Classement thématique série 1848–1945:
II. RELATIONS BILATÉRALES
12. Grande-Bretagne
12.3. Questions politiques générales
Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 213
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#478* | |
Old classification | CH-BAR E 2300(-)1000/716 228 | |
Dossier title | London, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 26 (1932–1932) |
dodis.ch/45755
Nous sommes au début de l’hiver et ce moment-là est infailliblement un point tournant. L’an dernier, nous espérions que la «sous-crise» d’automne - on pourrait l’appeler «tributaire» de la grande crise qui, hélas!, dure pendant toute l’année - était le point tournant définitif. Nous nous sommes trompés, car les douze mois qui se sont écoulés depuis lors n’ont, en vérité, amené aucune amélioration. Tout au plus ont-ils permis aux peuples de mieux s’habituer aux temps mauvais et d’apprendre à réagir quelque peu contre les accès de panique. Les problèmes et les difficultés comme tels sont toujours là et n’ont pas changé - à moins qu’ils ne soient devenus encore plus sérieux. Ainsi, nous avons une souscrise d’automne des plus belles.
Londres s’en ressent. On observe depuis quelques semaines un état d’esprit et de nervosité qui contraste passablement avec celui des huit premiers mois de l’année. Tout dernièrement, cette nervosité s’est encore accentuée. En comparant avec les précédents des trois années de crise passées, on est enclin à penser qu’avec le progrès de l’hiver le calme renaîtra peu à peu, mais actuellement on ne voit pas encore des indices d’un revirement. Il y a en effet trop de préoccupations à la fois, trop de questions de première importance mises simultanément sur le tapis de l’actualité, trop peu de perspectives encourageantes d’arriver à les résoudre. Les voici: désarmement, dettes de guerre, conférence économique mondiale, problème de la livre sterling, politique protectionniste, chômage, finances d’Etat, Inde, Irlande. Quelques-uns concernent le monde entier, d’autres l’Empire, d’autres encore la Grande-Bretagne spécialement. Excepté peut-être la politique économique impériale, dont après le passage de l’«Ottawa Act»2 on escompte un grand succès, aucun des problèmes ne présente un aspect encourageant. C’est ainsi qu’on commence l’hiver en Angleterre dans une «Stimmung» qui décidément manque d’entrain. C’est fâcheux, car pour tout ce qu’il y aura à faire, il faudrait beaucoup d’entrain!La question qui momentanément inquiète le plus est certes celle des dettes de guerre. De toutes les difficultés internationales, elle affecte le plus directement l’organisme de la nation, tant matériellement que psychologiquement. En comparaison avec ce problème, celui du désarmement, par exemple, est d’intérêt secondaire. Vous voudrez bien trouver ci-annexé le texte de la note britannique3 remise au Président Hoover. Ce texte a été présenté incessamment au Parlement sous forme de Livre blanc. Que le Gouvernement n’ait pas différé cette publication jusqu’à ce que la réponse américaine puisse également y figurer, est certainement significatif. La démarche en elle-même est pour l’Anglais une mauvaise pilule à avaler. Encore si on avait une idée approximative de ce qui va en fin de compte en sortir. Mais comment le saurait-on, quand cela dépend uniquement de Washington et qu’aux Etats-Unis les choses se trouvent être dans un état de confusion complet? On n’a eu qu’à suivre jour par jour les télégrammes d’Amérique, dont pas deux ne disent la même chose, pour se rendre compte des conflits qui y font rage par rapport à la suite que le Président et le Congrès devront donner à la proposition britannique.
C’est une situation que l’Anglais ne supporte qu’avec peine. Elle blesse son amour-propre et pourtant il sent que, si déplaisant que ce soit, il faut faire une tentative pour arriver à une nouvelle suspension des payements échéant le 15 décembre4. Et il n’y a pas d’autre voie pour y parvenir que cette espèce de chemin de Canossa, où tout dépend de la grâce du Yankee. Certes, il y a une foule d’arguments qui parlent du point de vue américain en faveur de la suspension, mais malheureusement la logique commune ne compte que peu dans les péroraisons des «Congressmen» et Sénateurs qui sont habitués à se servir de leurs appareils personnels de plate-forme.
