Printed in
Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 8, doc. 231
volume linkBern 1988
more… |▼▶Repository
Archive | Swiss Federal Archives, Bern | |
Archival classification | CH-BAR#E2300#1000/716#898* | |
Dossier title | Rom, Politische Berichte und Briefe, Militärberichte, Band 22 (1922–1922) |
dodis.ch/44873
Le Président du Conseil2 m’a fait savoir hier qu’il me recevrait ce matin.
Je me suis rendu à la Consulté à l’heure indiquée, et j’ai été reçu par M. Mussolini, qui m’a fait le plus aimable accueil.
J’ai commencé par lui dire toute la satisfaction que j’avais éprouvée en lisant le télégramme3 qu’il vous avait envoyé. Il m’a répondu que son ferme désir et sa ferme intention étaient de maintenir entre nos deux pays une parfaite amitié et une entière confiance. Et il a ajouté:
«Non ci devono essere questioni territoriali fra l’Italia e la Svizzera.»
Ces paroles, qu’il m’a adressées sans que j’eusse fait la moindre allusion à la question qui préoccupe en ce moment-ci l’opinion suisse, étaient sans doute dictées par le désir de M. Mussolini d’effacer complètement l’impression produite par son discours à la Chambre4, auquel M. Giolitti avait répondu de façon à nous donner entière satisfaction. M. Mussolini a ajouté encore, sans doute dans la même intention et comme pour mieux expliquer son intervention à la Chambre l’année dernière: «Pour vous parler très franchement, nous devons nous préoccuper de l’affluence de l’élément allemand dans le Tessin, cet élément pouvant finir par changer le caractère de ce pays et par créer un danger pour l’Italie, car au lieu d’avoir des amis dans le Tessin, nous pourrions y avoir des ennemis.»
Je lui ai répondu que les journalistes italiens ne distinguent pas toujours entre Suisses allemands et Allemands de l’Empire. La présence des premiers n’a rien d’anormal, tous les Suisses ayant le droit de vivre en Suisse où ils veulent et comme ils l’entendent, et la présence d’éléments suisses d’autres Cantons dans le Tessin est un fait tout naturel et qui ne saurait porter ombrage à aucun voisin.
Le Président m’a déclaré qu’il n’entendait parler que d’Allemands de l’Empire. Je lui ai répondu que le nombre de ces étrangers n’avait en ce moment rien d’alarmant, que les différences de change en avaient considérablement réduit le nombre et que, du reste, j’avais rencontré beaucoup plus d’Allemands même avant la guerre sur les bords du Lac de Garde qu’à Lugano. Mon interlocuteur s’est mis à rire et a bien voulu reconnaître que j’avais raison.
Je lui ai dit encore que, si on voulait voir un sujet d’inquiétude dans la présence d’Allemands en Suisse, on ne devait pas oublier le nombre considérable d’italiens qui vivent sur tout le territoire de la Confédération. A Genève, il y a presque autant d’italiens qu’il y a de Suisses dans toute l’Italie.
M. Mussolini m’a demandé alors des indications précises, que je lui ai fournies. Cela nous a amenés à parler de la question des ouvriers, que je lui ai exposée dans son ensemble. Il a reconnu très nettement que les ouvriers engagés pour la saison ne pouraient pas prétendre demeurer davantage. Il n’a formulé aucun grief quelconque au sujet des mesures prises à l’égard des ouvriers étrangers. Il m’a demandé des renseignements sur la crise économique et sur les perspectives d’une reprise du travail industriel en Suisse. J’ai répondu à ses questions, et me réserve de lui envoyer quelques détails complémentaires par écrit.
L’antichambre du Président était pleine de monde. A un moment donné, il a interrompu lui-même notre entretien en se levant, et, en me serrant la main, il m’a répété avec gravité et en pesant chacun de ses termes, ses paroles du début, en insistant sur sa ferme intention et sur la nécessité d’entretenir entre nos deux pays des rapports d’amitié et de confiance.
Je l’ai vivement remercié, en lui promettant de vous faire part de ses déclarations.
J’ai reçu après-midi la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire en date du 8 novembre.5 Il ne m’a donc pas été possible de transmettre au Président le message et le vœu que vous m’exprimez. Mais je compte retourner demain chez son chef de Cabinet6, avec lequel j’ai l’intention de revenir sur l’entretien qui précède, de façon à obtenir si possible quelque déclaration qui serait de nature à dissiper certaines inquiétudes.
J’insiste sur le fait que notre conversation de ce matin a été très cordiale et m’a laissé une bonne impression. Comme je vous l’ai dit plus haut, je suis convaincu que, si le Président a cru devoir aborder une question si délicate, c’était afin d’expliquer son fameux discours à la Chambre plus que pour nous adresser un avertissement quelconque.
Je vous remercie vivement de votre lettre, sur le contenu de laquelle j’aurai l’occasion de revenir. J’ajoute qu’au cours de la conversation, M. Mussolini montrait de se rendre parfaitement compte de l’utilité de la Suisse au point de vue italien, et du rôle que joue l’élément de langue italienne dans la Confédération.7
- 1
- Rapport politique: E 2300 Rome 22.↩
- 2
- Depuis le 28 octobre, Benito Mussolini.↩
- 3
- Ce télégramme fut remis à Motta par le Ministre d’Italie à Berne; le texte en en a été publié dans les journaux, le 7 novembre 1922.↩
- 4
- Cf. no 98.↩
- 5
- Non reproduite, cf. J.I. 1/1, 22.↩
- 6
- Notes en marge de G. Motta: Le Chef de Cabinet est M. Barone Russo (gendre de M. Paulucci) qui a été à Berne quelques années.↩
- 7
- Notes en marge de G. Motta: J’ai écrit à M. Wagnière une longue lettre dans laquelle j’ai expliqué l’état d’âme d’une partie de notre pays et j’ai indiqué que quelques mots de M. Mussolini, dans ses déclarations parlementaires à l’adresse de la Suisse, auraient pu influencer favorablement les relations entre les deux pays; le tout à traiter avec une grande prudence.↩
Tags
Press incidents and polemics in Ticino (1921–1924)