Classement thématique série 1848–1945:
I. LA SUISSE ET LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
I.4. Le relèvement économique de l'Autriche
Pubblicato in
Documenti Diplomatici Svizzeri, vol. 8, doc. 224
volume linkBern 1988
Dettagli… |▼▶Collocazione
Archivio | Archivio federale svizzero, Berna | |
Segnatura | CH-BAR#E2300#1000/716#1248* | |
Titolo dossier | Wien, Politische Berichte und Briefe, Militär- und Konsularberichte, Band 37 (1922–1922) |
dodis.ch/44866
L’heure du courrier m’a forcé d’abréger mon rapport No 40 d’hier2 auquel je vous demande la permission d’ajouter un paragraphe concernant la nationalité du contrôleur que choisira la Société des Nations. Cette question concerne naturellement en première ligne les organes de cette Société et le Conseil fédéral, mais, étant sur les lieux, je crois cependant de mon devoir de vous communiquer mes impressions à ce sujet.
Le contrôleur aura de toute manière une situation difficile. Comme représentant de la Société des Nations et personnifiant en quelque sorte l’aide accordée à l’Autriche il commencera par être acclamé avec enthousiasme et choyé de tous côtés avec la chaude amabilité qui caractérise les Autrichiens, mais lorsque viendra la mise en pratique des conditions stipulées à Genève et que l’on exigera de ces mêmes Autrichiens les sacrifices très durs et les charges très lourdes imposés par la Société des Nations le tableau risquera de changer. Il est clair qu’un Gouvernement autrichien quel qu’il soit cherchera toujours à endosser au contrôleur toutes les mesures désagréables qu’il sera forcé de prendre et le parti au pouvoir suivra son Gouvernement dans cette direction; chaque fois que le contrôleur insistera auprès du Gouvernement pour obtenir de lui des lois ou des règlements conformes aux conditions du prêt on interprétera sa démarche comme une ingérence dans les affaires intérieures du pays. Je rappelle les attaques dont a été l’objet Mr. Young, le contrôleur de l’aide anglaise de ce printemps, lorsqu’il a cherché à sauver le cabinet Schober qu’il considérait comme une garantie d’ordre et de tranquillité. Et si – ce qui n’est nullement impossible – il se produisait des troubles qui dussent être réprimés à main armée, si du sang venait à couler, quelle ne serait pas la haine que pourrait faire naître un pareil événement dans la population à l’égard du contrôleur qui en serait considéré comme la cause; cette haine risquerait de se reporter sur la nation à laquelle appartiendrait le contrôleur. Admettez le cas (le plus vraisemblable du reste) qu’une opposition violente soit faite par les socialistes et communistes au renvoi de milliers de cheminots appartenant à leurs partis et que cette opposition soit réprimée de vive force, avec effusion de sang, emprisonnements etc, admettez encore que le contrôleur soit un Suisse, nos socialistes et communistes ne feraient-ils pas cause commune avec leurs coreligionnaires politiques d’Autriche et n’accableraient-ils pas le Conseil fédéral de reproches aussi amers que mal fondés? Qu’il me soit permis de rappeler à cette occasion le 10 août 1792 et le parti que, en Suisse comme en France, les extrêmes de gauche tirèrent alors de ces événements pour attaquer les gouvernements conservateurs des Cantons. Et cependant la garde suisse n’avait fait que son devoir et les Cantons étaient tenus par des traités de laisser leurs régiments à la disposition du roi de France. Une fusillade ordonnée sous les auspices d’un contrôleur suisse demeurerait pendant de longes années à la charge de la nation suisse toute entière. C’est pour ces raisons, Monsieur le Conseiller fédéral, que je considère la désignation d’un Suisse comme contrôleur de la Société des Nations comme hautement inopportune.3 Quelques journaux ont annoncé qu’on songeait à un Anglais ou à un Suisse; laissons je vous en prie cette tâche ingrate à l’Angleterre à laquelle l’Autriche est plus ou moins indifférente, qui n’a que peu de relations et pas de frontières communes avec ce pays et qui, enfin, a le dos assez large pour supporter les rancunes d’un petit pays, misérable et désarmé comme l’est celui-ci; on craint d’ailleurs assez la puissante Albion pour modérer vis-à-vis d’elle les manifestations d’une haine qui, vis-à-vis d’un petit pays comme la Suisse, se ferait probablement jour avec beaucoup moins de modération.
De toute manière il me semble qu’un contrôleur anglais – ou encore mieux américain – le représentant d’un petit pays puissant, éloigné, séparé par les mers et presque désintéressé – serait ce qu’il y aurait de préférable; tandis que chez un Italien ou un Tchécoslovaque on appréhenderait des intentions tendant à l’établissement d’un protectorat, et qu’un Français serait suspect de haine à l’égard de tout ce qui aurait quelque sympathie pour l’Allemagne.
Encore une fois, M. le Conseiller fédéral, je vous prie de m’excuser si je vous soumets mes réflexions au sujet d’une question qui n’est qu’indirectement de ma compétence, réflexions dictées uniquement par mes appréhensions patriotiques.