Dans ces conditions, tout ce qui reste à l’Anglais pour sauver sa fierté est la décision de payer s’il essuie un refus. Et cette décision, on l’assure, existe et sera, s’il le faut, exécutée.En attendant, l’incertitude embarrassante amène des fâcheuses fluctuations de la livre sterling5. Toute information indiquant une attitude défavorable autour de la Maison Blanche, cause une baisse du change, contre laquelle Londres est forcé de réagir par des remèdes coûteux. Les fluctuations atteignant par moments une marge considérable, cet état de choses ne devra pas trop durer. Il paraît certain que la baisse «de record» de vendredi dernier ($ 3.26) a dû être arrêtée, ou du moins corrigée à $ 3.30, par intervention officielle.
Dans pareil cas, l’intervention se fait moyennant l’«Exchange Equalisation Fund», instrument créé par le «Finance Act 1932» pour la régularisation, en cas de besoin, du cours de la livre. Ce fonds de cent cinquante millions de livres sterling a servi pour acheter des monnaies étrangères et possède aujourd’hui, à ce qu’on affirme, les quatre-vingt-quinze millions de dollars couvrant le payement du 15 décembre. Si donc ce payement est demandé par Washington, le «Exchange Equalisation Fund» disposera pour ses futures opérations, de quatrevingt-quinze millions de dollars de moins qu’actuellement, mouvement qui ne manquera pas de peser directement sur le cours de la livre.En ce qui concerne les délibérations à Genève sous la présidence de Mr. Henderson6, vous êtes, Monsieur le Président, mieux renseigné que moi7. Le plan français8 n’a pas eu une bonne presse à Londres. On reconnaît la sincérité de l’effort, on admet la composition logique et l’adresse de l’artisan qui l’a construit, mais pour la conception britannique, la complexité de ce projet constitue un défaut organique qui est fatal dès l’abord. A part le fait que certains instruments introduits dans le plan Herriot (commission pour indiquer l’agresseur, majorité au Conseil décidant des mesures militaires et navales à prendre, etc.) ont été immédiatement déclarées inacceptables, l’Anglais en se voyant en face d’un mécanisme aussi compliqué et, selon lui, impraticable, n’a pas vraiment eu la patience de l’étudier.
D’autre part, Sir John Simon9 a remporté un succès unanime auprès de toutes les fractions, y compris ses adversaires fervents, les socialistes les plus radicaux. Je joins à ce rapport le livre blanc publié le lendemain de sa déclaration. Relevons spécialement que le retour de l’Allemagne10 à la table de la Conférence est, sans réserve, considéré ici comme la chose la plus importante du moment. D’aucuns vont jusqu’à dire que sans ce retour, la cause est irrévocablement compromise. Sans que cependant cette opinion soit celle de la majorité, on admet généralement que si ce but est atteint, cela vaudra bien des messes de la part des autres participants. En même temps on n’ose se faire des illusions sur l’attitude de la France en laquelle on voit maintenant le dernier et unique obstacle.
Pourtant, cela ne veut pas dire qu’on prend ici une vue favorable quant aux résultats à espérer, même dans le cas où on réussirait à regagner la collaboration allemande. Au contraire, en voyant l’interminable difficulté qu’il y a à établir, même partiellement, une entente entre les participants en général, on commence à se lasser de suivre les développements et d’en évaluer les possibilités. J’ai assisté à quelques banquets et réunions convoqués par rapport au désarmement. J’y ai entendu les discours de nombreux champions de la cause, tels que Lord Cecil, Sir Austen Chamberlain, le Professeur Gilbert Murray, des Membres des deux Chambres du Parlement, etc. et j’ai pu constater que l’atmosphère qui domine dans les échanges de vue à Genève est loin de les rassurer.La récente tournure prise par les événements concernant la Conférence économique mondiale11 est pour Londres, également une source de déception. Le Premier Ministre qui est l’instigateur de cette idée en a toujours été fier et il y attachait de réels espoirs. Les conclusions du Comité préparatoire des experts ont été soumis ici à une critique sévère et on a compris sans peine que Sir John Simon, en sa qualité de Président du Comité d’organisation de cette Conférence aura une tâche très difficile en soutenant les vues du Cabinet britannique. Mr. MacDonald a toujours poussé à une réunion aussi prochaine que possible de la Conférence et dernièrement encore, il s’est prononcé en faveur d’une convocation pour avant Noël. Il est clair aujourd’hui que ceci est exclu. Il y a ici encore de vagues espoirs que la date de la réunion pourra être fixée à fin janvier, mais tout porte à penser qu’il n’en sera guère question avant avril ou mai. Dans cette affaire une controverse entre les pays qui ont abandonné l’étalon-or et ceux qui l’ont conservé paraît créer une situation défavorable et cette difficulté menace de devenir d’autant plus gênante qu’elle touche à un point particulièrement sensible pour l’Angleterre.Le Parlement élu il y a un an sous le signe de la coopération nationale a été prorogé le 17 novembre par le discours du Trône, dont le texte est annexé à ce rapport. Après quelques jours de vacances la nouvelle Session sera ouverte par le Roi en personne, mardi prochain, le 22 novembre.
