M. Lebrun, Président du Sénat, à côté de qui je déjeunais aujourd’hui même, m’a confié ses inquiétudes sur la tournure que pourrait prendre la Conférence du Désarmement.
Ce qui alarmait ce parlementaire lorrain, ce n’était pas la perspective de nouvelles batailles en Extrême-Orient, mais l’attitude de l’Allemagne. «Le Reich, me disait-il, voudrait désarmer la France, sous le prétexte qu’il a lui-même renoncé à tout appareil guerrier. Or, surtout depuis les révélations de M. Eccard2 et du Général Bourgeois3, la France ne croit plus à ce que disent les Allemands. La Conférence de Genève4 pourrait donc se trouver en présence de problèmes et de décisions fort graves, car, si l’Allemagne nous y oblige, nous n’hésiterons pas à demander qu’une enquête sérieuse soit entreprise aux fins d’établir dans quelle mesure elle s’est conformée aux clauses militaires, navales et aériennes contenues dans la Partie V du Traité de Versailles. Et, selon les décisions qu’une telle demande pourrait inspirer à la Conférence, il n’est pas impossible que la Société des Nations voie certains de ses membres lui fausser compagnie».
Ces déclarations de M. Lebrun m’ont paru d’autant plus significatives que, quelques minutes plus tard, un Officier de la Maison militaire du Président de la République venait annoncer à M. Doumer5, présent lui aussi à ce déjeuner, la mort inopinée de M. Aristide Briand.
Qu’un homme aussi pondéré que M. Lebrun6 exprime des appréhensions sur l’avenir de la Ligue de Genève, à l’instant même où disparaît un des artisans du nouvel ordre international, cela ne laisse pas d’être assez impressionnant.