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Documents Diplomatiques Suisses, vol. 8, doc. 208
volume linkBern 1988
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Archives | Archives fédérales suisses, Berne | |
Cote d'archives | CH-BAR#E1004.1#1000/9#11768* | |
Titre du dossier | Beschlussprotokoll(-e) 28.07.-31.07.1922 (1922–1922) |
dodis.ch/44850
CONSEIL FÉDÉRAL
Procès-verbal de la séance du 28 juillet 19221
2008. Conférence de La Haye
Procès-verbal de la séance du 28 juillet 19221
M. le Ministre Dinichert, premier délégué de la Suisse à la conférence de La Haye, est appelé devant le Conseil fédéral et complète verbalement les rapports écrits2 qu’il a adressés à cette autorité au cours de la conférence. Il expose ce qui suit:
Il est difficile de rendre compte en peu de mots et dès maintenant de l’œuvre et des résultats de la conférence. Nous n’avons pas le recul nécessaire pour les apprécier. Peut-être les fruits n’apparaîtront-t-ils que par la suite. Pour le moment, les résultats sont appréciés différemment. Un des délégués anglais a déclaré que la conférence n’avait pas été inutile, puisqu’elle avait éclairci diverses questions importantes. D’autres délégations jugeront probablement que ce fut un insuccès complet. Cela dépend du point de vue où l’on se place. La vérité est peut-être entre les points de vue extrêmes. Si la conférence n’a pas donné les résultats positifs attendus, il en restera pourtant quelque chose. La conférence a souffert des conséquences de son point de départ. Lorsque la conférence de Gênes tirait à sa fin, ceux qui tenaient à ce qu’elle ne se séparât pas sans avoir obtenu un résultat quelconque ont fait décider la convocation d’une nouvelle conférence. Mais on n’a pas établi pour celle-ci les bases nécessaires à la possibilité d’une entente. On peut s’étonner que la nouvelle conférence ait été convoquée à si bref délai. Trois semaines d’intervalle étaient insuffisantes pour la préparer sérieusement et surtout pour laisser aux Russes le temps d’évoluer et de modifier leur attitude. Le rapporteur a essayé de s’informer des raisons de cette convocation prématurée. Il n’a pas obtenu d’explication satisfaisante.
Dans l’examen des trois questions qu’elle avait à discuter: Propriétés privées, dettes et crédits, la conférence s’est d’emblée placée et constamment tenue sur le terrain pratique et technique, en évitant de s’aventurer dans le domaine politique.
En ce qui concerne la restitution des biens privés, un grand effort et des concessions considérables ont été faits pour faciliter aux Russes un rapprochement. Les délégations française et belge ont renoncé à exiger la restitution en nature et en propriété. Elles demandaient seulement la garantie que les exploitations pussent être reprises par les ayants-droit précédents, n’importe sous quel titre juridique, concession, bail, jouissance ou autre. Comme toujours, les Russes ont suivi ici une tactique dilatoire et ont esquivé tout engagement. Lorsque, mis au pied du mur, on leur a posé la question de savoir s’ils consentaient à accorder aux anciens propriétaires, sous un titre juridique quelconque, la disposition des exploitations, ils ont refusé de s’engager à remettre celles-ci aux anciens propriétaires et ont déclaré ne pouvoir accepter aucune obligation à cet égard, non plus que promettre aucune compensation.
La question des dettes présentait moins d’intérêt que la première et n’a pas joué un rôle important. Les Russes se bornent à déclarer qu’à condition qu’on leur accorde des crédits, ils examineront s’il leur convient de reconnaître les dettes contractées par les gouvernements antérieurs; ils se réservent du reste d’examiner cette question du point de vue exclusif des intérêts russes. Il semble bien que sur ce point, il n’y ait rien à obtenir d’eux.
Sur la question des crédits, les Russes ont prétendu d’emblée qu’il avait été convenu à Gênes que, si on leur demandait de faire des concessions relativement aux propriétés privées et aux dettes, c’était moyennant la promesse de crédits, à ouvrir au gouvernement des Soviets. Or il était clair qu’aucune des délégations n’apportait aux Russes la promesse de crédits à leur gouvernement et que, si les Russes étaient venus à La Haye dans l’idée de les obtenir, la conférence était inutile. L’opposition de vues entre le pouvoir communiste des Soviets et les gouvernements des Etats basés sur le respect de la propriété privée est trop radicale, pour qu’une coopération sous forme d’allocation de crédits soit possible.
On s’est demandé ce qui allait se passer maintenant, quel serait le développement ultérieur des événements en Russie. A cet égard, les avis diffèrent énormément. On affirme qu’il existe en Russie, dans les milieux au pouvoir, deux courants divergents. L’un, dirigé par Trotzky, courant radical, voudrait pousser à l’extrême les conséquences du régime communiste et briser toutes relations avec les Etats capitalistes, de sorte que la Russie se replierait sur elle-même et chercherait à vivre de sa propre vie. Le courant opposé dont Tchitchérine serait le chef est plus opportuniste et voudrait se rapprocher d’un régime économique permettant à la Russie de renouer des relations avec les autres Etats. Il est bien difficile pour le moment de dire lequel de ces deux courants l’emportera.
En venant à La Haye, la délégation russe espérait pouvoir provoquer des divergences de vues entre les Etats représentés à la conférence et en profiter. Elle a été en somme déçue de trouver devant elle un front unique. Pour les Etats civilisés faire bloc vis-à-vis des Russes était une nécessité absolue; y laisser pratiquer une brèche aurait été pour eux une défaite dont les conséquences eussent été pires que l’échec de la conférence.
Dans les propositions qu’ils ont apportées à la fin de la conférence, les Russes ne donnaient aucune garantie nouvelle. Les autres délégations ont constaté d’un avis unanime que ces propositions contenaient des idées intéressantes, mais qu’elles ne fournissaient pas une base suffisante à de nouvelles négociations. Du moins cela a-t-il permis à la conférence de se séparer sur une dernière impression non absolument négative, en admettant que si le pouvoir des Soviets était réellement disposé à faire des concessions et à les appliquer dans la pratique, la voie serait ouverte à de nouvelles négociations.
Une conséquence positive du front unique opposé aux Russes par les autres délégations est qu’il a été entendu, sous forme de recommandation aux gouvernements, que ceux-ci échangeraient la promesse de ne pas intervenir en faveur de ceux de leurs ressortissants qui acquerraient des droits en Russie au détriment de ressortissants d’un des autres Etats. Il est probable que les Etats-Unis adhéreront à un engagement de cette nature. Quant à l’Allemagne, en présence du Traité de Rapallo, il est douteux qu’elle le fasse.
Il est pris acte de cette communication.
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