Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 10, doc. 48
volume linkBern 1982
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2001C#1000/1532#1130* | |
Old classification | CH-BAR E 2001(C)1000/1532 38 | |
Dossier title | Antifaschistischer Propagandaflug über Mailand (1930–1930) | |
File reference archive | B.46.28 • Additional component: Italien |
dodis.ch/45590
J’ai l’honneur de vous confirmer ma lettre du 18 de ce mois2 concernant l’affaire Bassanesi.
Les termes du jugement3 m’ont été téléphonés de Bellinzona samedi aprèsmidi. Le soir, aucun journal romain n’en disait mot. Les feuilles de dimanche matin publiaient la nouvelle suivant une dépêche d’agence, et sans aucun commentaire. Ce matin, lundi, les journaux ne paraissent pas; il nous faudra attendre à ce soir pour avoir peut-être quelques impressions de l’opinion officielle. Il se peut aussi qu’on m’appelle au Palais Chigi, comme cela est arrivé souvent.
Cette opinion, vous le pensez bien, ne peut pas être satisfaite ni des manifestations qui ont accompagné le procès ni de sa solution. Malgré la grande autorité du président4 et toute la souple intelligence qu’il a déployée afin d’empêcher que ces débats ne dévient sur un terrain uniquement politique, on n’a pas pu empêcher les accusés, et surtout les avocats, de faire le procès du régime italien. L’idée que certains actes commis chez nous et dirigés contre une nation voisine, peuvent porter un grave préjudice à la Suisse et à ses ressortissants, ne les a jamais abordés. «Non ci avevo pensato», a répondu un des complices lorsque le président lui a posé cette question. Nous retrouvons là un état d’esprit qui est très particulier à notre pays: le patriotisme n’y est certainement pas inférieur à celui des peuples voisins, mais on demeure chez nous plus facilement étranger à certaines considérations d’ordre international.
Vous aurez trouvé aussi, j’en suis certain, que l’éternelle évocation du rôle de la Suisse à l’époque de Mazzini luttant contre la domination autrichienne, n’a aucun fondement historique et ne justifie en rien les menées des fuorusciti italiens en Suisse, avec le secours de citoyens suisses, dirigées contre un gouvernement italien qui a pour lui des millions de suffrages.
En notant la modération de la peine infligée et l’absolution complète de tous les complices, dont plusieurs sont fonctionnaires, et dont l’un est même un magistrat de l’ordre judiciaire5, je pense à ce que me disait Mussolini le 18 juillet de cette année6: «Je considère cette affaire Bassanesi comme très grave (molto grave); elle nous démontre qu’un avion étranger peut survoler impunément la zone soi-disant inviolable des fortifications suisses et venir jeter sur Milan aujourd’hui des manifestes et demain peut-être des bombes.» Et il ajoutait: «Nous avons pris des mesures en conséquence...».
Le Duce avait tenu à souligner l’importance, en quelque sorte militaire, de cette entreprise. C’est ce que les journaux italiens ne diront très probablement pas. Mais cet argument sera soigneusement enregistré au Palais Chigi et au Ministère de la Guerre, et l’on saura s’en servir à l’occasion.
Nous ne pouvons que souhaiter maintenant que le silence se fasse sur cette déplorable affaire, et que le Gouvernement italien sache reconnaître la parfaite correction déployée à cette occasion par le Gouvernement fédéral7.
- 1
- Lettre: E 2001 (C) 2/38. Remarque marginale de Motta: Plusieurs des points de vue développés sont inexacts. La peine a été sévère. Les journaux italiens louent eux-mêmes, après la sentence, l’attitude de la Cour. 26. XI. 30.↩
- 2
- Non reproduit.↩
- 3
- Bassanesi condamné à 4 mois de prison sous déduction de la détention préventive; acquittement pour les autres accusés. Dans sa séance du 28 novembre suivant, le Conseil fédéral, sur proposition du Département de Justice et Police du 25 novembre, décidait d’expulser de la Confédération G. Bassanesi, A. Tarchiani e C. Rosselli (E 1004 1/325).↩
- 5
- Le juge de paix C. Martignoli, propriétaire à Lodrino du terrain utilisé par Bassanesi.↩
- 6
- Cf. no 30.↩
- 7
- Cf. la lettre de réponse de Mot ta du 27 novembre suivant: [...] Nous comprenons fort bien qu’après les commentaires passionnés dont cette affaire a fait l’objet dans notre presse de langue italienne, la sentence qui vous a été téléphonée samedi ait pu vous sembler aboutir à un résultat disproportionné avec l’importance prise par ce procès. Nous pensons, toutefois, qu’après lecture de l’arrêt rendu par la Cour pénale fédérale, vous vous persuaderez que ce jugement est objectif et répond bien à la situation. Pour des considérations exclusivement juridiques, la Cour pénale a estimé devoir écarter toute possibilité de complicité en matière de contravention; elle ne pouvait donc qu’acquitter les co-inculpés de Bassanesi. On peut le regretter à quelques égards, mais il n’en subsiste pas moins qu’une sérieuse leçon a été infligée à leur légèreté par le simple fait de la procédure pénale qui a été dirigée contre eux. A l’égard de Bassanesi, la Cour pénale fédérale a prononcé une condamnation plutôt sévère. Sauf au Tessin, où les esprits s’étaient échauffés au point de s’attendre à tout, cette condamnation est même jugée draconienne par la presse d’extrême gauche. Quant aux débats eux-mêmes, il est évident que les antifascistes ont fait ce qui était en leur pouvoir pour que le procès Bassanesi devînt le procès du régime actuellement en vigueur en Italie. Il nous semble cependant que leurs efforts ont partiellement échoué et que l’atmosphère du procès de Lugano a été bien différente, à cet égard, de celle d’autres procès similaires qui ont eu lieu en France ou en Belgique, par exemple, au cours de ces dernières années. Il va de soi que l’on n’a pu empêcher les avocats des accusés de chercher une justification de leurs clients en peignant de façon appropriée aux besoins de la cause la situation en Italie et nous devons sans doute nous féliciter du mot d’ordre de silence qui a été observé, durant tout le procès, par la presse italienne. Depuis le 25 novembre, ce mot d’ordre semble toutefois moins rigoureusement observé et les échos publiés par le «Corriere délia Sera» et le «Giornale d’Italia» semblent impliquer que les éminentes qualités dont M. Soldati a fait preuve dans la conduite de cette affaire délicate ont été appréciées par le Gouvernement italien. Nous n’en souhaitons pas moins avec vous que l’oubli se fasse au plus tôt sur un incident qui aurait pu être une source de graves difficultés dans les relations entre la Suisse et l’Italie et qui s’est, en somme, liquidé dans d’assez bonnes conditions (E 2001 (C) 2/38).↩
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Italy (Others)
Bassanesi Affair (1930)