groupements avant de prendre une décision qu’il ne manquerait pas de me communiquer.
J’avais cru tenir une promesse certaine et qui dépassait nos espérances, et maintenant j’avais l’impression que tout allait être remis en question. Impression peut-être fausse, mais vous vous souvenez de l’affaire des indemnités aux Suisses lésés par la guerre8. Je veux croire, cependant, que le Duce maintiendra sa décision d’avertir les préfets qu’il ne désirait pas la création de nouveaux «fasci». Pour le reste, je suis dans le doute et c’est pourquoi je vous ai dit que j’étais sorti du Palazzo Venezia assez perplexe.
Je n’ai fait que vous résumer d’une façon succincte un entretien qui a duré près de 50 minutes.
Un nouvel incident: le jeune Scanziani a adressé des menaces au correspondant de la «Neue Zürcher Zeitung»9, en annonçant même au besoin des «bastonate a sangue». Je n’ai pas manqué de rapporter ce mot à M. Mussolini. Telle est l’atmosphère qui se crée dans nos colonies et qui me vaut une quantité de lettres et de visites.
Je me demande s’il ne conviendrait pas, comme vous en aviez eu l’intention, de faire venir le Ministre d’Italie10 à Berne pour lui manifester vos sentiments personnels.
Je regrette de ne pouvoir, malgré tous mes efforts, vous donner dès aujourd’hui de meilleures nouvelles, mais je garde bon espoir dans les sentiments que le Chef du Gouvernement n’a jamais cessé de témoigner à l’égard de notre pays.
P. S. – Le Duce m’a encore fait observer que la presse avait gardé le silence complet depuis 10 jours sur les agissements de nos fascistes suisses. C’est ce dont je vous avais déjà informé. Il m’intéressait, toutefois, de savoir que le Duce était au courant.
Il m’a encore dit que le local qui avait servi à la conférence Scanziani11 n’avait rien d’officiel; ce n’était pas un des nombreux sièges des fascistes de Rome, mais le siège d’une société privée.
Je lui ai fait voir, au cours de notre entretien, la brochure lancée par le député Arnold qui me traite de «Mussolinis Anwalt»12; ça l’a bien amusé.
Il va sans dire que, dans tout ce qui précède, il n’y a aucune communication quelconque à faire à la presse: je me permets d’attirer instamment votre attention sur ce point.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 4/103. Annotations marginales de G. Motta: Confidentiel. Télégramme du 8 mars déjà communiqué au Cfonseil] î [édéral]le 9 mars.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Non reproduit.↩
- 4
- Cette lettre a la teneur suivante: Vous avez sans doute reçu les instructions officielles que j’ai eu l’honneur de vous envoyer au sujet de la conversation que vous devez avoir avec M.le Président Mussolini. J’ai parlé hier encore de cette délicate affaire à mes collègues à la séance du Conseil fédéral. Celui-ci approuve entièrement les instructions que je vous ai données. Il attache une très grande importance à ce que vous obteniez de M. Mussolini qu’il fasse comprendre à l’opinion publique italienne – et par là aux Suisses établis en Italie – qu’il ne désire pas la constitution de fasci suisses en Italie. Je suis persuadé que, si M. Mussolini se décide à faire une déclaration de cette nature et de cette portée, les fasci suisses en Italie disparaîtront. Il est essentiel, je crois, de lui faire comprendre que le mouvement fasciste suisse en Italie jette le trouble dans nos colonies et les désorganise. Il est non moins essentiel de lui faire saisir que le mouvement fasciste en Suisse renforce les positions socialistes et qu’il ne pourrait aboutir – si jamais il réalisait des succès appréciables, ce que je considère comme exclu – qu’à prendre les formes de Y hitlérisme. Or l’Italie ne peut souhaiter ni l’un ni l’autre de ces résultats.[...] (J.1.1.1/28).↩
- 5
- Non reproduit.↩
- 6
- Cf. no 15.↩
- 7
- Cf. n. 3 ci-dessus.↩
- 8
- Cf. E 2001 (C) 4/110.↩
- 11
- Cf. no 15.↩
- 12
- Ils’àgit de la brochure publiée en février par le Komitee zur Befreiung Hofmaiers, intitulée: Hofmaier klagt an. Sur K. Hofmaier, arrêté en octobre 1927 en Italie en tant qu’agent du Komintern, cf. DDS vol. 9, no 466, dodis.ch/45483. En octobre 1934, K. Hofmaler sera amnistié et expulsé d’Italie (E 2001 (C) 3/86).↩