Ce court intervalle a procuré tout juste un week-end de repos au Premier Ministre. Ce n’est un secret pour personne que Mr. MacDonald aurait besoin de plusieurs semaines ou même de quelques mois de relâche pour se remettre des fatigues causées par une activité intense et exagérée. Son état de santé inspire des inquiétudes, d’autant plus que ce n’est qu’avec la plus grande peine qu’on peut l’amener à se ménager. On essaye par tous les moyens de lui faire comprendre que son activité pourrait facilement se restreindre et Lord Cecil vient de donner une conférence devant les étudiants d’Oxford où il exposa que les fonctions du Premier Ministre, telles qu’elles sont fixées actuellement représentent une charge bien trop lourde pour pouvoir être supportée par un seul homme, même possédant une santé parfaite, une énergie inlassable et des capacités de travail exceptionnelles. Selon lui, il faudrait d’urgence une réorganisation de l’office du Chef du Gouvernement, qui devrait s’entourer de collaborateurs de premier ordre, attachés spécialement à sa personne. Naturellement, cette suggestion a été faite directement à l’adresse de Mr. MacDonald et avec intention la presse en a fait grand cas. Il est clair que tous les milieux du parti gouvernemental sont d’accord sur la nécessité de conserver Mr. MacDonald à la tête du Cabinet, comprenant que sa retraite, en pleine crise mondiale et dans les conditions actuelles de la Grande-Bretagne et de l’Empire, serait un désastre qu’il s’agit d’éviter à tout prix. Or, pendant ces dernières semaines, Mr. MacDonald a montré à plusieurs occasions des signes évidents de fatigue et s’il ne se soigne pas sérieusement, cela pourrait avoir des suites regrettables pour lui-même et pour son parti.
- 1
- E 2300 London, Archiv-Nr. 26. RPW 23 Aspect général vu de Londres. Remarque manuscrite de Motta: Très intéressant à lire.↩
- 2
- Du 21 juillet au 20 août 1932, une conférence économique impériale s’est réunie à Ottawa. La Grande-Bretagne y a signé une série d’accords de commerce bilatéraux avec les différents Dominions. Le 15 novembre, la Chambre des Lords, après la Chambre des Communes, a voté les résolutions financières nécessaires à la mise en vigueur des accords d’Ottawa (Ottawa Agreements Bill).↩
- 3
- Du 10 novembre 1932. Dans cette note le Gouvernement anglais demandait aux Etats-Unis une suspension du prochain versement de la dette de guerre anglaise, dont l’échéance était fixée au 15 décembre suivant.↩
- 4
- Cf. n. 3 ci-dessus.↩
- 5
- Sur la dévaluation de la livre, à la suite de l’abandon de l’étalon-or par la Grande Bretagne, cf. no 102.↩
- 8
- Cf. no 222.↩
- 9
- Ministre des Affaires étrangères. A remplacé Henderson dans le nouveau cabinet MacDonald (national) du 25 août 1931.↩
- 10
- l’Allemagne avait quitté la conférence du désarmement le 16 septembre précédent parce qu'elle estimait que l’égalité des droits ne lui était pas accordée. A partir du 14 décembre 1932, l’Allemagne participera à nouveau aux discussions de Genève.↩
- 11
- Cf no279.↩
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